Les œuvres urbaines interactives de Tita Salina
Archipel composé de milliers d'îles, l'Indonésie possède une scène artistique très active mais peu connue en Occident. Les artistes locaux sont influencés par l'héritage culturel du pays, par les riches traditions ancestrales mais aussi par une société en constante évolution. Ils se réapproprient leur culture, créant un langage nouveau et frais, parfois faussement naïf. Pendant la période du régime dictatorial de Suharto (1965-1998), l'art était une manière de se rebeller contre le régime mais depuis il a pris une forme plus libre, quoique parfois dicté par une approche commerciale. A Java, deux villes rivalisent au niveau de l'art, Bandung et Yogyakarta; les autres îles connaissent des scènes locales plus réduites mais non sans intérêt. Jakarta n'est sans doute pas au premier rang de la création artiste mais propose cependant des artistes intéressants et engagés.
Tita Salina, née en 1973, est une artiste originaire de la capitale où elle a étudié le design graphique à l'Institut des Arts (IKJ). L'art est pour elle une collection de souvenirs, d'histoires qui sont liées entre elles mais aussi une manière de créer des rapports avec l'environnement et les structures sociales. Elle propose des œuvres personnelles mais aussi en collaboration avec d'autres artistes, notamment Irwan Ahmett avec qui elle travaille depuis 2010.
Ensemble, ils se focalisent sur l'espace public qu'ils utilisent comme théâtre pour leurs installations. Dans leur projet nommé Urban Play, ils ont cherché à introduire dans la ville la notion de jeu et répondre aux problèmes urbains par une interaction artistique qui a pour but d'apporter plaisir et émotions aux habitants de la mégalopole. Prenant des objets qu'ils trouvent dans la rue, ils interviennent dans la ville et changent les perspectives. Ils tentent de cette manière d'influencer le comportement des habitants qui ont pu ainsi découvrir leur ville d'une manière nouvelle. Dans leur série Trashball, ils invitent les enfants à créer un jeu de balle en utilisant les nombreux déchets de la ville. Un an plus tard, ce ballon est devenu immense et le jeu est de l'emmener dans les ruelles des quartiers, créant l'amusement des enfants et l'étonnement des adultes. Ces interactions sont filmées et par la suite diffusées sur les réseaux sociaux.
Ces installations ne se limitent pas à Jakarta: Irwan Ahmett et Tita Salina voyagent beaucoup, en Asie et en Europe notamment, et participent à des résidences d'artistes. Ils étaient présents à la biennale de Singapour, la triennale de Setouchi au Japon, à Made in Commons au Stedelijk Museum d'Amsterdam…
Les œuvres en solo de Tita Salina sont dans le
même esprit: elle utilise les situations et les conditions particulières d'un
endroit pour créer une interaction avec le public. Interpellée par les
problèmes d'environnement de Jakarta, elle a créé pour la biennale de la
capitale en 2015 une œuvre vidéo qui s'inspire du projet de mur qui devrait
éviter à la ville de nouvelles inondations ainsi que la création d'îles
artificielles pour héberger deux millions d'habitants. Comme beaucoup d'autres
personnes, Tita Salina doute de l'efficacité de ce projet gouvernemental et
s'est intéressée aux quartiers de Pantai Indah Kapuk et Muara Angke, habités
par des pêcheurs qui seraient fortement touchés par le projet. Ensemble, ils
ont rassemblé des débris marins et des déchets pour les transformer en île
artificielle. Nommée Pulau 1001 (Île 1001), cette île a été placée
par les marins à proximité des îles artificielles créées par l'état. C'est une
manière pour l'artiste de connecter les problématiques environnementales,
celles de la surpopulation de la ville mais aussi celles de la pollution des
océans qui touche de plus en plus la survie des pêcheurs traditionnels. Même si
ce que montre cette vidéo n'est pas beau dans le sens strict du terme, il s'en
dégage une atmosphère très rêveuse et contemplative.
Anne-Sophie De Sutter
- photo du bandeau: Irwan Ahmett
Cet article fait partie du dossier Jakarta.
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