Namur, plan(s) fixe(s)...?
Depuis plus de quinze ans, nous
percevons notre ville à travers le filtre de notre librairie. Connaître une
ville sans l'arpenter, sans s'y perdre jour après jour mais bien parce qu'on a posé le choix d'y vivre, de s'y installer et d'y
travailler. Sentir une ville par ce que nous en disent nos clients, lecteurs
acharnés, passants distraits, touristes occasionnels. Toucher une ville et être
touchés par elle, mais toujours « à travers ». Une fenêtre, des
fenêtres, un pan de ciel.
Comme dans le film Smoke, réalisé par Wayne Wang et Paul Auster, avec Harvey Keitel en propriétaire de débit de tabac, nous voyons la ville et ses habitants depuis notre librairie, notre coin de place Saint-Aubain. Comme Keitel, nous pourrions photographier chaque jour le même plan de notre quartier. Et voir ainsi le mobile et l'immobile, le constant et l'inconstant, le durable et l'éphémère.
« À Namur, rien ne bouge », dit souvent le Namurois. Namur-la-Vieille, Namur-la Bourgeoise, Namur-la-Prétentieuse, notre ville se drape dans une réputation qui sent quelque peu la naphtaline. C'est la première image, la première photographie prise depuis notre comptoir. Elle montre l'ordre établi, le pouvoir, l'argent, la grandeur du passé. Une Citadelle, un palais, une Cathédrale, un Tribunal. Que dire de plus?
Mais la seconde photo vient questionner le paysage d'une jolie ville prospère. A deux pas de notre porte d'entrée s'est installé un sans-abri, un autre est assis juste en face, au coin de la rue. Un groupe d'errants avec des vélos et des chiens monopolise les marches de l'église. Une femme ivre, ravagée, passe en criant, en insultant un ennemi imaginaire. Un jeune garçon déambule sur la place pour demander de l'argent afin de monter dans un train qui ne démarre jamais. Le plan fixe précédent pourrait-il être un mensonge, un mirage, une « image »?
La troisième prise de vue montre des tas de jeunes. Des adolescents, des étudiants, en groupes ou solitaires. Des filles et des garçons de tous genres, de tous pays. On tend l'oreille et on entend parler anglais, espagnol, allemand, français. Les écoles et l'Université du quartier ont permis à Namur de prendre des allures cosmopolites qui lui manquaient atrocement quand nous y étions adolescents. Et que nous traversions la ville de part en part, en quête de ce quelque chose qu'on pouvait trouver dans d'autres villes mais pas ici.
Namur évolue, Namur a ses nouveaux quartiers, ses nouveaux problèmes, ses nouveaux festivals, ses nouveaux habitants, ses nouveaux lieux de culture et même de contre-culture. Depuis notre librairie, nous rêvons d'une ville en mouvement. D'une ville qui accueille. Qui protège. On dit de Namur que c'est une ville « à taille humaine ». Nous, libraires, croyons en la puissance de tels mots. Le chemin est encore long à parcourir mais nous sommes nombreux ici à faire vivre des lieux ouverts, empreints d'écoute, d'échanges, de culture(s), des lieux chaleureux, où quelque chose peut se transmettre et se partager.
Anouk et Régis Delcourt
Librairie Point Virgule
1 rue Lelièvre
5000 Namur
Cet article fait partie du dossier Namur.
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