Manon Labry, Chronique d’une révolution punk féministe
En 1990, j’avais 18 ans ; je commençais à découvrir les musiques rock alternatives grâce à MTV (120 minutes, puis Alternative Nation). Tout d’abord, je n’ai eu accès qu’aux artistes les plus populaires, et puis, en 1993 ou 94, je me suis inscrite à La Médiathèque et j’ai commencé à emprunter des disques de tous ces groupes alternatifs. Je me rends compte en lisant le livre de Manon Labry que j’ai peu écouté les artistes du mouvement Riot Grrrls – qui, dans mon esprit, était plus large. J’ai entendu des morceaux de Bikini Kill mais jamais de Bratmobile ou Heavens to Betsy qui sont les fondatrices de ce courant. Par contre, j’aimais des groupes plus ou moins proches, comme Hole (j’en conviens, on est dans le plus populaire, là) mais aussi L7.
Revenons au livre : Manon Labry est française mais a étudié la culture américaine. Elle avoue d’entrée de jeu être un peu trop jeune pour avoir connu cette scène en temps réel mais y porte cet intérêt qui l’a poussée à écrire une chronique de l’époque et du mouvement.
« Il se trouve que : 1) j’ai choisi de ne pas naître aux États-Unis ; 2) j’ai choisi de naître un peu trop tard pour profiter pleinement de cette effervescence transcendante. La nostalgie guettant plus facilement celui ou celle qui a bouffé du pain blanc au bon endroit au bon moment, je suis peut-être tranquille de ce point de vue. » — Manon Labry (p.10)
Son récit est quasi chronologique, contant les histoires des principales protagonistes à Olympia (État de Washington) au début des années 1990 : Kathleen Hanna et Tobi Vail de Bikini Kill, Allison Wolfe et Molly Neuman de Bratmobile, Corin Tucker de Heavens to Betsy. Elle explique comment ces artistes souhaitaient que le rock soit féminin, joué par des femmes pour des femmes, dans une optique très DIY. Il y a eu plusieurs manifestes et le mouvement s’est très vite étendu dans l’ensemble des États-Unis, et même en Angleterre (avec Huggy Bear). Il y a eu de nombreux contacts avec la scène hardcore de Washington DC (Fugazi, entre autres). Et surtout, il a aidé les femmes à créer une culture alternative qui soit moins dans l’ombre des hommes.
« À tous les coups, dans la Wénérable Critique rock, quand on parle d’artistes femmes qui chantent, on parle de schizophrénie, cette rejetonne cachée de l’hystérie qu’on a tant voulu démontrer. Mais non, c’est bien plus… Grâce à leurs palettes vocales respectives incroyables, quand on est accroché aux lèvres de Bjelland, Sparks, Gardner et consortes, c’est les montagnes russes des émotions à l’écoute : comme une drogue à fonction cathartique qui ferait vivre séquentiellement en quelques poignées de minutes tous les états que tu peux régulièrement traverser en tant qu’anomiée, au mieux, au carré. » — Manon Labry (p.24)
Manon Labry emploie un style très personnel, très punk, très proche du langage parlé, inventant de multiples mots (et ne se justifiant pas à chaque fois, comme ci-dessus) – ce qui peut déstabiliser le lecteur. Ce qui a été mon cas d’ailleurs, pendant quelques pages, et puis je me suis habituée, le trouvant adapté au sujet. Cette lecture m’a donné envie de me replonger dans toute cette scène, d’écouter et de réécouter les disques marquants de cette époque (il y a quelques suggestions en bas de page). Et la partie féministe ne pouvait que me plaire.
Texte et photo : Anne-Sophie De Sutter
Manon Labry, Riot Grrrls : Chronique d’une révolution punk féministe
(Éditions La Découverte, collection « Zones », 2016)