La musique country en Belgique – une interview d'Eric Kinny
- Philippe Delvosalle (PointCulture) : Peux-tu brièvement te présenter ?
- Eric Kinny : Je m’appelle Eric, j’ai 26 ans et je me charge de rediffuser en Belgique les catalogues de divers labels de musique country des années 1930 à 1960 comme Cattle Records, Cowgirlboy Records et Binge Records, ayant cessé leur activité.
- Peux-tu nous raconter d’où vient ton intérêt pour la country ? Quel a été le déclic ? Est-ce une passion relativement subite ou un intérêt qui a mis du temps à se développer ?
Je crois que j’ai d’abord été attiré par la musique hawaïenne, j’étais captivé par les sons de la steel guitar – guitare jouée à plat avec une barre en acier servant à glisser sur les cordes et un accordage très reconnaissable. Après avoir commencé à jouer de cet instrument, je me suis rendu compte qu’il s’était exporté et qu’on en retrouvait beaucoup dans la musique country. — Eric Kinny
Mais le véritable déclic s’est fait lorsque j’ai vu Mars Attacks! de Tim Burton. Vers la fin du film, on découvre que la seule manière d’anéantir les aliens ayant envahi la Terre est de diffuser « Indian Love Call » de Slim Whitman, cette chanson m’a fait une très forte impression et je suis tombé dans le vaste monde de la country.
- Tu es musicien toi-même et responsable d’un microlabel de cassettes, Santé Loisirs, assez lo-fi et do-it-yourself. Est-ce que c’est le côté « chansons » et le côté simple et assez brut de la country de certaines époques qui t’a attiré dans ce style ? Ou pas du tout ?
- Je ne sais pas trop ce qui m’a attiré mais il y a énormément de ponts entre des styles de musiques qui semblent à priori distants et sans rapports, certaines découvertes m’ont fait l’effet d’un fort choc, pour d’autres cela semblait être dans la continuité de ce qui m’intéressait musicalement.
- Est-ce qu’il y a des époques de la country qui te parlent particulièrement et d’autres où tu décroches ? Est-ce que la country récente – ou celle des années 1970 ou la country mainstream – est en partie responsable de la mauvaise image qu’ont pas mal de gens (les jeunes, mais pas que les jeunes ; aussi les amateurs d’autres styles musicaux) de cette musique ?
- Ça m’a pris du temps d’apprécier certains genres de country, mais je me dis que, comme pour tous les styles de musique, il y a de fortes chances qu’il y ait une porte d’entrée faite spécialement pour toi quelque part, ça peut prendre du temps de la trouver mais elle est là, quelque part dans un couloir, dans l’attente d’être franchie. Le terme « country » renferme beaucoup de musiques très différentes les unes des autres : western, bluegrass, western swing, cajun, zydeco, old-time, outlaw country, hillbilly…
J’apprécie particulièrement le western swing, mélange de jazz, de blues et de country ayant fait surface au Texas et dans l’Oklahoma durant les années 1920 et 1930. — Eric Kinny
Je pense que pour beaucoup de gens le mot « country » est synonyme de conservatisme, mais cela n’est pas la pensée de tout le monde. Je suis très admiratif de certains collectifs queers états-uniens comme Country Queer, qui aident à la diffusion d’artistes marginalisés, car cette musique leur appartient aussi.
- Le label Cowgirlboy Records dont tu distribues désormais les disques a un graphisme très reconnaissable, peux-tu nous en dire plus ?
- Cowgirlboy Records est un label né dans les années 1980. Manifestement par préoccupation économique, les pochettes de toutes les sorties sont identiques, cela coûtait moins cher d’investir dans un grand nombre de pochettes de vinyles similaires. Pour chaque album, une feuille A4 de couleur photocopiée était collée sur la pochette.
Je viens d’une culture du DIY, du fait maison, donc ce label m’a tapé dans l’œil, découvrir Cowgirlboy était dans ma tête comme la collision entre la culture du fanzine et la country. — Eric Kinny
- Au fil du temps, via la reprise du stock de vinyles de ces labels pour essayer de les proposer à un nouveau public plutôt que de les voir partir à la décharge ou passer au pilon, ton engagement vis-à-vis d’elle et de la country a dépassé de loin la simple interview, c’est devenu quelque chose d’énorme, une responsabilité, mais aussi quelque chose de très lourd logistiquement parlant… Cet engagement, cette passation de responsabilité, me semblent poser la question de la mémoire, de l’archive, d’une archive vivante…
- Lorsque que j’ai récupéré ce stock je me suis vraiment rendu compte de la précarité de certaines « archives », certains des morceaux ou des artistes du catalogue furent des hits au moment de leur sortie, il y a 70 ou 80 ans, parfois propulsés par l’industrie du cinéma hollywoodien pour citer de gros noms, mais ont depuis sombré dans l’oubli. Lorsqu'un enregistrement arrête de faire de l’argent, il ne dépend plus que du travail acharné de passionné·e·s.
- As-tu vu le documentaire de Ken Burns, Country Music, dont l’édition DVD nous a amenés à concocter tout ce dossier ? Qu’en as-tu pensé ?
J’étais un peu réticent au départ parce que faire l’inventaire complet de ce qui se cache sous le terme « Country » est une énorme tâche. Il y a certains points que j’aurais aimé voir abordés plus amplement, mais ce documentaire est très instructif.
Country Music de Ken Burns est une bonne – et longue – introduction au genre qui permet aussi de faire des liens entre certains genres en suivant l’évolution des styles. — Eric Kinny
- Peux-tu concocter une mini playlist de 4-5 chansons que tu apprécies particulièrement ?
- En voici même deux ! Ces morceaux sont disponibles en vinyle par ici.
playlist #1
Ramblin' Tommy Scott – “Rosebuds and You” (1952) (Cattle LP 38)
The Shelton Brothers – “I'll Be Seein' You in Dallas, Alice” (1940) (Cowgirlboy LP 5149)
Jimmy Dean – “If You Don't Somebody Else Will” (????) (Cattle LP 8104)
Pete Pyle – “I Made a Mistake” (1941) (Cattle LP 106)
Hank Thompson – “You're Too Young to Cry Now” (1953) (Cowgirlboy LP 5006)
playlist #2
Johnny Bond – “Call Of the Canyon” (????) (Cattle LP 34)
Carl Story – “Have You Come to Say Goodbye” (1953) (Cattle LP 39)
Mark Dinning – “The 12th of Never” (1960) (Binge LP 1012)
Doye O'Dell – “Dear Okie” (1947) (Cowgirlboy LP 5076)
Bobby Atkins – “Ruby, Don't Take Your Love to Town” (1983) (Cattle LP)
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Les disques country distribués par Eric Kinny
interview (par e-mail) : Philippe Delvosalle, avril 2021
photo de bannière : (c) Thibault Leonardis