« The Light House » à la Fondation Boghossian
Organisée par la Fondation Boghossian pendant la saison la plus sombre de l’année, l’exposition The Light House propose au visiteur un parcours parmi des œuvres et installations d’art contemporain créées par dix-neuf artistes originaires du Japon, du Liban, de Corée du Sud, de Palestine, du Maroc, des États-Unis et de Belgique. Certains ont conçu des pièces spécifiquement pour la Villa Empain, d’autres occupent les divers espaces de la maison avec des œuvres plus anciennes. Un parcours lumineux a été installé sur l’avenue Franklin Roosevelt mais le jour où j’ai visité l’exposition, le soleil brillait de tous ses feux et la nuit n’était pas encore tombée. J’ai malgré tout remarqué que les réverbères étaient entourés d’un film bleu. L’exposition se poursuit également dans divers musées publics et privés, à Bruxelles et dans le monde avec le CMYK Corner de Dennis Parren, une installation jouant avec les couleurs des leds.
Le parcours dans la superbe villa art déco est divisé selon plusieurs thèmes : la lumière céleste, la lumière trouble, l’expérience de la couleur, l’éloge de l’ombre et l’utilisation du néon.
La lumière a toujours eu une dimension mystique et magique, une dimension spirituelle : elle est source de vie et d’énergie, elle guérit. D’emblée, le regard est attiré par une sculpture monumentale, conçue par Mounir Fatmi. Cet artiste né à Tanger en 1970 traite régulièrement dans ses œuvres de la désacralisation de l’objet religieux et son installation Jusqu’à preuve du contraire en est l'exemple. Des néons blancs s’élèvent vers la verrière de la villa, créant une sorte de tour. Différents versets de la sourate 24 du Coran intitulée La lumière sont reproduits sur les tubes mais quand le visiteur veut les lire, il est aveuglé par la lumière.
La pièce suivante, celle qui donne accès à la piscine, est baignée d’une lumière filtrée mais colorée. Il s’agit d’une installation de Kimsooja, artiste coréenne, qui invite le public à être acteur plutôt que spectateur. Et c’est ce qui se passe avec To Breathe : la baie vitrée a été recouverte d’un film plastique qui diffracte la lumière, évoquant les vitraux des artistes médiévaux et créant une lumière tamisée qui enveloppe le visiteur et le conduit à la contemplation.
En totale opposition avec ce kaléidoscope, l’œuvre de Charles Sandison (Écosse, 1969) au premier étage amène le visiteur dans une pièce sombre dans laquelle domine une projection en noir et blanc. Light and Darkness est une création informatique, deux mots – « light » et « darkness » – envahissent l’écran mais ils ont l’air de lutter entre eux à leur point de collision. L’œuvre traduit les intérêts de l’artiste, de la linguistique à la physique, des algorithmes à la typographie.
Encore du noir et du blanc, mais inspirés par la tradition ancienne des lanternes orientales : l’artiste palestinienne Mona Hatoum joue avec l’ombre et la lumière et crée avec Misbah une œuvre polémique. Au premier abord, le visiteur ne verra que les jolies réflexions sur les murs mais s’il y regarde de plus près, il remarquera que les découpes représentent des soldats armés et les étoiles suggèrent plutôt les flashes des bombes qui explosent.
Retour à la couleur, et aux néons, mais aussi à la religion, avec The Judge et The Protector, deux sculptures de Shezad Dawood qui font référence aux noms donnés à Dieu dans l’Islam. D’origine indienne et pakistanaise, cet artiste s’intéresse aux rapports entre la culture contemporaine et la religion. Installées dans une pièce sombre, le regard est attiré par la juxtaposition du vert d’une des œuvres et du rouge de l’autre. En y regardant de plus près, on voit que le néon n’est pas seul, il est entouré d’une plante aux fines branches, créant une impression délicate, diaphane.
Délicatesse et néon se retrouvent également dans une sculpture du Chilien Iván Navarro. No Dunking est un peu schizophrène : comment envoyer un ballon dans ce panier de basket créé dans ces fragiles néons ?
L’exposition comporte encore de nombreuses autres œuvres, qui s’admirent de pièce en pièce, au fil d’un parcours dans toute la villa. Elles demandent le temps qu’on s’y arrête, qu’on y réfléchisse, et si cela ne se fait pas au cours de la visite, elles restent dans les esprits par la suite. C’est une ode à la lumière organisée autour de quelques œuvres très bien choisies qui éclairent les mois sombres de cette période compliquée.
Texte et photos : Anne-Sophie De Sutter
Photo de bannière : Shezad Dawood, The Protector et The Judge
The Light House
Du 22 octobre 2020 au 18 avril 2021
FONDATION BOGHOSSIAN – VILLA EMPAIN
Centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident
Avenue Franklin Roosevelt 67
1050 Bruxelles