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Musique et hacking - ouvrir la boite noire

Yann Leguay hs63
Comme le pirate ou le bandit de grand chemin, la figure du hacker est devenue synonyme de rebelle, de justicier en marge de la société. La revue française Volume consacre sa dernière édition de 2019 aux rapports entre Musique et Hacking avec un dossier consacré aux pratiques remettant en question la lutherie classique, les sonorités traditionnelles, voire l’approche même de la musique.

De l'éthique aux pratiques

Si le hacker original, comme le brigand des légendes, ne correspondait pas forcément à son mythe moderne, et ne volait pas les riches pour donner aux pauvres, le terme projette aujourd’hui une aura de désinvolture chic, de cool. Après avoir été caricaturé comme un passe-temps de nerd, de geek, d’inadapté social, le hacking s’est progressivement vu réévalué et réhabilité comme un savoir de pointe et une forme de guérilla. On utilise donc le terme de hacking pour rendre séduisant tout et n'importe quoi. Le phone phreaking et le piratage informatique ont donné naissance à des rejetons étranges : food hacks, gardening hacks, style hacks, voire life hacking. Un certain prestige contestataire est à présent conféré à tout savoir-faire alternatif, tout détournement radical, pouvant faire évoluer les choses comme par magie, pour peu qu’on possède la connaissance, la formule adéquate. Symbole de débrouillardise, de ruse ingénieuse, le piratage adapte le monde à sa volonté, à ses désirs, plutôt que de l’accepter comme un contexte immuable, comme un ensemble déterminé et limité de possibilités.

Les hackers sont des collectionneurs de ruses pour supprimer et contourner la normalisation de l'usage inscrite dans l'objet. — Nicolas Auray

Plusieurs des attributs du hacking sont effectivement transposables à d’autres domaines, comme ici à celui de la musique. Des valeurs comme le partage, le libre accès, le recyclage, la transformation et la transgression trouvent des échos dans les pratiques de nombreux musiciens qui – pour des raisons économiques comme idéologiques – refusent de se contenter de ce qui est à leur disposition, de ce qui leur est permis. Cette révolte contre le déterminisme technologique peut avoir des causes modestes, comme le prix élevé des instruments « normaux », mais aussi avoir pour point de départ la conscience des pressions inconscientes qu’impose le matériel classique sur le type de musique produite. Un trait commun à tous les hackers-musiciens est leur amateurisme revendiqué, leur parcours autodidacte. Savants fous ou apprentis-sorciers, leur musique passe par un « contournement créatif » qui commence par la fabrication d’un instrument neuf, unique, qui leur est propre.

Le hasard et la nécessité

Pour certains il s’agit de construction, pour la plupart il sera plutôt question de détournement, quelle qu'en soit la méthode. Pour les uns ce sera un fer à souder, pour d’autres des compétences en programmation informatique. Dans tous ces cas, le bricolage, la bidouille, est avant tout l'ouverture, au propre comme au figuré, d’une machine existante pour en découvrir les capacités insoupçonnées, en modifier la puissance ou la fonction. Par tâtonnements, par accidents heureux, le hacking permet de révéler des sonorités imprévues, surprenantes, d’inventer des modes de jeu inédits, de favoriser le hasard et l’audace. C’est le principe à l’œuvre dans le circuit bending : un appareil du commerce, dont le mécanisme est dissimulé dans une boite noire et est uniquement accessible selon le mode prévu par le fabricant, est déballé et débridé. Son fonctionnement, jadis secret, est non seulement percé à jour, mais redirigé, reconfiguré.

Pour ces musiciens, l’instrument est le matériau. Ils ne cherchent pas à appliquer une technique apprise ou à interpréter une composition mais découvrent, en direct, par le jeu, la matière musicale qu’ils pourchassent. La manipulation d’une mécanique aux possibilités a priori pauvres, d’un objet au caractère musical limité, révèle au contraire la fertilité de ce genre de contraintes. Le circuit bending, la lutherie sauvage, s’attaquent ainsi parfois à des instruments non musicaux, détournant de leur domaine des machines-outils, des jouets d’enfant, des consoles de jeux vidéos, des appareillages électroniques domestiques, du matériel informatique. L’idée de recyclage et la volonté de chercher « ailleurs » sont centrales, parfois formalisées dans une éthique, souvent simplement illustrées par une praxis.

Paysage du genre

Le dossier, coordonné par Baptiste Bacot et Clément Canonne pour la revue Volume, développe un panorama de plusieurs mouvements ou créateurs qui ont adopté une approche radicalement novatrice du matériel musical. Parmi les personnalités mises en avant, il faut citer Nicolas Collins, musicien et auteur en 2006 de l’ouvrage « Handmade Electronic Music : The Art of Hardware Hacking », manuel incontournable du genre. Une place est également accordée au phénomène de la micro-radio, avec une interview d’un de ses représentants les plus éminents, Tetsuo Kogawa. Une grande partie de ces exemples provient des scènes de la musique expérimentale ou improvisée, mais d’autres genres (la chipmusic, le reggae 8-bit) sont au contraire nés aux abords des musiques populaires.

Un article argumente également une relecture de l’utilisation détournée du microphone par les crooners comme forme primordiale de hacking des techniques sonores. Ce type de déviation créative, aujourd’hui banalisée mais révolutionnaire (et controversée) en son temps, illustre le reversement progressif de certains aboutissements (sinon des principes) du hacking dans l’arsenal des musiques populaires et académiques. Plusieurs techniques "sauvages", depuis l'exploitation de simples phénomènes – comme le feedback ou la distorsion – jusqu'aux circuits électroniques à monter et aux synthétiseurs modulaires, ont été progressivement adoptées par le monde de la musique mainstream, ou par les constructeurs d'instruments. Bien évidemment, pour les puristes, ou simplement les amateurs d'authenticité, il convient d'aller toujours plus loin et de préférer, aux appareillages prémâchés des firmes commerciales, l'exploration, l'émancipation et l'aventure que permet le hacking.

(Benoit Deuxant)

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Le Magazine Volume! La revue des musiques populaires est disponible ici.

Illustration du haut : le set-up de Yann Leguay, concert au Hs63, 2011. (photo de fabonthemoon)

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