Musica em Casa, la lusophonie à la maison 3 : Elida Almeida
Elida Almeida, c'est l'étoile montante du Cap-Vert. Maintes fois primée, adulée dans son pays, elle s'est lancée depuis peu vers une carrière internationale et commence à se faire reconnaître par son approche de la musique à la fois traditionnelle et ouvertement moderne.
Pourtant, les débuts ont été difficiles. Née en 1993 dans la petite ville de Pedra Badejo à l'est de l'île de Santiago au Cap-Vert, la petite Elida grandit chez ses grands-parents, dans la montagne, sans électricité ni confort matériel. Lorsqu'elle dispose d'un peu de temps, elle écoute la musique diffusée sur les ondes avec sa petite radio à piles. À peine a-t-elle entendu une chanson, qu'elle peut la reprendre la fois suivante.
« C'est avec la radio que j'ai connu nos traditions, que j'ai connu notre identité, le funaná, le batuque. le tabanka. C'est à travers la radio que je sais qui je suis. » (Entretien avec Elida Almeida, par Julie Henoch, RTS Radio, avril 2019)
La mort prématurée de son père l'affecte particulièrement et la contraint à déménager, avec sa mère, sur l'île de Maio où elle doit s'adapter à un nouvel environnement. Elle entame tant bien que mal des études tout en aidant sa mère à subvenir aux besoins de la famille en vendant des légumes en rue. De retour sur l'île de Santiago, encore adolescente, elle se retrouve mère d'un petit garçon mais poursuit sa scolarité, tout en prenant soin de son fils, de ses frères et de ses sœurs.
Elida est une battante. Sa confiance en elle est la plus forte. "Ma force et ma volonté étaient grandes. Je ne me fatiguais pas ni ne perdais la tête" (1). Elle travaille dur et se distingue comme étudiante tout au long du secondaire et du cycle supérieur afin, souhaite-t-elle, d'être juge ou procureure, motivée par son désir de justice et pour aider les gens qui, comme elle, souffrent des conditions de vie pénibles.
Le dimanche, à l'église, elle découvre sa voix et travaille sa technique vocale lors des chants religieux. Elle se met à apprendre la guitare et à écrire également. À dix-sept ans, elle écrit "Nta Konsigui" (Je réussirai) qui parle de ses rêves et de ses espoirs. L'enthousiasme suscité par la chanson auprès du public local l'incite à tenter sa chance à Praia. Elle chante dans les bars de la capitale cap-verdienne lorsqu'elle est repérée par un producteur – et non des moindres –, José Da Silva, fondateur du label Lusafrica et découvreur entre autres de Cesária Évora et de Lura.
Grâce à lui, elle enregistre Ora Doci, Ora Margos (Heures douces, heures sombres) en 2014, un album aux textes très personnels, voire autobiographiques, un mélange d'amour, de tristesse, de rêves et d'attachement au pays, avec des mots qui touchent par leur simplicité et donc leur force. La musique puise dans plusieurs styles cap-verdiens comme la morna ("Mar Sagrado") ou la coladeira ("Nhu Santiagu"), mais aussi le funaná ("Txiku Branku").
Les chansons passent sur toutes les stations radio et sont chantées par les Cap-verdiens et, quand l'album sort au Portugal, c'est un véritable succès qui lui vaut finalement le prix Découvertes RFI en 2015.
Après une tournée au Cap-Vert, Elida se fait connaître en Europe et aux États-Unis. Puis, en 2017, elle sort Djunta Kudjer (Mettons nos cuillères ensemble – unissons-nous par amitié), un EP de six titres, dont quatre inédits, pour patienter en attendant son album suivant. Bien ancrée dans son époque, la jeune chanteuse ne renie pas les styles traditionnels de son île : si "Forti Dor" est une bien jolie ballade romantique, "Discriminason" lorgne vers le funaná, "Era Mintira" vers le batuque et surtout "Bersu d’Oru", qui utilise la tabanka, un style qui est le symbole de la lutte contre la colonisation et l’affirmation de l’identité africaine de l’archipel.
Pour Kebrada, en 2018, un album du nom du village de montagne où elle a passé son enfance, Elida a écrit et composé presque tous les titres, comme pour les précédents albums. Les arrangements du guitariste Hernani Almeida soulignent délicatement le propos, l’émotion, et les thèmes abordés. On retrouve ce côté très personnel, en relation avec ses préoccupations de jeune femme au Cap-Vert : le mariage, la séparation, l’amitié, l’amour familial, les difficultés d’être femme, d’être fille, d’être mère… Et aussi un bel hommage à sa maman : "Je serai ton enfant pour toujours, jamais je ne t’échangerai avec quiconque. Maman, donne-moi des ailes pour m’envoler, pour que je puisse devenir femme" (2).
En 2019 et au début 2020, la chanteuse continue de se produire sur scène, de créer, de chanter, seule ou avec d’autres interprètes, et de réaliser de nouveaux clips vidéo. Ainsi, en plein Covid-19, elle sort "Nada Ka Muda" (Rien ne change), un single qui dépeint la vie quotidienne de voisins pendant le confinement. Elle explique que rien ne change vraiment dans l’exécution de ses obligations quotidiennes : la vie se déroule de la même manière. Le clip, tourné em casa (à la maison), atteint déjà plus de 250 000 vues en un mois. Enfin, la sortie d’un nouvel album, prévu en 2020, est repoussée de quelques mois.
Elida Almeida est une chanteuse débordante de sincérité et d’authenticité. Ses textes répondent aux aspirations et aux rêves d’une jeunesse cap-verdienne qui veut sortir de son quotidien difficile et de l’isolement. En phase avec les préoccupations actuelles, elle nourrit ses chansons de son expérience personnelle : ses problèmes, ses rêves, l'amour, la famille, l'amitié.
Elle chante en kriolu, le créole cap-verdien proche du portugais. Sa voix profonde et puissante charme instantanément et engendre l’émotion ou entraîne à la danse. Il y a du blues et de la joie dans son timbre suave et chaud, comme si cela sortait de son corps et de son âme.
Musicalement, elle est vraiment différente de l'icône cap-verdienne Cesária Évora. Les coladeiras et les mornas sont rares dans son répertoire. Elle privilégie plutôt les rythmes et le style de l'île de Santiago en actualisant les mélodies, l'instrumentation et l'interprétation.
Sur scène, son répertoire prend vie. Les souvenirs des expériences vécues sous-tendent l'énergie de ses spectacles où elle partage sa personnalité et ses sentiments. Il lui est même arrivé de pleurer sur scène, submergée par l'émotion qu'elle ressentait.
Dans la vidéo qui suit, "Joana", tirée de son premier album, dépeint la situation d'une adolescente qui se retrouve enceinte. "Joana a toujours été bien réglée, mais nous sommes à la moitié du mois ... Oh Joana, que t’arrive-t-il ce mois-ci ? ... Je suis inquiète pour toi" (3). Elida l'interprète à la guitare lors de l'émission Conversas Ao Sul sur la chaîne RTP ÁFRICA.
Plusieurs concerts à la maison se sont déroulés en avril 2020. À l'occasion du Festival Nasofa sur Instagram, Elida Almeida chante l'amour pour son enfant, malgré le peu qu'elle possède et sa maladresse. Chanson émouvante qui laisse place à "Bersu d'Oru", une tabanka centrée sur le rêve d'Elida, née dans un berceau en or.
La dernière chanson, "Nta Konsigui", est l'une de ses premières compositions. Elle reflète l'esprit de cette adolescente à qui le berceau d'or n'a pas été donné mais qui est déterminée : "Je ne vais pas abandonner, car je sais que je vais y arriver !" (4). Hymne de tous les jeunes qui font face aux difficultés, la chanson a intégré la bande originale d'A Única Mulher, une célèbre série télévisée portugaise, propulsant Elida de chez elle à chez nous : l'enchantement a opéré, nous savons que cette jeune femme unique y est arrivée.
Elida Almeida - "Joana" (de 0:04 à 2:14), 15 mai 2020 - "Tomam El" (de 2:15 à 6:28),
"Bersu d’Oru" (de 6:31 à 10 :10), "Nta Konsigui" (de 10:15 à 14 :10), 10 avril 2020
Discographie d'Elida Almeida à PointCulture
(1) Elida Almeida, Extrait de "Txiku Branku", Ora Doci, Ora Margos, Lusafrica, 2015
(2) Elida Almeida, Extrait de "Txiku Branku", Ora Doci, Ora Margos, Lusafrica, 2015
(3) Elida Almeida, Extrait de "Joana", Ora Doci, Ora Margos, Lusafrica, 2015
(4) Elida Almeida, Extrait de "Nta Konsigui", Ora Doci, Ora Margos, Lusafrica, 2015