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Marguerite Abouet et Clément Oubrerie : "Aya de Yopougon"

Abouet et Oubrerie - Aya de Yopougon 1
Premier tome d’une série qui en compte six, Aya de Yopougon narre les péripéties quotidiennes de trois jeunes femmes dans le quartier populaire de Yopougon à Abidjan, Côte d’Ivoire, au milieu des années 1970.

Le pays – alors perçu comme le bon élève de l’Afrique - connait un climat politique et social stable et jouit d’une relative prospérité économique. Les hôpitaux disposent du minimum d’équipements nécessaires et une majorité d’enfants fréquente l’école.

Et, étudier, c’est l’activité qui occupe la majorité du temps d’Aya, 19 ans, qui veut devenir médecin,  au grand dam de ses deux amies de toujours, Bintou (la plus « sorteuse ») et Adjoua (« l’écervelée »), plus enclines à « gazer » (sortir ou s’éclater en boîte ou ailleurs) dans les « maquis » (des restaurants bon marché où l’on danse) et à fréquenter les garçons, qu’à sécher sur leurs livres de cours.

Autour d’elles, dans ce quartier chaud de « Yop City » (« ça fait plus américain !») gravite une pléthore de personnages haut en couleur ou tristement conformes à ce que l’on attend d’eux, immédiatement sympathiques ou parfois un peu flippants !

Coureur de jupons devant l’éternel, Ignace, son père, est à la fois le directeur le directeur commercial à Solibra, une entreprise de boissons qui réalisa la première campagne publicitaire commerciale à la tv ivoirienne en 1978, l’heureux papa de deux enfants conçus hors mariage, avec sa secrétaire, et un géniteur bien peu désireux de voir sa fille s’assumer professionnellement en toute indépendance.

La famille Sissoko avec l’inquiétant Bonaventure, imposant patron (d’Ignace) à tendance tyrannique qui habite dans ce qui est sans doute la maison (le palais) à l’architecture la plus audacieuse du pays. Simone, sa pimbêche d’épouse, et Moussa, son fils malingre. Un coureur de jupon invétéré sans trop de réussite malgré sa tchatche et l’argent du paternel qu’il dépense à gogo. Il sera ensuite chassé du foyer par son père et apparaitra plus tard comme l’une des figures au parcours les plus atypiques de la série.

Beau jeune homme opportun dont la devise de vie semble être « je passais par-là ! », Mamadou est un séducteur patenté (Bintou sera du lot de ses conquêtes) qui finira par mettre Adjoua enceinte, et aura quelques difficultés à reconnaître sa paternité, puis à en assume les conséquences concrètes.

On croise aussi Hervé, personnage un peu « lent », amoureux d’Aya, et que celle-ci repoussera (« trop occupée » dit-elle) tout en le « redirigeant» vers Félicité, la bonne de la maisonnée d’Aya.

Dès les premières pages du tome 1 d’Aya de Yopougon, les trois jeunes filles, à l’aube de leur vie adulte, ont à poser, d’une manière ou d’une autre, un choix essentiel quant à leur devenir. — -

Dans le cas d’Aya, l’enjeu est de convaincre son paternel, et qu’une femme peut faire un excellent médecin et passer outre de son rôle « désigné » d‘épouse (si possible d’un homme riche) et mère de famille (nombreuse). Une chasse au futur mari que ne n’effraye pas Bintou qui se met à fréquenter le disgracieux mais fortuné Moussa. Et alors qu’Adjoua s’entiche de Mamadou, elle apprend de Fanta (mère d’Aya, elle a par ailleurs quelques talents de guérisseuse) qu’elle est enceinte et fait croire à la famille Sissoko que l’enfant qu’elle porte est de Moussa. Celle-ci se voit contrainte, par peur du scandale, de devoir organiser un mariage (au rabais) entre Moussa et Adjoua ! Mais à la naissance du bébé, la mère aura bien du mal à justifier que l’enfant est le portrait tout craché de Mamadou !

Dans ce petit bout d’Afrique « insouciante », ces marivaudages à la sauce ivoirienne prennent une saveur particulière, sont traités sur un mode humoristique et (apparemment) léger, mais pleinement inscrits dans un terreau sociologique local, et qui est aussi quelque part un substrat mémoriel, celui de l’enfance de l’auteure, Marguerite Abouet, qui a vécu dans le quartier de Yopougon jusqu’à l’âge de 12 ans. On est de fait plus enclins à penser que les trois d’ados ont toutes trois quelque chose de la scénariste en elles, plutôt qu’à considérer  spécifiquement l’une d’elles (Aya) comme l’alter-ego d’Abouet.

Le récit fourmille de termes de vocabulaire du cru (lexique à la fin du livre), d’anecdotes en pagaille et part d’un point de départ féminin et adolescent. L’auteure fait montre d’une grande sensibilité dans l’observation des situations et personnages, et une grande habilité à tisser les fils distendus d’une chronique somme toute ordinaire, qui entrecroise les trajectoires individuelles au sein d’une petite communauté à un moment essentiel de leur existence.
On rit aussi beaucoup de ces dilemmes constants entre envies légitimes d’émancipation, désirs naissants et/ou contrariés et rappel à l’ordre social. On en apprend beaucoup sur les us et coutumes complexes de Yopougon, et la manière pour ses habitants de s’en accommoder tant bien que mal et de se tirer des situations les plus triviales. — -

Un constat, les « mâles » et pères de famille ont une fâcheuse tendance à multiplier les conquêtes extraconjugales et à avoir des enfants en dehors de leur famille « officielle », et à se montrer « toujours verts » vis-à-vis des membres du sexe opposés nettement plus jeunes qu’eux, même quand elles leur sont apparentées.

De façon plus légère, les pages regorgent de détails piquants (comment dissimuler une robe de soirée sous une autre de jour, se faire remplacer ni vu ni connu au sein de sa propre famille quand on de sortie) ou poétiques (le lieu de rencontre amoureux nommé « l’Hôtel aux milles étoiles »), et de taties futées qui réparent les « pots cassés » de leur entourage.

Aya a par ailleurs déjà fait l’objet d’une adaptation animée très proche de son support d’origine.


Yannick Hustache


Marguerite Abouet et Clément Oubrerie : Aya de Yopougon
6 tomes (de 112 à 144 pages chacun)
éditions Gallimard Jeunesse (2005-2010)

ou

Marguerite Abouet et Clément Oubrerie : Aya de Yopougon
édition intégrale en 2 tomes de 360 pages
éditions Gallimard Jeunesse (2016)

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