Olivier Calicis : collections et militantisme
Sommaire
– Olivier Calicis est photographe. Il est l’auteur des photos qui illustrent cet article –
Au début, un désir et une pétition
Comme pour beaucoup, l’histoire démarre avant la signature du contrat à la Médiathèque. Olivier Calicis a seize ans à Beauraing en 1980. Il joue dans un groupe de musique, il anime des émissions radio. Avec les copains, ils descendent de temps en temps à Namur et fouillent les bacs de la Médiathèque, les mirettes épatées, les oreilles avides de découvrir. Mais le principe du prêt hebdomadaire les empêche de plonger dans les collections comme ils le souhaiteraient (ils n’ont pas la possibilité de revenir chaque semaine). C’est trop injuste et insupportable ! Ils se bougent, lancent une pétition à Beauraing pour que le bourgmestre sollicite un stationnement du discobus. Ce qu’ils obtiendront. Voilà, la machine est lancée.
Olivier Calicis, de plus en plus actif comme musicien, se produit dans des concours et il y fait la connaissance de Jean-Marie Verhelst, conseiller « chanson française » à la Médiathèque. Il apprend ainsi qu’une place se libère à la Médiathèque de Namur. Il se présente, sans la moindre hésitation, il est engagé en 1988 pour exercer ses compétences en chanson française.
En 1988, la Médiathèque n’a pas atteint son apogée quantitative, mais ça tourne à plein régime. Le succès du CD fléchit un peu. L’impact du graveur CD ne viendra booster le prêt qu’au début des années 1990. C’est dire que l’association est habitée en interne par pas mal d’interrogations sur son devenir. Internet n’est pas encore là, mais l’informatisation des services est en cours et, au niveau international, la mainmise des majors sur le marché musical s’accentue.
D’usager à médiathécaire, de l’autre côté du comptoir
Mais d’abord, Olivier doit gérer le changement de statut : passer de l’autre côté du comptoir. Et expérimenter – comme beaucoup d’autres qui sont « entrés » à la Médiathèque – la transformation d’une boulimie musicale et d’une curiosité culturelle personnelles en pratique professionnelle d’écoute et d’information pour le public. Il y a d’abord, pour le coup, l’accès à une diversité extraordinaire, quasi incommensurable, et sans limite économique puisque le personnel bénéficie du prêt gratuit. Il y a ensuite le temps consacré à l’écoute qui soudain s’élargit : toute la journée, sachant que le choix des musiques diffusées en médiathèque ne relevait pas d’une ambiance d’aménagement mais de choix délibérés, pour faire découvrir ou découvrir soi-même une écoute publique non formatée, en recherche incessante d’ouverture.
Il y a, surtout, l’obligation de professionnaliser l’écoute au service d’une logique de constitution de collection. Il faut rappeler qu’au contraire du livre, organiser des collections de musiques n’est pas enseigné dans les écoles de bibliothécaires. Cela implique d’avoir une vision d’ensemble de ce qui se crée pour en présenter une offre représentative selon un classement lisible, rigoureux, soutenant une approche cognitive des contenus de ces collections. Olivier, de par son profil personnel, est d’abord responsable des achats namurois pour la chanson française. C’est un budget à gérer et des listes de nouveautés à analyser à partir desquelles effectuer les acquisitions. L’équipe est aussi un collectif d’échanges culturels. La Médiathèque de Namur a, en outre, plusieurs contacts structurés avec sa voisine RTBF. Elle propose des playlists régulières à la demande d’Anne Magermans. Philippe Baron, ancien collègue, devenu animateur d’émission jazz à la RTBF, continue à sélectionner les titres jazz qui entrent en collection. Lorsque Philippe Baron renonce à jouer ce rôle, Olivier Calicis devient responsable jazz et découvre les réunions de collection d’Alberto Nogueira. Un choc. Une manière structurée et originale d’organiser les connaissances sur les musiques, comme il n’en avait jamais entendu ailleurs.
Ce n’est pas une doctrine, mais des pistes d’investigations construites, argumentées, et ouvertes au débat, comme exercice formateur. Il se souvient des réunions de collections, celles qui avaient lieu dans la Province de Namur, comme de formidables moments d’écoutes partagées, critiques, donnant lieu à une étonnante intelligence collective qui donnait beaucoup de sens au travail dans son ensemble. Le lien entre musiques et autres disciplines artistiques, mais aussi sociologie, philosophie et économie ouvre une autre forme de savoir sur les expressions sonores et ouvrent des pistes d’autres formes de médiation avec le public. C’est aussi là qu’ont lieu des débats de classification : Thiéfaine, est-ce encore de la chanson française, ne faut-il pas le placer dans le rock ?
L’ébauche de travail participatif sur les collections
Une autre « révélation » sera la réalisation d’un catalogue discographique consacré à l’accordéon, piloté par Etienne Bours et moi-même. C’était une première, une valorisation des collections telles que constituées par le personnel, et une mise en avant des savoirs spécifiques qu’il se forgeait en gérant les collections au contact des publics. Il avait été réalisé en faisant appel à la mémoire de l’ensemble du personnel (la discographie concernée n’était pas encore encodée avec mots clés dans une base de données). Sa parution avait donné lieu à un concert de Guy Klucevsek. Il y avait vu un schéma pour développer un vrai travail de médiation, innovant, entre publics et collections.
Parce que ce mordu d’information culturelle – il se souvient avoir été, avec un collègue, cycliste comme lui, à vélo jusque Givet pour acheter le premier numéro des Inrockuptibles, pas distribué en Belgique – fait vite le constat que tout ce qui n'est pas assez mis en partage avec le public, ni entre le public, ne débouche sur aucune réelle plus-value culturelle.
Un hiatus qu’il sent être dommageable pour l’avenir de l’association et qui se vit au quotidien, notamment au niveau d’une différence entre la vision culturelle de certains directeurs, plus classiques, et celle du personnel plongé dans la réalité plus complexe des collections et de ce qu’elles disent sur la société. Même si beaucoup d’usagers répondent positivement aux suggestions des médiathécaires, on mesure quand même une fracture entre ce que le public « consomme » et la réalité plurielle de la production musicale.
Il use, à ce propos, d’une métaphore sportive : à force d’être « dedans », d’être plongé en permanence dans les collections, c’est comme si nous étions marathoniens et que nous parlions à des personnes à qui il faut donner envie de nous accompagner, mais on ne peut leur demander de courir le marathon à côté de nous. Ça n’a rien de péjoratif, il faut y aller progressivement. Il considère que l’association ne s’est pas emparée sérieusement de cette problématique.
La culture, l’engagement syndical et l’informatisation
Ce sera la base de son engagement politique et social : comme délégué syndical et comme secrétaire du Conseil d'entreprise. Un syndicalisme lié au contenu culturel du métier de médiathécaire, à la défense de la dimension qualitative de son rôle social. Il y a, dans ces années-là, une tentative de la direction pour rationaliser la gestion des collections et le système d’achat. C’est-à-dire automatiser le plus possible les commandes et réduire les échanges humains, culturels et professionnels autour des collections au nom de l’efficacité et de la rentabilité. Il se souvient avoir organisé un arrêt de travail dans toutes les médiathèques contre cette décision.
Il quitte l’association en 2001, juste au début de la décrue de la fréquentation, que l’on sentait venir. Précisément, ce qui l’aura affecté le plus aura été le manque de vision des responsables de l’informatique qui ne voyaient pas venir l’importance qu’allait prendre Internet, « n’y croyaient pas ». Il reste convaincu qu’il y avait un travail à faire pour positionner la base de données comme une référence incontournable au niveau international. À condition de l’enrichir de productions éditoriales et d’interfaces de recommandations créatives. Cela pouvait ouvrir des débouchés de développement qui n’ont pas eu lieu. S’il considère qu’au stade actuel la bataille de l’accès numérique aux musiques est perdue, en tout cas, à l’échelle du grand public, il croit toujours nécessaire d’enrichir les collections de nouvelles acquisitions et de raconter ce qu’il y a dans les collections, en lien avec la vraie vie, et loin des connaissances de type algorithmique. Mais, en établissant un parallèle avec son nouveau travail, dans un autre segment culturel, il fait le constat que l’ensemble du secteur culturel non-marchand est en danger de trop répondre aux sirènes de l’audimat. Comme il dit, il est urgent de « ne pas laisser aux seuls ‘marketeurs’ le soin de nourrir la curiosité des publics. »
Un vrai choix de société.
Pierre Hemptinne
Playlist
Dictaphone, APR 70
Esmerine, Mechanics of Dominion
Astrïd & Rachel Grimes, Through the Sparkle
Julia Kent & Jean DL, The Great Lake Swallow
Federico Durand, Pequeñas melodías
Maze & Lindholm, Where the Wolf Has Been Seen
Annabel Lee, Little Sad and Not so Sad Songs
Bony King of Nowhere, Silent Days (The Demo Recordings)
Leonard Cohen, You Want It Darker
Will Oldham, Songs of Love and Horror
Balmorhea, Clear Language
Ann O’aro, Ann O’aro
Marisa Terzi, Canzoni perdute
Dans Dans, 3
Seabuckthorn, Crossing
A Winged Victory for the Sullen, The Undivided Five
Echo Collective & Jóhan Jóhannsson, 12 Conversations with Thilo Heinzmann
Areni Agbabian, Bloom
Sokratis Sinopoulos, Metamodal
Eleni Karaindrou, Tous des oiseaux
Shai Maestro, The Dream Thief
Avishai Cohen & Yonathan Avishai, Playing the Room
John Coltrane, Blue World
Arlt, Soleil enculé
Éloïse Decazes & Eric Chenaux, La Bride
Marion Cousin & Gaspar Claus, Jo m’esta va que m’abrasava
Veence Hanao, Bodie
Vincent Delerm, Les Amants parallèles