Les témoins insondables
L’au-delà
Le travail de la compagnie Mossoux-Bonté a toujours résidé sur la lisière mince qui sépare la danse du théâtre et de la performance. Cette fois, la frontière est dépassée comme une continuité logique, effilée d’œuvre en œuvre. Une continuité qui avance de plus en plus vers des mondes inconnus, ouvrant des voies nouvelles. Énigmatique, cette mise en scène laisse aux spectateurs la liberté d’interpréter entièrement le spectacle selon leurs ressentis. Cette nouvelle création, d’aucuns la comprendront comme une poésie funeste, d’autres comme une ode mystique ou métaphysique à des instances supérieures à l’homme. Toujours est-il qu’une fois encore, la compagnie crée un langage propre à son propos, résolument contemporain. Déroutant.
La plastique, le bruit et la stupeur
Présidant d’entrée l’atmosphère âpre, la composition sonore de Thomas Turine est construite de sursauts, de bruits fracturés, sur un long grésillement bouclé de vieux vinyles. Les spectres maigres apparaissent au bout de leurs couloirs, tous cloisonnés, aux contacts impossibles. Les corps sont transpercés de mouvements brisés, d’actions où se mélangent le chaos, la répétition et les fluidités sensuelles déconcertantes. On tressaille plusieurs fois, de surprise, d’effroi, d’hypnose. Les superbes costumes de Jackye Fauconnier sont propices aux métamorphoses des personnages tout en soulignant toujours la sècheresse de leurs muscles. Leur nudité n’est jamais loin. Les coiffes improbables semblent sortir de temps oubliés, baroques, médiévaux et modernes à la fois. On découvre toute l’iconographie d’êtres qui n’existent que dans les interstices entre le temps, l’espace et notre imagination conquise. On entend Eraserhead. On pense au Pape de Francis Bacon, à Nightbreed de Clive Barker ou à Pinhead dans Hellraiser.
Contraintes et tentions
En avril 2020, à l’heure des répétitions, alors que la pandémie obligeait au respect des règles sanitaires, Patrick Bonté et Nicole Mossoux ont décidé de changer le dispositif scénique pour mettre les danseurs à distances. L’enjeu est devenu autre et le plateau découpé différemment. La contrainte des interactions impossibles a obligé le spectacle à une représentation basée sur des codes stricts. Ce nouveau carcan contraignant les a poussés à trouver des solutions, à changer le langage des corps devenus solitaires. Une recherche impérieuse menée sans demi-mesure, sans ménagement. Il en résulte un spectacle radical où la tension est palpable de la première à la dernière seconde.
Les Arrière-mondes est une création déconcertante et sans compromis qui nous emmène dans des lieux inconnus pour nous renvoyer directement à nos ressentis. L’expérience ressemble à un voyage dans un monde hors du temps, fantastique et macabre, qui suscite une fascination constante du spectateur. Impossible de détourner le regard tant cette beauté étrange nous happe, nous hypnotise, tout en laissant filer sur l’échine un fin filet d’effroi ou de stupeur. L’ œuvre est magistrale.
Jean-Jacques Goffinon
Les Tanneurs : https://www.lestanneurs.be
Cie Mossoux-Bonté : https://www.mossoux-bonte.be/fr/
https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/tb2-la-danse-qui-ouvert-le-bal/
Crédit photo : Julien Lambert