"Orange" d'Ichigo Takano, manga tout en finesse
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Lorsque l’on évoque les mangas, les premières images qui nous viennent en tête sont celles des shônen nekketsu, ces bandes-dessinées dédiées à la quête d’un héros aux grands pouvoirs et de ses combats épiques. Certains se rappelleront peut-être les héroïnes aux grands yeux cherchant l’amour dans des dessins animés tendres et joyeux. Mais voilà, il y a autant de sortes de mangas qu’il y a de lecteurs, et c’est d’une histoire atypique sur la dépression dont je vais vous parler aujourd’hui.
Orange, écrit et dessiné par Ichigo Takano, est l’un des plus grands succès d’édition de manga en France de ces dernières années. Si la série courte (avec ses 5 volumes, on est loin des 93 tomes de Détective Conan !) a eu un succès d’estime au Japon, c’est en francophonie, deuxième plus grand consommateur de mangas au monde, que la série a vraiment trouvé son public, recevant même plusieurs prix.
Pourtant, c’était loin d’être gagné. La forme n’est pas forcément la plus appréciée : le shôjo (manga pour jeune fille) souffre du cliché « histoires fleur bleue et gentillettes ». Le sujet, par contre, ne se prête pas à la détente.
Naho est une jeune fille sans histoire qui vit dans une petite ville japonaise. Le jour de la rentrée des classes, elle reçoit une étrange lettre qui semble avoir été écrite par Naho elle-même… mais dix ans dans le futur ! Elle lui prédit l’arrivée d’un nouvel élève dans sa classe, Kakeru, et lui dicte une marche à suivre. Au fil des lettres qu’elle reçoit régulièrement, Naho va commencer à comprendre : ce que son « elle du futur » essaye d’éviter, c’est que Kakeru se suicide, un peu avant la fin de l’année scolaire.
L’histoire, mêlant les sentiments amoureux à la dépression et aux regrets, est écrite tout en finesse et sans longueur, le tout appuyé par un graphisme très tendre et doux. — -
D’autres thèmes viennent enrichir le récit, tel l’amitié (même l’amitié sincère garçon-fille, ce qui est assez rare pour le souligner), la difficulté de déclarer ses sentiments, comment les adolescents voient leur vie de futur adulte…
Il traite particulièrement bien la détresse psychologique, tout d’abord avec la maman de Kakeru. Celle-ci se bat contre une très profonde dépression et n’arrive plus à élever seule son fils. La mère et le fils quittent donc Tokyo pour emménager chez la grand-mère de Kakeru, pour qu’elle puisse suivre un traitement tout en étant rassurée pour le confort de son fils. Néanmoins, elle lui demande énormément d’attention, ce qui pèse un peu trop sur les épaules de l’adolescent. Il décide alors de ne pas l’accompagner à son rendez-vous chez le médecin pour profiter d’une sortie avec ses nouveaux amis.
Or, celle-ci se suicide et il la retrouve à son retour. Il restera persuadé que c’est de sa faute et que s’il l’avait accompagnée, elle serait toujours en vie. Le poids du regret s’abat alors sur lui. Déjà sujet à la déprime, celui-ci s’enfoncera alors dans une dépression analogue à celle de sa mère, jusqu’à une issue fatale si l’on en croit les lettres du futur.
Malgré tout, le manga reste très optimiste et donne des clefs de compréhension et d’attitude à avoir face à une personne dépressive. Reconnaître les signes avant-coureur, entourer la personne d’attention, la pousser à parler, et surtout lui donner des raisons de continuer… tout en déchargeant les « survivants » du poids du regret, car toutes les attentions du monde ne permettent pas toujours d’éviter l’impossible.
Quelques touches d’humour, d’amour et de tendresse parsèment le récit, ce qui le rend moins lourd à supporter. Il ne banalise ou ne "glamourise" jamais les sujets graves ou la réelle souffrance psychologique dont les personnages souffrent.
À ce niveau, il est bien plus salvateur qu’une histoire comme 13 Reasons Why qui au contraire peut s’avérer assez maladroite dans la mise en scène d’un suicide épinglé comme un acte courageux de vengeance.
En quelques mots, c’est un manga qui nous montre une autre
facette d’un genre souvent mal compris avec un message intéressant et
nécessaire, parfois dur mais sans tomber dans le mélodrame. Il est « sucré
et acide à la fois. C’est un gout amer, comme celui du chagrin », tel le
jus d’orange que l’héroïne boit en réfléchissant aux futurs possibles,
souriants ou non.
Vous pourrez retrouver la série complète dans les bibliothèques de Gosselies, Gilly, Rimbaud à Charleroi et Marchienne.
Marie Devigne
Réseau des bibliothèques de Charleroi
Ichigo Takano : Orange
5 volumes - env. 1000 pages au total
éditions Akata, 2014-2016