Lucilius Caius, satura et satire.
A la suite des attentats de Charlie Hebdo, le public a nourrit un regain d'attention pour tout ce qui touche à la caricature et à la satire. Mais ni la satire, ni la caricature ne sont des inventions modernes. Les romains, n'ont pas attendu l'invention de la presse pour écrire ou pour graver quelques sentences assassines à l'encontre de leurs ennemis. Toute noblesse ou toute bassesse confondue, le monde antique usa de cette réthorique moqueuse, cruelle, sarcastique et ironique que nous désignons sous le terme d'esprit satirique.
Pour l'ambiance, je ne résisterai pas à l'envie de vous offrir un antique exemple d'esprit satirique, trouvé ainsi sur un mur de Pompéi.
(A déclamer en latin avec tout le sérieux du monde)
CUM DEDUXISTI OCTIES TIBI SUPERAT UT HABEAS SEDECIES COPONIUM FECISTI CRETARIA FECISTI SALSAMENTARAIA FECISTI PISTORIUM FECISTI AGRICOLA FUISTI AERE MINUTARIA FECISTI PROPOLA FUISTI LAGUNCULARIA NUNC FACIS SI CUNNUM LINXSERIS CONSUMMARIS OMNIA.
Puisque le latin n'est plus d'usage dans nos contrées, la déclamation du texte nous donnera assurément de grands airs de sérieux. Mais les apparences sont parfois trompeuses ! Voici la traduction en français :
"Tu as déjà exercé huit métiers, tu arriveras jusqu'à seize. Tu as été tavernier, potier, celui qui vend des saucisses, panetier, agriculteur, bronzeur, vendeur, et maintenant petit potier. Il te manque seulement de pratiquer le sexe oral avec les femmes !"
(Le rire des Grecs, anthropologie du rire en grèce ancienne)
Tout le mystère de l'esprit satirique est compris dans cette fâcheuse description d'un homme que l'auteur dénonce comme ayant tout fait. Ce qui parait plutôt positif. Mais qui, au final, n'aura jamais su se stabiliser dans un quelconque métier. C'est ainsi que l'auteur réduit tout le sérieux de sa victime à la pratique du cunnilingus.
Il nous reste des oeuvres poétiques de LUCILIUS CAIUS (~180-~102), quelques fragments sur un ensemble de trente livres. Mais sa réputation était telle qu'il fut considéré comme un maître de la satura romaine qui influença des poètes comme Horace ou Juvénal. La satura est un genre d'écriture littéraire qui n'a pas de lien direct avec l'esprit satirique. Mais Lucilius utilisa la satura avec un verbe si plein de mordant, de critique acerbes et de railleries qu'il lui donna un sens nouveau, caractéristique que l'on désigne habituellement sous le nom de satire.
(SATURA TOTA NOSTRA EST - Persée)
Lucilius n'était pas un homme de la plèbe, c'est-à-dire du peuple romain. Il appartenait à l'ordre équestre donc à une famille riche et plutôt conservatrice. Il était proche de Scipion Emilien, destructeur de Carthage. Lucilius n'usa pas de son génie satirique pour défendre les opprimés mais pour attaquer la nobilitas (noblesse, aristocratie) progressiste et réformatrice. en fait, il attaquait tout ce qui pouvait remettre en question ses privilèges de grands propriétaires terriens.
C'est pour cela que nous avons pris son buste pour illustrer le visuel de notre éditorial "Détours". L'esprit satirique, même sous les traits de l'humour, est une expression du pouvoir que l'on peut exercer sur les hommes ou les idées afin de les dominer par le ridicule. L'humour, pas plus que la satire ou la caricature satirique ne sont des actes innocents. Il y a bel et bien une relation de pouvoir entre celui qui exerce son humour et celui qui le subit.
Jean Nicolas