Concert Review: Nuits Bota/Tindersticks au Cirque royal, le 14/05/17
Dans un Cirque royal en configuration assise et intimiste (les étages sont voilés et fermés), c’est un groupe de sept musiciens comprenant le noyau historique Stuart Staples/David Boulter et un invité régulier (le précieux Thomas Belhom) qui prend place en toute simplicité. Tindersticks joue également assis mais l’attention de cette première heure de show va – comme annoncé – se porter sur un grand écran où défilent les images de Minute Bodies, The Intimate World of F. Percy Smith, film réalisé par Staples lui-même à partir des archives d’un pionnier de ce que l’on a appelé par la suite le micro cinéma. L’homme n’était pas une sommité scientifique mais ce naturaliste et documentariste anglais a, entre 1922 et 1935, filmé d’un œil curieux et parfois espiègle, un monde microscopique qui s’offre pour la première fois à des regards ébahis, par la grâce du « progrès technique !» comme on disait à l’époque. Et c’est en noir et blanc que les hommes ont découvert cet univers foisonnant et vertigineux niché en creux et lié de façon intrinsèque au leur, mais totalement imperceptible à ses sens. Organismes microscopiques, unicellulaires ou multicellulaires, bactéries ou encore insectes agrandis plusieurs dizaines de fois pris dans le grand cycle de la vie qui consiste pour rappel, à manger (et à ne pas l’être) et à se reproduire (par mitose ou par ponte) avant de disparaître (bouffé) à son tour dans une grande sarabande infernale et impitoyable (les images d’infection bactérienne). Avec une vitesse de défilement fortement accéléré, c’est tout le monde végétal qui s’anime de mouvements perceptibles, prolifère dans toutes les directions et s’efface sans presque laisser de traces ! Enfin, que dire de ces insectes dont l’aspect réel est un délit de faciès absolu au regard de nos standards esthétiques humano-centrés ! Les images de Smith comportent de mini récits, des correspondances multiples et distillent un sentiment d’étrangeté qui n’est pas sans rappeler celles de Méliès ! Méditative et onirique, la partition jouée par Tindersticks est souple et riche d’échos vibrants et de résonances fantomatiques. Il s’agit de faire exister un monde radicalement autre mais plus encore de restituer l’étonnement qui a présidé à sa découverte, et la facétie affleurant d’un personnage hors-normes (les ultimes images du film).
Après une courte pause, Tindersticks revient pour une bonne heure vingt minutes d’un set qui revisite quelques sommets d’une déjà vaste discographique et comme si le groupe interprétait la bande-originale du film de sa propre histoire musicale. En mode posé, presque cosy/jazzy et d’humeur profondément noctambule, la bande à Staples a éliminé les arêtes les plus saillantes de sa musique pour appuyer sur le nuancier des arrangements foisonnant qu’autorise la configuration de ce soir : violoncelle, orgue synthés vintage au-devant, guitares et batterie la jouant sur du velours. Le chant de Staples flirte avec le récit parlé mis en musique, les musiciens changent d’affectation et d’instruments mais chaque moment de ce show a la même générosité qu’un moment rare passé entre amis, et ces chansons (tristes) font à nouveau la preuve de leur résistance métamorphique à toutes épreuves. L’émotion seule compte.
Et puisqu’il faut bien boucler la boucle, les
Anglais rejoueront en rappel deux
anciens titres illustrés par deux clips noir et blanc dont une version
élégiaque de « Travelling
Light » qui fera presque oublier l’absence de sa vocaliste invitée à
l’époque, Carla Torgerson des Walkabouts !
Yannick Hustache