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Mai 68 dans la musique contemporaine

Mai 68
Ou peut-être l’inverse...

Pour en être actrice, émanation ou miroir, la musique, comme l’art en général, est rarement hors d’atteinte du monde politique. Jusqu’à l’époque baroque, elle en a reflété les hiérarchies, dans sa période classique, elle est habitée des tensions et transformations qui annoncent la fin d’un régime. Au 19ème siècle, la musique romantique continue à croitre en puissance et en structure, à l’image  de la civilisation de plus en plus industrialisée et conquérante, puis, au faîte de cette ascension, elle  voit son édifice mis sens dessus dessous.

Si le modernisme du vingtième siècle veut renverser les préséances hiérarchiques bien enchâssées dans le système tonal, il n’en abolit nullement le statut de langage, de bien partagé que l’on ne peut maltraiter sans risquer le scandale ou le rejet.

Dans les années soixante, un mouvement que l’on dit postmoderne,  veut renoncer  aux grandes syntaxes et renvoie toute expression sonore ou musicale à sa propre justification. Il s’ensuit un art hétérogène, avec ses collages, ses citations, son éclectisme et qui, sans pour autant se revendiquer comme polyglotte, peut accueillir tous les langages. La création musicale s’évalue désormais à sa force de vie, ne parle plus comme un seul homme mais comme une foule d’individus, formant un chaos, au sens originel, où les affirmations sont en concurrence, en lutte, où simplement là pour faire entendre leurs voix. Tel fut mai 68, dans la rue comme sur la partition. Qui s’étonnera de voir le théoricien du postmodernisme par excellence, Jean-François Lyotard,  rédiger son texte « préambule à une charte » et le faire adopter vers la mi-juin 1968, au comité d'action de la faculté de Nanterre.  Il y résume en une phrase l’abandon des grands systèmes contraignants : « Ce qui est visé et ébranlé par la critique et par la lutte, ce n'est pas seulement le régime politique mais le système social ; et pas seulement la propriété privée du capital, mais l’organisation de la vie toute entière, toutes les valeurs que les sociétés modernes, qu’elles soient de l’Ouest ou de l’Est, utilisent ou fabriquent, imposent ou insinuent, pour désamorcer le désir. »

Mais les événements de mai 68 ne font pas que refléter la dynamique de la démarche musicale postmoderne, ils lui en fournissent les matériaux qui, sous forme de collages ou de citations, créent un ancrage extra-musical, voire engagé, dans le monde: dans la Sinfonia, œuvre devenue exemplative du postmodernisme, composée par  Luciano Berio en 68, les slogans liés aux événements vont rejoindre les citations de Beckett, Joyce, Mahler ,Beethoven,  Debussy, Schoenberg et bien d’autres dans une vision syncrétique mêlant les voix du monde et de l’histoire. Interrogeant tout autant la voix et ses multiples expressions dans leurs fondements, Maurice Ohana clôture son œuvre pour orchestre vocal intitulée « cris » (1968) par le mouvement  « slogans » dont certains, liés aux événements, proviennent du quartier Censier à Paris.  C’est par le collage surtout que Bernd Aloïs Zimmermann parvient dans le « Requiem pour un jeune poète » (1967-69) à traverser les époques significatives de l’histoire récente ; le printemps 1968 n’y est plus parisien mais tchécoslovaque par la voix d’Alexander  Dubček.

Si Luigi Nono reprend  20 slogans de mai 68 pour sa création électronique « Non consumiamo Marx », « ne consommons pas Marx », titre emprunté aux graffitis parisiens,  c’est, à l’inverse, pour mieux abolir la distance historique et rendre à la composition musicale son rôle actuel, participatif et fédérateur. Le rejoindront sur cette posture davantage engagée, mais toujours en questionnant par le fond le langage musical, Helmut  Lachenmann et François Bayle, le premier avec  « Air » (1968-69) pour percussion solo et grand orchestre, dont les rapports de forces s’inspirent des révoltes de mai 68 et le second avec « Solitioude » (1969), repris au  premier chapitre de « l’Expérience Acoustique » (1970-1972), qui mêle l’atmosphère de Mai 68 à la guitare de David Allen.

Jacques Ledune


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