MAC's (Grand Hornu): exposition Wesley Meuris
Peut-être même nous évoquent-elles des architectures mentales, intimes ? Le regard fouillant, cherchant ce qu’il y a à voir, inspecte, se loge dans les volumes dessinés dans ces invisibles rendus visibles, et il lui semble, sans que ce soit facile à formuler, les connaître, qu’ils font partie de formes de pensées. Peut-être est-ce avec ce genre de géométrie de verre qu’il s’empare du monde pour se le représenter ?
Ce sont des cages. Des cachots de verre ? Des cellules psychiatriques ? Des caissons pour interventions chirurgicales ? En tout cas, après la première inspection intuitive, le regard forge l’illusion d’être autant dehors que dedans et que cette étrange position ne pouvait se constater qu’ici, dans ce musée, avec ces œuvres bizarres. On s’approche, on s’éloigne, étranges présences qui nous reflètent. Ces maisons de verre, dispositif panoptique esthétique, sont les chambres d’un vaste zoo imaginaire, renvoyant à nos propres souvenirs de zoo. Wesley Meuris, menuisier de formation, appréhende les choses par le savoir des mains, l’érection de maquettes, de simulacres. Il reproduit des édifices familiers et ces reproductions interrogent la frontière entre le réel et sa représentation, et ce que cette frontière génère comme savoirs orientés. Il s’est intéressé « au design architectural des enclos d’animaux. Non seulement pour les façons dont ces conceptions créent un contexte habitable pour ces animaux exotiques, mais plutôt pour montrer comment ces animaux particuliers sont présentés comme des « créatures à l’écran » ».
Chacune de ces cages est dédiée à une espèce animale précise. Pour les okapis. Pour les pelodiscus sinensis (tortue de Chine). Pour les alopex lagopus (renard polaire). La forme et l’esthétique de chaque cage se nourrissent d’une lecture minutieuse des textes savants sur ces animaux, leurs modes de vie, leur symbolique, les meilleures manières de les observer. En cela, elles sont chaque fois interprétation artistique de ce qui lie ces espèces distinctes aux formes du savoir humain sur le non-humain. Frans de Waal, dans son dernier ouvrage Sommes-nous trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux ?, explique que si les tests d’intelligence comparatifs entre singes et humains donnent des résultats parfois si contrastés, c’est que l’animal est traité comme une chose, en cage, alors que l’homme fait l’objet de prévenances qui atténuent le stress de l’examen.
La distinction entre nature et culture, communément, est brouillée. Où commence l’une, où finit l’autre ? Ce brouillage est probablement partiellement idéologique et conforte le penchant à exploiter la nature sans scrupule. Les cages de Wesley Meuris permettent d’appréhender comment fonctionne ce brouillage. C’est qu’il repose sur des formes de connaissances qui n’ont pu se forger qu’en mettant les choses à distance, sous verre. Vivantes mais neutralisées. Ces enclosures cognitives, au fil des siècles deviennent invisibles, parties intégrantes de nos certitudes scientifiques. Il fallait les matérialiser pour créer un choc salutaire.
L’artiste relie zoo et musée via l’histoire des cabinets de curiosités. Cet ancêtre du musée, à la Renaissance, associait toutes sortes d’objets de fascination, issus de la nature ou fabriqués par l’homme. Les manières d’exposer les œuvres d’art, dans les musées, relèvent selon lui de la même discipline que la conception des cages zoologiques. C’est une manière semblable d’organiser la connaissance sensible du monde selon des cases rigoureuses. Et les deux régimes, muséal et zoologique, se renforcent mutuellement. Pour organiser le vivant dans des cages, il faut que la perception sensible du monde soit formatée selon une lecture qui enferme, selon une architecture mentale transparente invasive, colonisatrice, autant que discrète.
Ces cages de verre, sortes de monochromes géométriques, évanescentes sur fond translucide, sont érigées au cœur du Mac’s. Lui-même ancien phalanstère lié à l’exploitation des mines, autre bâtiment qui reflétait une manière de classer les hommes. Cette installation valorise idéalement, en miroir, les dispositifs du musée et ceux de la zoologie. L’ensemble a une beauté en soi saisissante. Comme de contempler un profond paysage brumeux, crépusculaire. Une sorte de mise en abîme taxonomique. On sent remonter, en soi, le plaisir de dire les choses, les décrire, les qualifier, les classer dans des ordres. Les édifices de verre éveillent l’excitation de maîtriser. En même temps, flottant dans l’abîme, presque extraterrestres, leurs arêtes et surfaces miroitantes, déplacent les idées reçues. Comme un bâton qui, plongé dans l’eau, semble se casser. Au fond de la contemplation de ces objets esthétiques, à l’horizon, pointe le plaisir nouveau de questionner les structures transparentes de nos savoirs, d’ouvrir la cage.
Pierre Hemptinne
- photos: (c) Wesley Meuris / MAC's
La publication L'Objet nature (15 musées de Wallonie, 15 objets nature - 96 pages, 30 photos)
est en vente au prix de 5€ dans tous les PointCulture et musées participants.
Wesley Meuris: Modèles d'exposition
Jusqu'au dimanche 3 septembre 2017
MAC's / Musée des arts contemporains
site du Grand Hornu
82 rue Sainte-Louise 82
7301 Boussu
32 (0) 65 65.21.21.
À visiter dans la région:
Le Terril n°9
Témoignages directs du labeur des mineurs et de l’aventure industrielle qu’a été le charbon, les terrils sont observables dans tous les bassins houillers du monde.
Jadis noirs comme le minerai du fond, ils sont aujourd’hui devenus de belles collines verdoyantes au biotope exceptionnel. L’un d’entre eux a même été inscrit au Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco en même temps que le complexe minier, la cité ouvrière et le château d’Henri De Gorge, fondateur du Grand-Hornu.
Balade guidée sur le
terril tous les dimanches des mois de juillet et août
de 13h à 14h30
Gratuit
Cet article fait partie du dossier L'Objet Nature | promenades musées.
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