Les enfants de Kinshasa dans Jupiter's Dance et Benda Bilili!
Les shégés, comme on les appelle en RDC, sont des enfants abandonnés qui cherchent à survivre et à subsister en faisant les petits boulots qu’on veut bien leur confier, même si la bonne société leur fait une réputation de voleurs, de mendiants, de rebelles et d’irrécupérables. — -La place qui leur est accordée ici n’est pas un hasard et l’intention première de Renaud Barret et Florent de la Tullaye était de leur consacrer un film et de raconter leurs destins.
La Danse de Jupiter (2004)
Après plusieurs voyages
dans la capitale congolaise, ils ont trouvé une porte d’entrée dans cette
réalité peu appréciée des responsables politiques du pays en la personne de
Jupiter Bokondji, leader du groupe Okwess International. Le musicien et son
discours sur la situation des enfants et des shégés en général (on reste un
shégé même quand on a atteint l’âge adulte) nous montre un autre visage de
Kinshasa. S’il n’est pas à l’origine un enfant des rues (son père était
diplomate et il a passé une grande partie de sa vie en Allemagne avant de
revenir au Congo dans les années 1980), il a choisi de partager leur vie en
quittant le domicile familial pour devenir musicien. Pour lui la véritable
richesse du pays, plus que l’or et les diamants, c’est la diversité et le
dynamisme des musiques congolaises. Bien qu’il insiste sur la nécessité de
connaître ses racines, ce n’est pas la tradition qui l’intéresse, mais les
nouveaux rythmes, urbains, modernes, que l’on trouve dans une ville comme
Kinshasa. Pour lui c’est cette nouvelle génération qu’il faut écouter, parce
que ce sont les anciens qui ont ruiné le pays, le plongeant dans le chaos et la
guerre civile, et ont perdu le droit au respect qui leur était
traditionnellement dû. On suit Jupiter à travers les différents quartiers
de la ville, généralement poursuivit par des nuées d’enfants, et il nous fait découvrir
le talent inconnu des musiciens locaux
Benda Bilili ! (2010)
C’est au cours de ce tournage que les
deux réalisateurs vont rencontrer les musiciens du Staff Benda Bilili. Composé
de six paraplégiques, victimes de la polio dans leur enfance, rassemblé autour
de Ricky Likabu, doyen, fondateur et tête pensante du Staff, le groupe parcours
les rues et joue pour qui veut bien les écouter et les payer. Ils sont
accompagnés de deux jeunes gens valides qui assurent la partie rythmique, de
quelques shégés qui poussent leurs chaises roulantes et de deux très jeunes musiciens,
shégés eux aussi, que le staff a adoptés et prit sous son aile. L’un deux, Roger,
extraordinaire virtuose d’un instrument à corde dont il est l’inventeur et
qu’il a bricolé avec une boite de conserve et un fil de fer, sera le personnage
symbolique de la surprenante destinée du groupe.
Le groupe va immédiatement les passionner et ils
vont commencer à les filmer, et reviendront à plusieurs reprises les
enregistrer. Ils iront jusqu’à s’improviser producteurs et permettront au
groupe de réaliser leur premier album Très très fort sorti en 2009 sur le
label belge Crammed. Le film retrace cinq ans de l’évolution du groupe, depuis
leurs répétitions dans le zoo de Kinshasa jusqu’à la consécration des tournées
internationales. La mesure du temps passé est donnée par Roger, enfant des rues
du premier film, adolescent timide au début du second et jeune homme de 21 ans
à l’époque de leur conquête de l'Europe.
Aujourd'hui, le Staff Benda Bilili a éclaté, une partie s’occupe à présent de l’ONG Benda Bilili, qui a pour objectif d’aider les shégés et les handicapés à s’insérer dans le monde du travail. Une autre partie continue la musique au sein d’une nouvelle formation, Mbongwana Star, co-produite par le musicien parisien Liam Farrell, alias Doctor L, qui les a rejoint. Leur album From Kinshasa est sorti sur World Circuit en 2015. De son côté Jupiter et Okwess International vient de publier son deuxième album Kin Sonic sur le label Zamora.
Benoit Deuxant
Cet article fait partie du dossier Kinshasa.
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