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« Mon enfant, cet étranger » : sous l'emprise de la rage

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Le témoignage de parents confrontés à l'extrême violence de leur enfant repose la question brûlante de l'autorité, concept dont notre époque ne semble plus savoir que faire. Ce documentaire de Philippe Lainé et Stéphanie Maignant fera l'objet d'une diffusion lors des 12ème rencontres Images Mentales organisées par Psymages du 06 au 14 février 2020 à Bruxelles.
« — J’ai dit, mais je déteste mon fils, je le supporte plus. C’est horrible pour une mère de dire qu’elle déteste son fils et qu'elle préférerait que ça s'arrête, de ne pas avoir de fils plutôt que d'avoir un fils qui rend la vie impossible. J'ai dû dire ça, et en même temps le dire c'est effroyable. Ce n'est pas possible de ne pas aimer ses enfants, et de croire qu'on ne les aime pas, c'est affreux de penser ça. — »

Voilà un documentaire qui interpelle tant par son sujet que par le point de vue univoque de son propos. Au CHU de Montpellier, un groupe de parole réunit des parents – des mères essentiellement – en situation de détresse face à la violence inouïe que leur enfant déploie à leur égard. Sur ce thème intriguant et cependant peu visité à l'écran, le film effectue une ronde de témoignages entrelaçant plans extérieurs sur la plage et plans intérieurs captés en salle de discussion, ou simplement sur fond noir. En guise d’interludes, des séquences floutées accompagnées de musique figurent de très jeunes enfants jouant au bord de la mer, venant ensuite se blottir dans les bras de leurs parents, tandis que sous l’œil tremblant d'une caméra amateur défilent des photos de nouveau-nés radieux nimbés de tendresse maternelle. Tragique tableau que ces archives familiales dont la félicité heurte de plein fouet le désespoir et l’exténuation, les fatigues et les angoisses que racontent les visages des mères filmées en gros plans. Et vraiment, ce que ces femmes ont à révéler de leur progéniture défie l’entendement, quoique, il faut le dire, aucun parent mis au fait de ces rapports extrêmes ne pourra entièrement se désolidariser de ces récits, tant la problématique qui les sous-tend paraît intrinsèquement liée à l’œuvre éducationnelle.

Mais si les crises sont un fait quotidien de la petite enfance, ce constat ne dit encore rien du degré d’intensité qu’elles peuvent atteindre, pas plus que de leur évolution au fil de l’âge ni de l’ambiance générale qui voit survenir ses poussées de rage. La colère d’un enfant de sept ou de dix-sept ans qui s’en prend aux choses et au décor, casse, défonce, jette, détruit, maltraite ses parents et va jusqu’à se blesser lui-même dans l’extrême fureur de ses gestes, cette colère-là n’a plus grand-chose en commun avec le supposé « caprice » qui, naturellement et ce, pendant de très longues minutes, possède les tout petits. Plus qu’incontrôlables et violents, les fils et filles dont les inquiétants profils se surimpriment aux propos de leur mère affiliée au groupe de parole du CHU de Montpellier, sont avant tout extrêmement malheureux.

Cette rage qui les habite, nul ne la comprend. Les accès résistent à toute interprétation. Face à l'inexplicable, encore faut-il que les professionnels de la santé et de l’éducation aient l’intelligence de suspendre leurs diagnostics et leurs jugements pour reconnaître les limites empiriques de tout savoir. En l’occurrence, il semblerait que, pour accueillir la détresse parentale, l’intelligence et le tact ne soient pas souvent au rendez-vous. Du point de vue des médecins, des psychologues, des conseillers scolaires, des professeurs, des proches, des amis, de la famille... il ne peut y avoir qu’une seule cause à ce mal : un défaut d’éducation. Et de coupable, une seule aussi : la mère.

« — Dès l’arrivée au monde de l’enfant, on recherche la faute des mères qui ont été trop aimantes, pas assez aimantes, trop câlines, pas assez câlines. Trop ou pas assez. Je pense qu’on est jugées dès le premier souffle de vie de notre enfant, donc on ne peut que se culpabiliser de ne pas avoir fait ce qu’il fallait. Je ne suis pas sûre que les pères aient la même pression sociale et familiale par rapport à leur rôle de père. — ».

Nathalie Franc, pédopsychiatre fondatrice de la structure qui accueille le documentaire, admet un grand désarroi :

« — On est au carrefour de l’éducatif, de la dynamique familiale, de l’existence d’un trouble médical. Les professionnels sont perdus. — ».

Perdu, le spectateur pourrait l’être également. Sans contrechamp sinon celui de la Méditerranée dans sa vision d’un tumulte irrésolu, le point de vue qui consiste à enregistrer le seul discours des mères pour exclure celui des professionnels de santé et celui des pères, les uns et les autres s’affichant absents à la barre des accusés, comme, bien entendu celui des enfants concernés, met le spectateur au défi de rester à la hauteur des témoins, de ne pas tenter de déduire de ces cas singuliers une quelconque vérité générale sur l’éducation, de ne pas se faire un avis, de ne pas poser un arrêt. L’épreuve s’avère pénible et efficace en ce qu’elle refuse les commodités d’une résolution et, avec elle, empêche que survienne un quelconque soulagement quant à l'éventualité qu'une telle malédiction s'abatte sur sa propre famille. Qu’on se place du côté de la rage ou du côté de sa cible, la souffrance exprimée par ces femmes, leur aveu d’impuissance, leur insurmontable sentiment de culpabilité sont des affects qui, à peine énoncés, provoquent un effet miroir glaçant.

Dans ce parti-pris de malaise, c’est, avec la sociologie et la médecine, tout un pan de la science des comportements que le film évacue au profit de la foi dans les vertus du partage et de l’écoute. Sans doute l’expérience intime que Philippe Lainé entretient avec le sujet y est-elle pour beaucoup, le coréalisateur du documentaire assumant lui aussi la charge d'une paternité difficile, son fils étant atteint d’un trouble similaire. Et tout se passe comme si sa propre fréquentation du groupe de Montpellier avait amené le cinéaste à prendre conscience d’un élément subsidiaire à la problématique de l’enfant tyrannique : le silence, ce poids des non-dits qui écrase ces "cas" du fait qu'ils ne ressortent pas de la clinique ordinaire. Le courage qu’il faut pour demander de l’aide rencontre rarement la compréhension nécessaire. Aussi la parole autour de laquelle s’articule le documentaire est-elle rarement relayée. De la honte ressentie par les mères – car ne pas arriver à gérer son propre enfant se ressent comme une honte –, il en va comme d’une intimation à se taire.

« — On est dans une période de crise, de transition dans la société, où il faut redéfinir ce qu’est l’autorité. — ».

Au bout d’une heure, le spectateur n’en saura pas davantage sur la manière dont il convient d’agir pour ne jamais en arriver à de telles extrêmes avec son propre enfant. Trop de contrôle, dira-t-on, nuit tout autant qu’un laxisme confiant, mais sans doute n’existe-t-il pas de formule miracle dans la réussite d'une éducation. Toutefois, l’air de rien, tout replié qu’il soit sur sa petite cellule de parole, le film laisse filtrer une information primordiale sur la valeur de l’écoute, valeur thérapeutique et, plus encore, prophylactique. Après tout, pourquoi ne pas s’en remettre à cette idée que ce qui soigne les parents correspond à ce dont les enfants ont le plus besoin ? C’est-à-dire, d'une oreille attentive et non jugeante ? Dans cet ordre idéal des choses, laissons le dernier mot à la parole experte autant que sibylline d’Isabelle Filliozat, importatrice en France du concept de parentalité positive, propos que chacun restera libre d’interpréter à sa guise : « Les enfants n’ont pas tant besoin qu’on leur fixe des limites que du fait qu’on les leur garantisse. »



Projection du documentaire le 12/02/20 à la Vénerie (Watermael Boitsfort) à 11h10

Dans le cadre des 12ème rencontres Images Mentales organisées par Psymages.

Plus d'informations sur cette séance et programme complet des rencontres


Texte et capture : Catherine De Poortere

Image en bannière : Unsplash

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