On va tous crevette ! Virginie Strub décortique la mort et l’effiloche
Toutes ces morts qui ne tuent pas
La naissance et la mort, finalement, c’est la même chose : un même cri pour le premier comme pour le dernier souffle. Ce qui compte, c’est ce qu’il y a entre les deux, toutes ces peines qui suturent nos vécus morcelés. En voulant en faire une analyse chirurgicale et exhaustive, partant de l’enfance éthérée jusqu’à la maturité grave, Virginie Strub tient un sujet fort qu’elle traite avec brutalité. Dans un décor rose crevette volontairement ironique et kitch, elle déploie rapidement sa déclinaison thématique : déception, jalousie, passion, humiliation, domination, harcèlement, colère, égocentrisme, et j’en passe. Elle joue avec les registres, tantôt graves, tantôt drôles. On est touché par les déconvenues enfantines, le récit d’une première relation sexuelle ratée, un couple dans un restaurant de crustacés qui se déchire. Pourtant, avec l’accumulation et surtout la multiplication de discours différents s’exprimant en même temps, la cacophonie va crescendo. Le rythme s’intensifie et la lecture devient très vite fatigante. A l’inverse d’une écriture fractale où, plus le spectacle avance, plus les pièces du puzzle prennent corps, ici, les moments fugaces, souvent très bruyants, s’additionnent et s’entrechoquent dans un espace de plus en plus morcelé. Qui suivre ? Qui regarder ? Que comprendre ? Le sens s’effiloche.
Métaphores et métamorphoses
Virginie Strub suggère et ça fonctionne. Avec quelques touches d’évocation, ses décors deviennent plusieurs. Sa scénographie n’est pas aussi minimaliste qu’elle n’y paraît, chaque objet se transforme selon les nécessités de la narration : une baignoire devient piscine olympique, un mur se tourne pour devenir toilette, confessionnal, refuge. Tout s’utilise et se détourne. Cette ingéniosité va de pair avec la construction démultipliée de son spectacle.
Cet ensemble en métamorphose perpétuelle est ponctué par une métaphore autour de la crevette. Elle est partout, que ce soit dans le costume des enfants à la fête, au restaurant où les invités les décortiquent, comme outil d’une bagarre de couple ou dans la scène finale. Alors, quel rapport entre ce crustacé et les propos métaphysiques ? – me direz-vous. Le lien tient sans doute dans l’aspect cru et chirurgical. Une crevette se mange avec les doigts et se décortique. Il faut lui enlever la carcasse afin d’accéder à sa chair. En somme le travail matriciel de la metteuse en scène. Par contre, cette métaphore qui semble juste n’est pas d’emblée évidente. Ou alors c’est qu’il s’agit d’autre chose, mais quoi ?
Par un souci d’exhaustivité, Virginie Strub affaiblit son propos jusqu’à le rendre difficile à lire. Même si le spectacle n’est pas sans véritable intérêt, on aurait aimé un tri axé sur les essentiels pour une lisibilité moins confuse. Le mieux est toujours l’ennemi du bien.
Jean-Jacques Goffinon
137 façons de mourir
Virginie Strub / Kirsh Cie
Jusqu'au ven. 9 octobre 2020
La Balsamine (Bruxelles)