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Messiaen : Et expecto resurrectionem mortuorum - « Je ne crois pas en la mort »

Messiaen : Et expecto resurrectionem mortuorum - « Je ne crois pas en la mort »

publié le par Nathalie Ccoronvaux

19 juin 1965, 15h, Serge Baudo dirige la générale de Et expecto resurrectionem mortuorum d’Olivier Messiaen, œuvre commandée par Andrée Malraux pour rendre hommage aux morts des deux guerres mondiales du 20ème siècle. La première audition publique est […]

Sommaire

Olivier Messiaen se présente comme croyant, catholique et chrétien. Son œuvre est irriguée par ses convictions. « Et j’attends la résurrection des morts » se lit dans une perspective pascale : en cinq tableaux, l’auditeur est amené par une formidable exégèse sonore, de la mort à la résurrection à la fin des temps.

La mort

Psaume 129-130 De profundis

« Des profondeurs, je crie vers Toi Seigneur. Ecoute mon appel. Que Ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ».

 

Le premier verset du psaume 129-130 est le déclencheur des choix musicaux de l’artiste. Qui parle ici ? Les âmes du purgatoire, des voix sortant des profondeurs de la terre. Un ensemble d’instruments à la tessiture grave (contrebasson, trombone basse, saxhorn basse) prennent en charge le thème des profondeurs tandis que six cors génèrent une complexité de sons donnant un mélange savant de couleurs comparé à l’art du vitrail dans lequel l’œil captant une abondance de coloris les synthétise pour n’en garder qu’un. Psaume pénitentiel par excellence récité lors de la messe des défunts, De profundis jette un cri désespéré. La fin de la pièce explose dans un tutti d’une grande force, en un cri jaillit de l'Abîme.

La résurrection du Christ

Saint-Paul, Epître aux Romains, chap.6, v.9

« Le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus; la mort sur lui n'a plus d'empire. »

 

La logique de Saint Paul aime à confronter les concepts dans la dualité. La résurrection du Christ est le gage de la nôtre. S’il n’était pas ressuscité, nous n’aurions pas droit à la résurrection. Le silence succédant au son dans un procédé binaire vient appuyer le propos. Le thème se répète trois fois, nombre éminemment symbolique. Le processus démarre dans l’aigu dans un tempo rapide suivi par un silence pendant lequel la mémoire de l’auditeur comble le manque de stimulus auditif. Enfin, les bois font surgir le thème dans une forme simple et dépouillée sans harmonisation, dans un tempo lent adossé à un ostinato de percussions basé sur un rythme indou appelé « la Force du lion » par analogie avec le Christ nommé le Lion de Judas dans l’écriture sainte.

 

De la mort à la Vie

Evangile selon Saint-Jean, chap.5, v.25

« L'heure vient où les morts entendront la voix du Fils de Dieu... »

 

Cette voix évoquée dans le titre de la pièce est symbolisée par le chant mystérieux d’un oiseau de l'Amazonie : l'uirapuru. Celui-ci produit des sons flûtés se déplaçant par sauts d’amples intervalles, des changements brusques de dynamiques et de registres. Son chant se fait entendre au moment de la mort. Les bois se voient confié ce rôle de médiateur céleste accompagnés par le carillon tubulaire. À la suite de ces deux voix, le peuple des morts s’éveille et l’orchestre frémit. Après un silence, le thème symbolique est repris dans l’extrême grave comme la voix de la profondeur, la voix même de la conscience des morts.

Un énorme trille des gongs et des tam-tams prolonge cet appel et aboutit à un fortissimo formidable prolongé d’une résonnance mystérieuse et inquiétante.

 

La résurrection

Saint-Paul, 1e Epître aux Corinthiens, chap.15, v.43 ;  Apocalypse de Saint-Jean, chap.2, v.17 ; Livre de Job, chap. 38, v.7

 « Ils ressusciteront, glorieux, avec un nom nouveau - dans le concert joyeux des étoiles et les acclamations des fils du ciel. »

 

Le moment ineffable et solennel de la résurrection est accompagné de la mélodie lointaine des étoiles. Le tam-tam au son indéterminé composé de fréquences variables symbolise les vibrations d’étoiles. Trois coups à la dynamique à chaque fois renouvelée forment des incises entre chaque strophe de la pièce. L’introït de la fête de Pâques, fête de la résurrection du Christ et par suite de la résurrection des chrétiens et de tous les hommes résonne aux cloches entourées d’un halo d’harmonies produit par 3 cencérros (*) qui évoluent modalement en-dessous et au-dessus des cloches. Les tam-tams introduisent un ostinato des cloches superposé à un alléluia joué par la trompette et les bois qui font entendre des couleurs d’accords différentes pour chaque note de cette trompette. Ces déclinaisons chromatiques sont choisies de telle sorte qu’elles permettent aux notes de la trompette d’être audibles même si l’instrument ne les a pas jouées. Le chant de l’alouette calandre fournit un nouveau symbole, celui de la joie des corps glorieux. Son chant très varié rythmiquement évolue entre ciel et terre et suit les phases du vol. Pour reproduire ces caractéristiques, le compositeur use de nombreux changements de mètres dont la battue du chef d’orchestre permet de se rendre compte. La rapidité d’émission est rendue par des combinaisons de sons joués par les bois qui donnent l’impression d’un grésillement.

* Le cencerro, ou la campana, est une petite cloche utilisée comme instrument de percussion dans la musique cubaine. Il trouve son origine dans les cloches portées par les troupeaux.

L’accomplissement

Apocalypse de Saint-Jean, chap.19, v.6

 « Et j’entendis la voix d’une foule immense »

 

La dimension eschatologique du texte de Saint Jean s’exprime ici par le tutti de l'orchestre et les gongs chargés d’un effet choral énorme et unanime. Le thème est basé sur des intervalles de quartes augmentées descendantes, le fameux « Diabolus in musica », intervalle favori de Messiaen. La phrase, tantôt monodique, tantôt harmonisée avec un ostinato constant de gongs en doubles croches et tout le tutti qui se mêle et s’entremêle pour donner l’impression d’un chœur immense, de milliards de personnes qui chanteraient toutes ensemble  ainsi que le dit le texte de l’Apocalypse.

Anne Genette



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