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Entre art, poésie et science, "Nous les arbres" à la Fondation Cartier

exposition Nous les arbres oeuvre de Cassio Vasconcelos
Une exposition artistique, poétique, scientifique, philosophique pour aller à la rencontre des arbres et comprendre ce qu’ils disent quant à la sauvegarde de la planète. À la Fondation Cartier, prolongé jusqu'en janvier.

Sommaire

Les gens répondent nombreux à l’appel des arbres orchestré par la Fondation Cartier à Paris ! Le succès tient certainement au tissage habile des narrations poétiques et scientifiques, issues de cultures différentes mais convergeant vers un point de vue universel. — Pierre Hemptinne

Dans le contexte du danger qui pèse sur le devenir des arbres et des forêts, indispensables à notre vie sur terre, de nombreux ouvrages, depuis quelques années, contribuent à modifier nos perceptions et imaginaires, favorisant une autre prise en compte des autres espèces, soulignant leur sensibilité et leur intelligence propres.

Élargir l’horizon, estomper les frontières entre nature et culture, retrouver le lien ombilical

Pour autant, l’approche globale ne se veut pas manichéenne et les grandes toiles de Luiz Zerbini, élargissant le champ des perceptions, contribuent à nous libérer de tout repère trop rigide.

« — Elles décrivent de formidables hybridités entre jungle naturelle et jungle urbaine, vie sauvage proliférante et machinerie délirante des grandes métropoles. Il est difficile de dire s’il s’agit de la nature reprenant ses droits dans les ruines des temples consuméristes ou, au contraire, de la modernité industrielle s’incrustant peu à peu dans la végétation indomptable. — »

Justement, un entre-deux qui fait réfléchir, qui trace le périmètre de l’urgente nécessité d’un terrain d’entente et de mieux penser les interpénétrations de ces deux mondes. Autour, il y a des dessins provenant de traditions liées à des modes de vie d’interdépendance directe avec tous les esprits de la forêt. Des représentations issues de pratiques chamaniques, anciennes et présentes, des « écoles » esthétiques ancestrales continuées et actualisées par de nombreux jeunes artistes. Ces imageries des relations entre la nature et les humains attestent de formes de connaissances basées sur le sensible, l’observation, l’expression poétique. Si elles sont éloignées de notre contemporanéité, elles évoquent des souvenirs, elles ravivent des émotions vécues en forêt, devant tel ou tel arbre, elles donnent consistance aux impressions, souvent refoulées, que ces plantes et ces animaux nous parlent et que nous leur répondons, en silence. Un lien refoulé est rappelé, un cordon ombilical.

Des outils pour respecter les réseaux inextricables du vivant, que l’on entend émerger dans les paroles des femmes et des hommes parlant de « leurs » arbres

La magnifique collection d’outils, fabriqués à la main, évoquant autant un prolongement des différents membres humains que des branches des arbres, et bien qu’ils soient aussi prévus pour couper, trancher, remuer, retourner, rappellent surtout que soigner la forêt ne peut pas correspondre à une exploitation à sens unique, mais doit se penser avec la forêt.

Les ex-voto taillés dans le bois sont disposés en constellation comme autant de preuves des bienfaits, singuliers et parfois miraculeux, des arbres. Ils voisinent avec les visions rhizomatiques de Fabrice Hyber, magnifiques tableaux graphiques répertoriant l’infinité de liens entre toutes les formes du vivant, cette reliance explorée étant la condition de notre survie, au lieu de l’épuisement systématique des ressources naturelles qui sépare, rompt, disjoint. Juste à côté, dans un film récent, Raymond Depardon sillonne la France et donne la parole à ceux et celles qui entretiennent des relations particulières avec un arbre bien installé dans leur quotidien. Du plus spirituel au plus terre à terre, sans occulter les inconvénients d’une proximité parfois envahissante, se dessinent les facettes multiples d’une relation qui apporte du sens, apaise ou questionne.

Un faisceau de connaissances hétérogènes, inspiré par les arbres et qui donne l’impression, finalement, que la solution de la vie humaine sur terre viendra de ce qu’ils nous enseignent

Au sous-sol, on est frappé en premier lieu par les grandes silhouettes d’arbres, précises autant que fantomatiques, en train de disparaître à jamais ou de revenir lentement. Nous sommes aux frontières entre disparition et apparition. Il s’agit de grands dessins réalisés par Johanna Calle, à la machine à écrire, utilisant les feuillets d’actes notariaux et de la « loi des terres » qui protège, normalement, « les paysans déplacés, leur permettant de revendiquer la propriété des terres en faisant état des arbres qu’ils y ont plantés » (guide du visiteur). L’ensemble exposé fait se croiser patient travail scientifique pour explorer le végétal, la vie des arbres ; engagement politique pour sauver et défendre une vie harmonieuse avec les plantes ; et souci de restituer ce que l’on voit, l’être des arbres dans une communion sensible avec ses ondes, avec empathie, dans le souci d’échanger, de se comprendre.

Il y a les formidables cahiers du botaniste Francis Hallé, rigueur de la description conjuguée à la poésie, à la célébration de la relation esthétique aux choses, par où se forge du sens. Il y a les stupéfiantes études de Cesare Leonardi et Franca Stagi, architectes et urbanistes. Dans les années 1980, ils ont réalisé des centaines de relevés d’essences forestières, à l’échelle 1/100, avec et sans feuilles, étudiant minutieusement la structure de leurs silhouettes, sous l’angle botanique et architectural. Certains de ces dessins sont tellement précis dans leurs détails qu’ils semblent flous, il faut les examiner alors à la loupe. C’est dans l’intimité de cette observation que l’on mesure à quel point l’organisation des feuilles et branches peut enseigner quelque chose à des architectes, à des urbanistes, et représenter une source d’inspiration sans fin. Selon les artistes, les scientifiques, les approches micro complètent les survols macro. Cassio Vasconcellos et ses impressions sur papier coton, grand format, restitue les premières visions hallucinées des colons découvrant les forêts primaires. Comme rappel d’un point de départ fantasmagorique autant que fatal qui excita la volonté occidentale d’exploiter ces terrains vierges à son profit, bien dans l’esprit d’asservir la nature au productivisme sans âme.

La dernière installation vidéo de l’exposition s’ouvre comme un large delta imaginaire, une formidable occasion de bifurcation, peut-être la dernière chance…

Le parcours se termine par une vidéo qui ouvre une large bifurcation et de multiples dérivations à l’imaginaire, tant par les images, les sons d’ambiance que les paroles. Une voix, presque somnambulique, déambulant dans une série de rêves et souvenirs, tente de cerner le champ indéfini des émotions qui comptent, qui nous arriment au vivant de façons très diverses. Dire l’essentiel. Le flux narratif fait surgir la possibilité d’une apaisante perméabilité entre les arbres et nous, entre leurs sentis du monde et les nôtres, une complémentarité substantielle. L’installation vidéo suggère, indique, tout en laissant entendre que l’on n’a plus trop le choix si l’on veut continuer à naître et à participer au vivant. L’audience est nombreuse et semble facilement gagnée.

Il demeure que la transposition dans les actes, au jour le jour, en-dehors des murs d’une Fondation aussi bien intentionnée soit-elle, reste problématique. Combien s’indignent et s’insurgent contre la manière dont les pouvoirs en place s’opposent à Extinction Rebellion ? Combien, dans leur vie de tous les jours, dans les relations parfois difficiles avec les arbres, vont renoncer à abattre, tailler de façon déraisonnable ? Combien vont limiter la surface de leurs nouvelles maisons pour laisser plus de place aux arbres installés sur le terrain qu’ils ont acheté pour bâtir ?


texte et photos : Pierre Hemptinne
image de bannière : (c) Cassio Vasconcellos



Présentation de l’exposition par la web-série Nous les arbres
(ci-dessous le 1er épisode d'un total de 5) :

exposition collective Nous les arbres

Jusqu'au dimanche 5 janvier 2020

Fondation Cartier pour l'art contemporain
261 boulevard Raspail
F-75014 Paris
France

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