L'Orchestre Symphonique Kimbanguiste
Sommaire
Genèse de l’orchestre
En 1994, Armand Diangienda, pilote d’avion de ligne, se retrouve au chômage. Il s’investit alors dans la création d’une petite structure musicale, pour laquelle il rassemble une douzaine de personnes. Chacun se voit assigner un instrument selon les besoins musicaux et les musiciens doivent se relayer autour des rares instruments de musique en la possession de l’ensemble. Parmi eux : Armand, au violoncelle, Alphonse N’Nankou N’Goma, qui se charge d’enseigner aux autres le b.a.-ba de la musique et de la technique des cordes frottées, et Albert Matubanza, à la contrebasse. Peu à peu, l’ensemble voit former des personnes vierges de toute formation musicale, souvent illettrées, mais qui vont apprendre à lire la musique, à jouer d’un instrument, à chanter en anglais, en allemand, en latin. Ils proviennent de tous les milieux, petits commerçants, couturières, pharmaciens, mécaniciens… s’unissant avec de petits moyens mais de grandes ambitions. L’orchestre complet se réunit trois soirs par semaine, et deux autres jours sont consacrés aux répétions par pupitres restreints. Depuis sa création, l’ensemble a rapidement vu grossir ses rangs et compte aujourd’hui pas moins de quatre-vingts musiciens et plus de cent choristes. Le nom de l’orchestre se réfère au grand-père d’Armand Diangienda, Simon Kimbangu, qui fonda la religion kimbanguiste en 1921, se prétendant l’envoyé spirituel du Christ, ce qui lui valut d’être emprisonné par les Belges pendant une trentaine d’années. Pour Armand et ses musiciens, la musique est une manière de prier, d’évangéliser. « Chanter, c’est prier deux fois » (une choriste). L’entreprise touche aussi à la fierté nationale : l’OSK est le seul orchestre au monde composé intégralement de Noirs africains !
Kinshasa Symphony - Claus Wischmann et Martin Baer - Allemagne – 2011
Lorsque, en 2006, plusieurs journalistes font le déplacement en RDC pour couvrir les premières élections présidentielles libres depuis 1965, l’un d’eux découvre l’orchestre. Impressionné par son histoire, il partage ses impressions à son retour en Allemagne. Averti par une amie, le producteur et musicien Claus Wischmann s’intéresse immédiatement au sujet et implique Martin Baer dans la réalisation de ce film, paru en 2010. Tout au long du documentaire – édifiant quant aux conditions de vie, à l'art de la débrouille qui a permis à la phalange de se constituer, mais aussi à l’enthousiasme incroyable qui anime ses membres –, nous sommes amenés à découvrir la vie quotidienne des musiciens, à travers plusieurs portraits.
Même si tu n’aimes pas la musique classique, quand tu entendras Mozart, tu vas l’aimer ! — Un des musiciens à un passant
Le document nous apprend aussi que de nombreux pillages et une paupérisation endémique ont aggravé la pénurie d'instruments de musique. Pour y remédier, Albert Matubanza, contrebassiste, assurant également l’administration et la gestion de l’orchestre, se forme dès lors à la lutherie. Ses premiers instruments, il les construit aux dépens d’autres, les disséquant afin de voir comment ils avaient été conçus. De la facture des instruments à cordes, il passe à l’entretien et à la fabrication de tous les instruments de l’orchestre, chinant sur les étals des marchés les plus grands morceaux de bois pour les contrebasses, les câbles de frein pour remplacer les cordes cassées des violons, le fil de pêche pour le crin des archets ou la jante de minibus pour remplacer une cloche. Tout au long du documentaire, les différentes étapes de la fabrication d’une contrebasse nous font entrevoir les difficultés auxquelles il fait face avec un optimisme sans faille et avec une imagination débordante.
Nous faisons aussi la connaissance d'Héritier Mbuangi, premier violon et chef de pupitre, chargé des répétitions des cordes frottées et de trouver les coups d'archet. Lorsqu'il est entré dans l'orchestre, il n'avait jamais vu un violon. Il décrit son empressement du début, où ses gestes se faisaient parfois brutaux lorsqu'il voulait à tout prix faire jaillir les sons. Aujourd'hui, il est l'un des musiciens les plus prometteurs de l'orchestre. Il a bénéficié de formations en Europe et a reçu un cadeau inestimable d'un ami américain installé au Congo : un violon en carbone.
Chez la choriste Mireille, le ravissement face à la musique est extrêmement communicatif. Elle dira, à propos de l'Hymne à la joie : « Ça me transporte. Si on me cherche, je ne suis plus là ». Jerry, chargé de la flûte à bec, de la flûte traversière, du saxophone et du basson, a dû trouver ses notes par lui-même, par tâtonnements. Joseph, lui, joue sur un alto, mais s'interrompt parfois en cours de répétition pour rétablir le courant ou remplacer une ampoule déficiente. Il est le responsable du groupe électrogène, indispensable pour les concerts en plein air. L'ensemble de ces portraits montrent bien l'incommodité de leur quotidien, mais aussi leur motivation inébranlable.
Le documentaire se clôture sur le concert donné au milieu d’un terrain vague pour le cinquantième anniversaire de l’indépendance, avec l’interprétation de la Neuvième symphonie de Beethoven et des Carmina Burana de Carl Orff, devant un public transporté !
Félicité - Alain Gomis – France/Belgique/Sénégal – 2017
En 2017 paraît Félicité, fable du réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis, qui fait appel à l'OSK pour interpréter une partie de la musique du film.
Félicité est chanteuse dans un orchestre traditionnel et élève seule un fils de quatorze ans, Samo. Lorsque celui-ci est gravement blessé dans un accident de moto, elle doit rapidement rassembler une forte somme d’argent afin que les médecins acceptent de l’opérer. Cotisations des musiciens, réunies à contrecœur, récupérations de dettes effectuées avec l’appui d’un policier véreux, aides obtenues à la suite d’âpres négociations et supplications, Félicité s’obstine, s’humilie, force les portes, se bat autant qu’il est possible de le faire. Mais lorsqu’elle retourne à l’hôpital pour donner la somme réunie au chirurgien, on lui annonce qu’il a dû être amputé en urgence.
Le fils comme la mère s’enfoncent dans le mutisme, seulement accompagné par Tabu, amant occasionnel et homme à tout faire de Félicité, qui petit à petit gagnera une place dans le clan familial et jouera un rôle dans sa renaissance.
Le film entrelace différentes lignes narratives en écho au scénario principal : une trame onirique où l’on voit l’héroïne s’enfoncer dans les ténèbres ; des images de Kinshasa, de sa violence, de ses couleurs, de ses bruits joyeux... ; et la musique, déclinée en deux univers distincts. D’une part, la musique traditionnelle des Kasai Allstars, chantée par Félicité dans le bar où elle travaille le soir ;
d’autre part, la musique de l’Estonien Arvo Pärt – notamment son célèbre Fratres – choisie pour le film et interprétée par l’OSK. De loin en loin, à la manière d’entractes au sein de l’histoire, de ponctuations qui agissent comme des respirations, les interventions de l’orchestre permettent une prise de hauteur avec l’histoire. Loin d’être redondante, elle accompagne l’évolution intérieure des trois rôles principaux, souligne l’atmosphère dramatique et intériorisée de cette progression mentale. La musique est traitée comme un élément qui s’intègre au scénario et non comme une bande son d’arrière-plan.
Reconnaissance internationale
Suite à Kinshasa Symphony, l'OSK acquiert une certaine notoriété internationale. Après s'être produit à Brazzaville, l'orchestre est invité un peu partout dans le monde : Los Angeles, Boston, Monaco, Séoul, Londres, Manchester... C'est l'occasion pour eux de jouer avec des musiciens professionnels et de rencontrer des personnalités du show-biz comme Peter Gabriel, Angelina Jolie, Lionel Ritchie ou encore Herbie Hancock. Par delà l'anecdote, c'est la portée symbolique qui est ici célébrée : l'OSK est le tout premier orchestre de musique classique totalement formé de membres africains, partis souvent de nulle part, pour atteindre un niveau musical remarquable pour un ensemble amateur. C'est aussi une grande fierté nationale pour les Congolais.
Suite à cette reconnaissance, les Kinois se sont vu offrir dans les pays hôtes des formations, des stages de lutherie, des instruments. Certains chefs ont aussi fait le déplacement jusqu'à Kinshasa, comme Julien Vanhoutte. Des ateliers de formations ont aussi été animés à Kinshasa par la France entre 2006 et 2009. D'autres collaborations ont pris le relais depuis. Ayant longtemps fonctionné sans salle de répétition attitrée, il semblerait qu'une construction en cours soit sur le point de remédier à cette situation. C'est tout le bien que nous pouvons leur souhaiter !
Nathalie Ronvaux
Cet article fait partie du dossier Congo 1960-2020.
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