Maison de la métallurgie (Liège) : chromolithographie de la Vieille-Montagne
Sur une surface horizontale large d’un bon mètre, dans un camaïeu de bruns, de verts et de gris, différents plans de l’activité humaine se découpent et s’emboîtent formant un ensemble mélodieux d’où la nature n’est pas absente. Prenant à témoin l’horizon verdoyant des collines toutes proches, les multiples facettes du travail de la mine, de l’extraction du minerai au retraitement du métal – ici le zinc – accompagnent le labour des champs et la vie domestique.
Le dialogue tient en un jeu de
correspondances subtil : c’est la pesanteur des corps d’usines que vient
équilibrer l’ossature frêle des logis ; c’est ce relief de crevasses
qu’apaise le peigne léger des cultures ; c’est enfin la puissante
machinerie de l’industrie métallurgique que rattrapent in extremis, comme sur
certains tableaux de Breughel la malédiction divine, les gracieuses silhouettes
disposées à l’avant-plan, que l’universalité de leur geste met à l’unisson du
paysage.
Ce tableau pourrait n’être qu’une illustration optimiste du thème des travaux et des jours. Nous parlons ici d’une vue parfaitement modeste, un de ces objets devant lesquels le visiteur ne s’arrête pas forcément quand il a en tête de s’imprégner d’un lieu. Et pourtant ! Il existe chez certains, ce qu’on pourrait appeler, une attention retorse, un désir pour l’objet mineur qui va de pair avec la foi en l’éloquence discrète. Pour ceux-là, ces égéries du musée que sont les machines et les maquettes ne feront jamais assez d’ombre aux humbles documents qui les bordent. Et ils n’ont pas tort, ne serait-ce que parce que, dans la proposition (peu ordinaire et de ce fait intense) d’aller au-devant de l’histoire industrielle du pays, il faut se ménager quelques moments de repos. Passant en revue divers secteurs d’activité – gaz et pétrole, eau, vapeur, électricité, forge, gueulard, Cockerill, sidérurgie – (chacun ayant droit à une salle consacrée), le circuit réserve aux métaux non-ferreux une place un peu à part. Celle d’une plus grande proximité avec la région, d’un lien plus direct, plus affectif.
La chromolithographie, qui date des années 1850, a été réalisée par François Bonhommé d’après une de ses propres aquarelles. Cet artiste français fut un pionnier dans la représentation graphique de la révolution industrielle. Liège était alors un des plus importants centres industriels d’Europe grâce, notamment, à des personnalités telles que John Cokerill ou Jean-Jacques Dony. Ce dernier obtint la concession d’une mine de zinc après avoir mis au point un four capable de l’extraire de la calamine, un des nombreux minerais qui renferment ce métal. Avant que son affaire n’échoue et ne soit reprise, cette fois avec succès, par la future Société des mines et fonderies de zinc de la Vieille-Montagne, le chanoine eut le temps de monter une usine au beau milieu du faubourg Saint-Léonard. C’est sur un autre site, au lieu-dit de La Calamine, que l’artiste posa son regard bienveillant. Bienveillant ou pour mieux dire enthousiaste et fier.
À l’empire de l’art la nature asservie / Ne peut lui dérober ses plus secrets trésors / Il fait céder l’obstacle à ses puissants ressorts / L’union fraternelle et l’active industrie / Auront ici par lui le prix de leurs efforts — -
Cette inscription surmontant une pompe à feu conservée dans la salle voisine, ne pourrait mieux dire l’esprit de confiance qui entoure la technique à cette époque-là. Ainsi l’œuvre de François Bonhommé célèbre-t-elle l’alliance heureuse de l’industrie et de la nature gouvernée par le travail des hommes.
L’état
du sol témoigne des largesses de la terre. Ici on plante, là on creuse, ici on
transforme, on brûle, on retraite. Les fumées qui s’élèvent au centre du
tableau n’ont rien d’hostile, au contraire, leurs formes vaporeuses signalent
une activité réjouissante.
Eût-il déplacé son chevalet à quelques kilomètres de là, du côté du faubourg
Saint-Léonard, l’artiste aurait peut-être saisi une tout autre ambiance. Là, il
aurait vu la population se révolter. Inadmissible : mêlée aux habitations,
l’usine empoisonne les bêtes. Et c’est tout. On voit qu’à cette époque, le
souci sanitaire ne rencontre pas le souci écologique. Il s’arrête aux portes de
la cité.
L’extraction du zinc a fait son temps, les sites tels que ceux de la Calamine sont aujourd’hui refermés. Le sol, lui, se souvient. Une végétation particulière signale ces endroits que le zinc et ses lourdes fumées ont imprégnés. L’effet n’est en rien spectaculaire. Les plantes métallophytes et pseudométallophytes n’ont de remarquables que leurs noms : cochléaires, pensées, silènes, gazons d’olympe, oseille sauvage, campanules, boutons d’or… De grandes étendues d’herbe et de menues fleurs, un nombre restreint d’espèces secondées par les lichens et des champignons. De la représentation d’hier au paysage actuel, le trouble est tout aussi profond. C’est qu’on ne voit pas grand-chose de ce qui affecte la nature. Vaille que vaille, elle occupe l’espace qu’on lui laisse, parvenant même à donner un certain charme aux poisons qui l’infusent.
Catherine de Poortere
- photos: (c) Céline Bataille
La publication L'Objet nature (15 musées de Wallonie, 15 objets nature - 96 pages, 30 photos)
est en vente au prix de 5€ dans tous les PointCulture et musées participants.
Maison de la métallurgie et de l'industrie de Liège (MMIL)
17 Boulevard Raymond
Poincaré
4020 Liège
32 (0)4 342.65.63.
Gratuité le premier dimanche du mois
À visiter dans la région :
L’Île aux Corsaires
L’Île aux Corsaires est située entre l’Ourthe et son canal à Angleur. Occupée par la Société des Mines et Fonderies de Zinc ces deux derniers siècles pour la construction de routes, l’île a longtemps été une montagne de déchets de l'industrie. Aujourd’hui, envahie de métaux lourds, elle est devenue une réserve naturelle. On peut y découvrir une pelouse calaminaire sur laquelle poussent des plantes sans pareil, ou des oiseaux tels que le petit nacré ou le criquet à ailes bleues.
15 Rue du canal de
l’Ourthe
4031 Angleur
infos : Natagora
info@natagora.be
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