« Nuit Debout », des LED dans l’obscurité
Une ville, la nuit.
Une ville sans électricité.
Une ville dans le noir.
Et pourtant, quelques points de lumière percent l’obscurité. Une lumière blanche, peu diffuse, très ponctuelle. Une lumière à faible intensité.
À Kinshasa, les coupures d’électricité sont courantes. En attendant la mise en route des générateurs, les habitants rassemblent les lampes torches et vérifient le bon chargement des batteries. La technologie est moderne, la lumière vient de milliers de LED, les diodes électroluminescentes. C’est pratique, cela ne consomme pas beaucoup. Mais cela éclaire peu, il faut les multiplier, les juxtaposer. Elles remplacent aujourd’hui, dans les panneaux publicitaires, les néons colorés d’antan. Mais à Kinshasa, il s’agit de LED basiques, elles sont blanches, les couleurs sont absentes, leur intensité est limitée. Cela donne à la ville la nuit une tonalité toute particulière, de larges nappes de noir, avec quelques points clairs, une ville en noir et blanc. Certains endroits sont plus colorés par les phares des voitures mais la palette de couleurs, la gamme chromatique, reste limitée. Le blanc blafard est la norme, une couleur qui n’est pas une couleur, un monochrome qui se retrouve de par le monde dans les villes et villages sans électricité, créant une ambiance quelque peu fantomatique et mystérieuse.
« Ce quartier est toujours dans le noir. Nous ne sortons plus la nuit à cause du manque d’électricité… Nos enfants ne regardent plus la télévision. Nous sommes abandonnés à notre triste sort. Les enfants ne regardent plus la télévision. Nous sommes tout le temps dans le noir. » — extrait de « Nuit debout »
Il n’y a pas grand-chose à faire dans le noir, il faut attendre que cela passe, qu’on ait rassemblé le carburant pour allumer le générateur, ou mieux encore, que ce nouveau barrage producteur d’électricité soit construit, même si on sait d’avance que la moitié de la production sera exportée en Afrique du Sud. Le temps s’écoule, on écoute la radio qui décrit des faits divers – une grand-mère et ses cinq petits-enfants sont décédés dans un incendie – ou qui transmet le discours du président de la Cour constitutionnelle annonçant que Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo est le nouveau président.
Certains chantent, d’autres dansent sur les sons étouffés venant d’un téléphone portable. On s’occupe, on se languit, on tente de s’adapter une fois de plus aux difficultés incessantes. On attend des jours meilleurs ; on espère qu’un changement sortira le pays de la corruption et de la violence.
Né en 1990, Bob Nelson Makengo vit et travaille à Kinshasa ; il a étudié les arts mais est autodidacte en matière de photographie et réalisation. Il a filmé la métropole de nuit, créant un long paysage sonore et imagé de la ville, un flux d’images qui semble parfois aussi précaire que la présence de l’électricité. Les plans sont organisés dans un large triptyque horizontal, alternant une triple image identique ou trois images différentes. L’œil tente d’embrasser la totalité de l’écran, s’y perdant par moments, ne sachant plus où regarder, mais cette dispersion du regard est vite dissipée par le retour de l’image unique. Un plan coloré revient plusieurs fois, rythmant les 21 minutes que dure ce documentaire – installation : le remplissage du réservoir de carburant du générateur, qui apporte l’espoir du retour à une ville plus normale.
Nuit debout, documentaire - installation de Bob Nelson Makengo (République démocratique du Congo - Belgique, 2019 - 21’)
Le Festival de cinéma En ville ! se déroule à Bruxelles du 25 juillet au 7 août 2020.
> Site du festival
Nuit debout sera diffusé le 30 juillet à 20h15 au Cinéma Palace, avec Don’t Rush.
Texte : Anne-Sophie De Sutter
Image de la bannière : capture d’écran