Mare Nostrum ou l’indicible récit des migrations en Méditerranée
Vingt-deux décembre. Les fêtes de Noël se préparent. Les bateaux sont à quai, la tempête fait rage. Les pêcheurs, vêtus de cirés jaunes, trépignent car le village ne survivra pas à une mauvaise saison de plus. Dès le début de la pièce, nous sommes plongés dans la vie de quatre d’entre eux, entraînés d’emblée dans un tourbillon d’émotions. Nous vivons au rythme du carnet de bord de leur chalutier avec en filigranes, une musique de berceuse jouée au xylophone.
Comme toujours, le calme revient après la tempête. Enthousiastes et courageux, les pêcheurs prennent la mer. Quand l’horreur déboule sur scène, ils prennent peur. Des filets, sort un corps humain. Le récit bascule et nous entraîne dans le sillage vertigineux de l’horreur. Insoutenable.
Et merde. Merde. Merde. Putain de merde. Ça a dû se produire il y a quelques jours, pendant la tempête. Sont déjà verts. Gonflés au niveau du ventre surtout. Flottant sur le dos, les bras ouverts. Des Noirs. Fallait que ça tombe sur nous. Que ça arrive maintenant. Dans notre coin de mer. Après une semaine d’attente. — Aïko Solovkine, Mare Nostrum
Basé sur un fait divers réel, cette pièce intimiste nous confronte à la dure réalité des conditions de passage des migrants en Méditerranée et à la difficulté des locaux qui assistent à des drames humains qui les dépassent. Que faire lorsqu’on est soumis à un tel dilemme ? Où se cache l’humanité ? Entre bien et mal, les frontières s’estompent. Les marins vont choisir de rejeter les corps à la mer et de se taire. Est-on préparé à de telles situations ? La recette du jour est vitale, les formalités de la procédure pour déclarer les corps trouvés est lourde de temps et de pertes financières.
Le cheminement intérieur mènera lentement les protagonistes vers le désastre. L’eau coule à flots sur scène, amenant un climat de plus en plus oppressant. Le fil de la narration glisse hors du monde réel. La scène devient fantasmagorique, les personnages perdent pied. On raconte que des rescapés relatent un naufrage dans la zone. Comment personne n’a-t-il rien vu ? Le cœur n’y est plus.Ne pas avoir peur. Ne pas désespérer. Ne pas parler des cadavres. — Aïko Solovkine, Mare Nostrum
Tels des mantras, les personnages font résonner haut et fort ces quelques phrases. Mais rien n’y fait. Sans erreur possible, c’est une connerie de monde mais c’est le seul qu’on ait.
Emmanuelle Dejaiffe
photo : (c) Nicolas
Verfaillie
Aïko Solovkine / Le Groupe sanguin : Mare Nostrum
Jusqu'à ce Samedi 26 janvier
Théâtre de la Vie
45 Rue Traversière 45
1210 Saint-Josse-ten-Noode