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Murmuziek, parole libérée

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Entamé en janvier 2018, le projet MURMUZIEK a réalisé quinze séances de travail, rassemblant des détenus de la prison de Forest et des artistes venus du dehors. Chaque semaine, l’équipe a franchi les portes, passé les sas, les grilles, pour rejoindre une petite pièce où ils ont retrouvé les participants de leur atelier. Là ils ont accompli, avec une dizaine de volontaires, 120 minutes hebdomadaires de création artistique. Un temps court, et donc précieux, presque fébrile, tranchant avec la routine carcérale, passé à écrire, jouer et chanter des morceaux inédits, entièrement composés derrière les barreaux.

Lancé à l’initiative du Centre culturel Jacques Franck et du SLAJ-V (Service Laïque d'Aide aux Justiciables et aux Victimes), ce projet ambitieux a pour volonté de donner la parole aux détenus et de leur permettre de la mettre en musique. Pour mener à bien ces ateliers et encadrer les participants, le CC Jacques Frank a fait appel à trois intervenants artistiques : Brune Campos (artiste multidisciplinaire et performatrice en chant et en danse), Carl Roosens (chanteur, parolier et musicien au sein des groupes Carl & les Hommes-Boîtes, Péritelle et Facteur Cheval, illustrateur, réalisateur de films d'animation) et Damien Magnette (ingénieur du son, fondateur du Wild Classical Music Ensemble, musicien au sein des groupes Zoft et Facteur Cheval, réalisateur de documentaires radiophoniques).

Le projet sera présenté à PointCulture Bruxelles le 21 juin dans le cadre de la fête de la musique.



Nous avons rencontré Carl Roosens et Brune Campos, l'interview s'est déroulée entre la première et la deuxième session d'ateliers.


- Quel est l’historique du projet ?

Carl Roosens – C’est le Slaj-V, le Service laïque d’aide aux justiciables et aux victimes, qui a contacté le Centre culturel Jacques Frank dans l’idée de trouver un partenaire culturel.

Brune Campos – Ce projet est une première collaboration entre le CCJF et le Slaj-V. Il y au sein du Slaj-V a une personne qui est responsable de la mise au point de projets socio-culturels au sein de la prison. Elle a pris contact avec la directrice du CCJF qui a ensuite mis Barbara Decloux en charge du projet.


- Une fois en prison, comment s’est organisé l’atelier en pratique ?

CR - On avait une alliée à l’intérieur qui est Marie-Claude Borré. Elle fait vraiment partie intégrante du projet, et a fait tout le travail de communication. Elle a mis des affiches, rencontré les gens pour savoir ce qu’ils voulaient, leur a transmis le questionnaire qu’on avait écrit pour essayer de prévoir un peu vers quoi on allait aller, connaître leurs goûts musicaux, des questions de base. Elle a mis tout ça en place, et elle est en train de le refaire pour la suite.

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BC – Il y a eu dix-sept inscriptions. On a fait deux groupes, parce qu’on était dans un lieu tout petit. Il y a eu ensuite une sorte de sélection naturelle qui s’est faite et il est resté entre 9 et 11 personnes, qui ont tourné pendant tout le projet, avec les sorties, les libérations.

CR – Sur l’affiche on avait indiqué : « atelier de musique - tu as envie de t’exprimer, de chanter, de crier, de faire de la poésie, etc. » on avait fait un truc super large en disant juste qu’on allait faire de la musique ensemble, sans préciser quel genre, c’était ouvert. On ne savait pas trop quoi attendre. On s’était préparés à fond, mais tout s’est précisé à partir du moment où on les a rencontrés en chair et en os.


- Certains d’entre eux avaient déjà une idée en tête.

BC – Tout à fait, il y avait même deux producteurs parmi eux qui s’occupent de groupes dans leur milieu. Plusieurs avaient déjà produit des disques de rap, et apparaissent dans des clips. Ils étaient déjà dans une démarche artistique, avec une pratique quotidienne de l’écriture. Ils avaient déjà des textes et une vraie envie de les dire et de les produire.

- Et vous, vous amenez des thématiques pour reprendre tout à zéro.

BC – Ça a été un dialogue, tendu mais un dialogue. On voulait trouver notre place aussi là-dedans, leur donner la possibilité de trouver une autre manière de construire les choses. On ne leur a jamais rien imposé, c’était juste l’idée de construire tous ensemble mais en prenant en compte leur désir premier, qui était de faire leurs morceaux. On leur a dit qu’on allait faire un morceau en commun et pour ça cadrer un peu cet espace-là.

CR – On a mis un certain temps pour se capter, pour se faire confiance. Au début on avait quelques contraintes qu’on voulait respecter. Tous les morceaux devaient être produits à la bouche par exemple. Au début ils nous regardaient genre « c’est quoi ce truc de guignols, nous on écoute du gros son, qui claque, de la trap… » Ils ont mis du temps avant de prendre notre truc au sérieux. Damien (Magnette) a dû faire un gros travail de post-production, chaque fois qu’on revenait de là-bas, pour gonfler le son. Il a appris sur le tas, avec une énorme pression parce qu’il devait revenir la semaine suivante avec quelque chose qui les impressionne. Ça a pris jusqu’à la fin des ateliers pour que la confiance s’installe. Du coup on prévoyait plein de trucs, mais de toute façon, chaque fois qu’on débarquait, ils retournaient tout, c’est-à-dire que très vite ils nous ont dit que ce qu’ils voulaient c’était de freestyler sur des instrus trouvés sur internet. Du coup ils nous ont fait une liste des artistes qu’ils aimaient bien. On leur amenait ça la semaine d’après et on partageait l’atelier en deux, la première partie on travaillait sur les morceaux de Murmuziek, et la deuxième, c’était freestyle. C’était un vrai besoin pour eux, je crois que s’ils avaient pu ne faire que ça ils auraient été tout aussi contents. On a coupé la poire en deux. Et au bout d’un temps, les deux parties les ont intéressés tout autant.

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BC – Ça a été compliqué de les convaincre de bosser sur une thématique, mais finalement pour certains ça leur a donné l’impulsion, le goût d’écrire et de faire de la musique. Il y a notamment une personne, Boris, qui s’est complètement émancipée, qui a bourgeonné tout au long du projet. Le fait qu’on cadre, pour lui qui n’était pas à la base dans une démarche artistique, ça l’a libéré.

CR – C’est quelqu’un qui écrivait juste pour lui, dans son cahier. Il venait toujours 5 minutes avant les autres, pour vite enregistrer ses textes avant que les autres n’arrivent. Au début il n’était pas du tout à l’aise avec ses textes, c’était compliqué pour lui de se lancer devant les autres. Mais ce qu’il amenait comme texte était dingue, et à la fin…

BC – … à la fin il a obtenu de l’estime des autres. Il y a un dialogue qui s’est installé. Il y a beaucoup de respect et de solidarité entre eux. Quand il y en a un qui ne va pas bien, ils se soutiennent.

CR – Il y a beaucoup de bienveillance entre eux, et avec nous aussi.

BC – À partir du moment où ils ont vu qu’on ne leur voulait pas de mal, qu’on voulait qu’ils s’éclatent, il y a un lien qui s’est installé. Le problème, c’est que parmi eux il y avait des gens qui étaient déjà très très bons, comme Lar2son, par exemple, qui a une écriture somptueuse, et des gars qui, par contre, n’avaient jamais fait ça. Alors comment trouver un équilibre ? Mais c’était très beau, Lar2son a pris les gens sous son aile, les a coachés et boostés, et les a poussés vers le micro. Il y en avait deux qui étaient producteurs mais qui n’avaient jamais chanté. Mais ils ont joué le jeu. Ça devenait parfois hyper fragile mais petit à petit ils se sont installés dans les morceaux.

CR – Parmi eux il n’y avait que Lar2son qui avait déjà fait de la scène. La plupart avaient fait des enregistrements, des clips, mais pas des concerts.


- Ils se connaissaient avant ?

CR – A priori ils se connaissent tous, de dedans et de l’extérieur. Ils viennent tous du même coin, du même quartier. Ils se connaissent pour certains depuis qu’ils sont gamins.


- C'est un tabou de parler de ce qui les a amenés là ?

BC – C’est une règle qu’on s’est imposée, pour essayer d’être dans le jugement le moins possible, pour être plus ouvert. Je pense que si on me racontait un sale truc sur un des gars, je n’aurais pas le même regard sur lui.

CR – Les gars eux-mêmes n’en parlent jamais. S’ils viennent à un atelier c’est justement pour lâcher prise et partir ailleurs. Il n’y a jamais eu de confidences à ce sujet-là. Au fur et à mesure des ateliers, c’était plus des morceaux de l’extérieur qui venaient. Ils montraient des photos de leurs enfants, c’était des trucs plus personnels, mais pas leur « cas ». Je crois qu’on aurait stoppé court, mais de toute façon ça ne s’est jamais présenté.

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- Le choix des thématiques avait été pensé avant de commencer ?

BC – En fait ça a été tout un processus pour leur proposer des choses dans lesquelles ils se sentent à l’aise, auxquelles ils s’identifient. On a beaucoup réfléchi, Damien, Carl et moi, sur des thèmes comme la fin du monde, l’apocalypse. Puis Carl est arrivé avec la première thématique, celle des fléaux, et ça a super bien fonctionné. Tout le monde a joué le jeu et a cherché à incarner un fléau. Moi j’avais gardé dans mes documents plein de discours politiques. Je les ai amenés en leur demandant d’incarner le rôle d’un président qui vient défendre sa campagne électorale. Ça les a vachement fait écrire sur leur engagement, sur la manière de donner du pouvoir à leurs paroles. C’était assez beau de voir comment ils se sont approprié le thème.


- Ça a donné un des textes les plus étranges de la série, « Votez pour moi », où chacun interprète à sa façon la volonté de pouvoir, de puissance…

BC – Exactement. C’était étonnant de voir comment chacun s’est identifié à ce qu’on leur proposait, ce qu’il en faisait. Je ne sais pas si on va continuer à fonctionner comme ça par la suite mais c’était un enjeu à ce moment-là d’arriver à créer un morceau ensemble. On les poursuivait pour qu’ils avancent sur leurs textes. Après il y a une sélection naturelle qui faisait que certains avaient plus envie de parler d’un thème ou d’un autre, avec lequel ils s’identifiaient plus.

CR – Les thèmes sont nés sur place, à leur contact. On avait plein d’autres idées avant de commencer mais c’est en voyant ce qui les animait qu’on s’est demandé comment on allait s’adapter. On s’est pris des claques, ils ont refusé beaucoup de ce qu’on amenait. On a essayé de trouver quelque chose de pas trop éloigné de ce qu’ils aimaient vraiment.

BC – On leur avait par exemple proposé d’improviser une fiction radiophonique, avec un fond sonore de l’extérieur. On voulait les embarquer dans un imaginaire, mais finalement ils n’avaient qu’une envie, c’est de faire du rap.


- Tout ça peut changer complètement avec le groupe suivant.

CR – Oui, on en parlait justement. Marie, qui rencontre les candidats suivants, a notamment trouvé quelqu’un qui joue de la guitare. On est bien sûr intéressés, on n’a pas du tout envie de fermer le projet, d’en faire un atelier hip-hop.

BC – Ces quatre premiers textes, ils ont aussi une origine culturelle. La plupart des participants au premier atelier étaient congolais. Ils avaient une manière bien à eux de porter leurs textes, même physiquement. Leurs textes parlent de leur vie, de leur couleur, de l’injustice qu’ils vivent parfois. Ils mélangent le français et le lingala. Ce ne sera pas forcément la même chose avec les suivants, selon la composition du groupe. Il n’y aura pas forcément la même énergie.

CR – On espère que les gens qui ont entendu parler des ateliers, ou qui ont assisté au concert en prison, ne se feront pas une idée fausse de l’atelier, qu’ils ne seront pas refroidis en croyant que c’est du hip-hop qu’on veut faire. Nous ce qu’on veut c’est laisser le champ ouvert, mais c’est possible que ça nous enlève du monde. On va repréciser ça.

BC – On a beaucoup communiqué, au sein de la prison, avec les gens qui voulaient venir, ou qui ne voulaient plus venir. Il y a pour cela une vraie collaboration avec Marie-Claude, sur ce qu’il faut faire et ne pas faire, comment réagir face à certaines situations. C’est un milieu avec une tout autre forme de communication, de gestion, avec une très forte hiérarchie. Il faut être très précautionneux pour s’adresser aux détenus, aux gardiens, pour que les choses se passent bien.

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- Vous n’aviez pas d’expérience préalable de ce milieu ? Vous aviez un intérêt particulier pour le milieu carcéral ?

CR – Je n’y avais jamais pensé avant. Au départ on a avant tout répondu à la proposition de Barbara Decloux.

BC – Moi j’ai essayé il y a huit ans de monter un projet en prison, mais c’était un projet autour du corps, de la danse. J’étais en binôme avec une autre fille, mais c’était en France, où le fonctionnement administratif n’est pas du tout le même. En France il y a un espace dans chaque prison, qui est géré par une personne qui appartient à l’administration pénitentiaire. Ici en Belgique, ce sont plusieurs associations extérieures qui ont chacune un créneau horaire pour développer un projet. Moi ce qui m’avait fatigué, c’était de devoir faire le tour de toutes ces associations et de faire toutes les démarches pour les convaincre. Donc quand j’ai eu cette possibilité avec le Slaj-V et le CC Jacques Frank, ça m’a tout de suite intéressée. Le directeur de la prison de Forest est aussi un soutien important du projet. C’est quelqu’un qui a un vrai amour de la personne, qui n’est pas dans un rapport de pouvoir avec eux. Le milieu est super-infantilisant pour les détenus, avec des règles, des horaires très stricts. Lui parle de leur redonner de l’humanité, de les soutenir physiquement et moralement malgré leur situation d’enfermement. Il parle de langage brut, particulier, et qu’il faut des artistes pour arriver à se connecter à leurs besoins, à un niveau presque viscéral. Je crois que c’est ce que Damien, Carl et moi on a essayé de faire dans ce boulot. En tout cas, moi je m’y retrouve, dans la communication avec ces personnes. Je sens que je porte une même colère. Je me positionne toujours sur la question de savoir si je suis juste, par rapport au projet, aux personnes, par rapport à Damien et Carl. Je remets toujours tout en question. Si je dois partir je pars.

CR – Je pense qu’on est tous dans cette remise en question permanente. On rempile cette année mais c’est important que ça s’ouvre à d’autres personnes, d’autres musiciens, d’autres pratiques ; Il faut garder ce lien, mais pas forcément avec nous. Il faut peut-être passer le relai à d’autres, qui apportent d’autres couleurs, d’autres trucs, mais maintenir cette expression, qu’elle soit musicale ou autre. En tout cas la parole, je pense que c’est libérateur. Il y a un besoin dingue en prison pour ce genre de choses. Il y a trop souvent des ateliers qui sont juste de l’occupationnel…

BC – … ou de la caricature où on les stigmatise, on les met dans des boites. Ce qui est fort dans ce projet-ci c’est que même si la prison a une politique où les ateliers ne doivent pas durer trop longtemps, on a pu construire quelque chose sur la durée. Ça n’a pas toujours été facile, il fallait passer par des séquences de défoulement avant de pouvoir s’y mettre et rentrer dans le travail. Eux arrivent chaque fois avec des énergies incroyables qu’il fallait prendre en compte. Il fallait être dans le présent pour accéder à eux et extirper leur vision des choses.

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- Est-ce qu’il y aura une suite pour ceux qui ont terminé les ateliers ?

CR – On va monter une date à l’extérieur, un concert avec ceux qui sont sortis. On voudrait pouvoir filmer Boris qui est toujours en prison, et les faire jouer simultanément. C’est un projet de carte blanche au Brass. On espère que ce projet va faire rayonner leurs autres projets et éventuellement déboucher sur autre chose. Il faut en tout cas qu’on se voie au dehors pour en parler. Tout va dépendre de leur motivation, de leur état d’esprit une fois au dehors.

BC – C’est-à-dire qu’on a eu là un groupe hyper-fort, engagé artistiquement dans le projet. On se demande comment les aider dans leur réinsertion, qui est un très vilain mot administratif, mais on voudrait leur dire qu’ils sont beaux, qu’ils doivent y aller ! Dans l’interview qu’ils ont donnée à Radio Moskou, ils expliquaient qu’ils n’attendent que ça, qu’ils veulent rentrer dans d’autres réseaux, sortir de leur système musical et rencontrer d’autres gens.


- Il faut voir s’ils veulent encore être associés à un projet qui leur rappelle la prison, où ils seraient présentés avant tout comme des anciens détenus.

CR – Oui c’est ça. Nous ce qu’on voudrait c’est que ça devienne un groupe qui serait jugé selon ses propres mérites. Ça doit être lourd pour eux d’être présentés avec cette étiquette « prison ». C’est tout un débat, il faut bien se dire c’est tout un questionnement qu’on a dans la communication qu’on peut faire autour du groupe. D’un côté ça peut leur amener des concerts mais c’est lourd. On a peur que ça tourne au voyeurisme. Ça n’a jamais été le but, nous ce qu’on veut c’est que leur propos soit mis en valeur, que ça envoie. On veut aboutir à un projet qui a de la gueule.

Propos recueillis par Benoit Deuxant



Concerts passés :

Le Brass, mercredi 22 mai 2019, à partir de 20h.

PointCulture Bruxelles, vendredi 21 juin 2019 (Fête de la musique)

Concert à venir

Cinéma Nova (Bruxelles), le vendredi 21 février 2020

murmuziek sur bandcamp: https://murmuziek.bandcamp.com/

photos NB et vidéos : Atelier Zorobabel
photos du concert à la prison de Forest : Brune Campos
illustration : flyer de Carl Roosensk