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« Parle-moi Bruxelles » : interview de Rebecca et Daniele du Medex

nuages d'expressions "Parle-moi Bruxelles" - (c) Massimilano Di Franca pour MedexMuseum.jpg
À l’occasion de l’accrochage de la toute dernière exposition au PointCulture Bruxelles (« Parle-moi Bruxelles », anthologie illustrée et multilingue des expressions idiomatiques liées au corps) nous avons rencontré deux des chevilles ouvrières d’un dynamique et inventif Musée éphémère et itinérant.

Sommaire

Musée ? Éphémère ? Itinérant ? Exil ?

- Philippe Delvosalle (PointCulture) : Pourriez-vous commencer par présenter le Medex (son histoire, ses objectifs, ce qui fait sa spécificité, etc. ) ?

Musée éphémère de l'exil MEDEX

Rebecca : Medex c’est l’acronyme de « Musée éphémère de l’exil ». Malgré notre nom nous ne sommes pas vraiment un musée à proprement parler (pas une institution muséale classique) ; nous sommes un collectif d’artistes et de citoyens qui s’intéressent aux questions de l’exil, des migrations – et par conséquent aussi de la multiculturalité. Le collectif organise des expositions à partir d’ateliers qui impliquent différents publics. On a commencé en 2014-2015 avec des ateliers au Petit Château avec des demandeurs d’asile et des expositions éphémères qui ont été présentées le temps d’une nuit lors de la Museum Night Fever.

On est parti de cette notion d’éphémère, d’éléments qui sont légers, instantanés, qui ne durent pas, précaires… et qui donc se rapprochent de la thématique qu’on voudrait aborder. Le Musée est aussi itinérant – nous n’avons pas d’espace à nous mais occupons d’autres lieux – ce qui fait également écho à la thématique de la migration. — Rebecca (Medex)

Cette itinérance implique des contraintes – comme par exemple le fait de devoir travailler avec des matériaux légers pour pouvoir nous adapter à différents contextes et différents espaces – mais aussi un atout car elle permet à notre public de découvrir plusieurs lieux dans Bruxelles (comme par exemple cette exposition « Parle-moi Bruxelles » qui est présentée au PointCulture Bruxelles après quatre autres lieux que nous avons investis jusque-là).

On parle « d’exil », pas de « réfugiés » ou de « migrants » parce qu’on s’intéresse au sentiment que l’on peut ressentir quand on est parti de chez soi, qu’on a laissé la porte ouverte mais qu’on n’a pas forcément la possibilité d’y retourner. C’est aussi une manière de ne pas catégoriser les gens en fonction de leur origine géographique ou de leur statut économique mais, au contraire, de se focaliser sur les raisons qui ont pu faire qu’ils sont partis de leur pays d’origine et sont venus s’installer à Bruxelles.

- Tu as expliqué que l’origine, que le premier de vos projets, s’ancrait au Petit Château mais j’ai l’impression que dans tout ce que vous avez construit depuis lors ce sont les différentes strates, les différentes couches d’immigration qui sont concernées et pas juste les « primo-arrivants » ou les derniers en date de ces exilés ?

Daniele : Nous ne sommes pas dans la catégorisation de qui est quoi, à quel moment de sa vie, etc. Nos collaborations arrivent au hasard aussi, avec des personnes qui s’intéressent au fait de faire quelque chose d’artistique qui parle de multiculturalité, d’exil, etc.

Mais nous n’avons pas une ligne par rapport aux personnes avec qui nous travaillons. Aujourd’hui on travaille avec des réfugiés, demain avec des sans-papiers, après-demain avec des expats, etc. En fait, toute personne qui habite ici et qui vient d’ailleurs entre en ligne de compte. Même des personnes pour qui cet ailleurs se nomme Charleroi ou Vilvorde, ou même une autre rue. L’exil c’est aussi l’abandon d’une certaine condition : par exemple, l’âge adulte c’est l’exil par rapport à l’enfance. Le mot « exil » est donc à prendre au sens large. — Daniele (Medex)

Nous voulons éviter d’utiliser une étiquette qui ne s’applique qu’à une seule catégorie d’êtres humains. Dans ce contexte, on essaye par le biais de l’art de développer une certaine empathie et de raconter des histoires, des expos ou des projets qui peuvent parler à tout le monde.

- Comment l’un et l’autre vous êtes-vous retrouvés à faire partie de ce projet du Medex ?

Daniele : Pour ma part, je suis coordinateur et cofondateur du Medex qui est né à l’automne 2014. On était un simple collectif d’artistes mais on a dû se constituer en asbl – et en « pseudo-musée » – au printemps 2015 pour pouvoir participer à la Museum Night Fever. Ces derniers temps, j’essaye de plus en plus de ne m’occuper (presque) plus que de la coordination artistique mais comme il s’agit d’un projet dans lequel il n’y a que des bénévoles, pas de salariés, je me retrouve à quand même faire plein d’autres choses. Avec le Covid, depuis le printemps 2020, on n’a pas trop pu faire d’ateliers ni d’événements, on n’a pas trop pu travailler comme on le faisait jusque-là…

Medex appel à bénévoles - novembre 2018

Medex appel à bénévoles sur les réseaux sociaux - novembre 2018

Rebecca : Moi, j’ai rejoint le Medex un peu plus tard, vers 2017-2018 comme bénévole. Un des beaux aspects du Medex, c’est qu’une fois que les histoires ou les témoignages sont récoltés, il y a une ouverture à celles et ceux qui voudraient participer à la mise en œuvre d’une exposition ou d’une publication. Au départ, je suis juste venu donner un coup de main pour une exposition liée à un retour de Sicile et à des ateliers là-bas dans un centre de mineurs étrangers non accompagnés.

Au moment où je suis arrivée, le Medex a remporté un prix de la Ville de Bruxelles pour la mixité et nous avons été surpris d’apprendre le nombre de nationalités vivant ici à Bruxelles. La diversité fait vraiment partie de l’identité de cette ville – et cela permet peut-être aux gens de s’y intégrer un peu plus facilement qu’ailleurs. — Rebecca

Le tour du monde en 183 assiettes

Au début, je me suis surtout investie dans ce projet qui mélangeait culture et gastronomie via des brunchs à partir de « récup’ » alimentaire et de la mise à disposition de la cuisine de Refresh à Ixelles. Quoi de mieux que la nourriture pour rassembler les gens ? Les différents événements étaient co-créés avec les différentes communautés qui vivent à Bruxelles : des membres de la diaspora qui avaient envie de cuisiner un repas ensemble, des musiciens qui voulaient donner un concert, des bouquins, etc. Chaque mois, on mettait à l’honneur une communauté de Bruxelles. Il y a eu un effet boule de neige : des gens qui restaient dans l’organisation pour nous aider sur les prochains événements… et des événements (itinérants, donc – tant dans des institutions culturelles que des squats par exemple) qui étaient de plus en plus ambitieux et touchaient de plus en plus de monde.

Medex "Tour du monde en 183 assiettes" Noruz mars 2019

Medex "Tour du monde en 183 assiettes"#25 : Noruz (nouveal an iranien) mars 2019

Le Medex est un collectif assez souple, assez fluide qui permet (en fonction de ce qu’on a envie de faire, du temps qu’on a, de ce qu’on a envie d’apprendre, etc.) de participer de plein de manières différentes.

Expressions imagées

- Et l’exposition « Parle-moi Bruxelles » comment se place-t-elle dans votre histoire ?

Daniele : Ce projet est un peu la suite d’un échec. Il y a plusieurs éléments qui entrent en ligne de compte. D’abord, j’ai personnellement commencé en tant qu’artiste à développer en 2019 une curiosité vis-à-vis de la distance qu’il peut y avoir entre le sens littéral d’une expression et son sens figuré. J’ai commencé à en chercher, en repérer à droite et à gauche et à les illustrer. Et je me suis rendu compte que c’était quelque chose qui se retrouvait dans toutes les langues (voire parfois dans différents groupes culturels au sein d’une même langue) et qui pouvait être partagé par les gens parlant toutes ces langues. J’en ai illustré quelques-unes et en juin 2020, après le premier confinement…

"Parle-moi Bruxelles" 03 - (c) Massimilano Di Franca pour MedexMuseum

"Parle-moi Bruxelles" - (c) Massimilano Di Franca pour MedexMuseum

Rebecca : …on a découvert qu’il y avait à Bruxelles un Ministre du multilinguisme, Sven Gatz ! La Belgique doit être le seul pays du monde a avoir un Ministre du multilinguisme !

Daniele : Et on a présenté ce projet (en version participative et au nom du Medex) à un appel de ce Ministère qui s’intitulait « BeTalky ». À nos yeux, qu’y avait-il de plus multilingue et multiculturel que notre idée de créer in fine une « encyclopédie non-exhaustive et multilingue des expressions idiomatiques sur le corps humain » !

Toutes les langues sont acceptées, toutes les expressions sont acceptées, même les plus vulgaires, trash, machos mais il faut qu’on y mentionne une partie du corps! — Daniele

Puis on a compris que c’était un appel à projets sur le bilinguisme et non sur le multilinguisme ! Mais, malgré cet échec, on s’est quand même bougé les fesses pour le présenter à d’autres personnes, à la Commune d’Ixelles (notre siège social depuis le début de notre asbl), le Brass à Forest, à nouveau la Museum Night Fever, PointCulture, etc. Depuis que cette expo tourne, la réponse du public est vraiment étonnante ! Il y a un grand décalage entre la réponse des pouvoirs publics… et celui du public lui-même ! Lors de l’expo au Brass, il y avait un mur sur lequel les gens pouvaient proposer leurs expressions et rien qu’au cours du vernissage cet espace était complètement rempli de propositions ! le public a envie à la fois de prendre part et de jouer le jeu (de ne pas dévoiler tout de suite ce qui se cache derrière chaque expression). Tout ça est accompagné d’un dispositif de visites guidées et d’ateliers qui répondent pas mal à des besoins de légitimation, d’identification, d’acceptation des autres cultures. Même si leur fond n’est pas toujours positif, loin de là – parmi les expressions les plus imagées, il y a beaucoup d’insultes, de métaphores pour évoquer la paresse, l’avarice, etc. – ces expressions n’en sont pas moins, pour les gens qui parlent la langue en question, un signe d’une richesse de leur culture.

Rebecca : La genèse du projet est aussi liée au fait qu’au sein du collectif et de tous ceux qui gravitent autour il y a des gens qui parlent plein de langues différentes et qu’il y a donc de temps en temps des petits « lost in translation ». Parfois, même lorsqu’on parle bien une langue, on essaye de déménager » une expression idiomatique de notre propre langue maternelle vers la langue de communication… Et l’autre, en face de nous, ne comprend pas toujours nécessairement ce qu’on est en train de dire ! C’est parfois assez cocasse et assez marrant ! Et c’est souvent l’occasion pour cette personne d’expliquer ce que cela veut dire dans sa langue. C’est une ouverture vers sa culture. Je crois qu’après les confinements liés au Covid, on avait besoin de ça pour se retrouver – et d’une manière assez légère, en plus.

Cela encourage des gens qui ont un français, un anglais ou un néerlandais un peu hésitant et qui sont souvent un peu en retrait à dévoiler des petits bouts de leur richesse linguistique à eux, dans leur langue. Le choix du fil conducteur du corps humain est lié au fait qu’on a tous un corps, peu importe la langue qu’on parle. — Rebecca

Lors de la première expo, on avait peut-être une vingtaine d’expressions illustrées. Mais les gens ont partagé massivement des expressions dans leurs langues à eux. On les intègre au fur et à mesure et in fine l’idée est que chacun puisse contribuer à cette encyclopédie. Ce projet ludique et graphique parle à tout le monde, tous les âges confondus. C’est assez inclusif !


- Au niveau de la récolte des expressions, c’est donc parti de toi Daniele au moment où c’était un projet personnel à toi puis ça s’est élargi en devenant un projet participatif du Medex, c’est ça ?

Daniele : Je ne fais pas trop la distinction. J’ai quand même une démarche d’artiste qui est très ouverte au multiculturel et au participatif… J’ai commencé ma récolte auprès de gens qui gravitaient autour du Medex et qui sont devenus des amis. J’ai essayé de varier les origines géographiques des expressions. Au début il y en avait beaucoup d’espagnoles, d’égyptiennes, d’italiennes, de françaises... et de belges. Puis via les expos, il y avait des Portugais, des Chinois, des Russes, des Polonais, etc. qui venaient. Toutes ces personnes laissaient des expressions. En particulier lors des visites guidées et des ateliers, lorsqu’on pouvait bien expliquer la contrainte liée à la mention d’une partie du corps, la récolte était très bonne.


- Et au niveau de l’illustration des expressions, c’était toi seul qui t’en chargeait au début puis tu as été rejoint par d’autres artistes en cours de route ?

Daniele : Non, ça reste moi seul qui m’occupe de l’identité graphique, en termes de dessins à la tablette numérique. Mais on travaille ensemble à l’agrandissement des œuvres. Tout le monde met la main à la pâte, certains plus en noir et blanc, d’autres plus en couleurs. Du coup, cela devaient des œuvres collectives.

J’ai initié le projet en allant vers une dimension graphique la plus neutre possible et vers une touche comique. Mais pas ‘trop’ comique. C’est l’équilibre que j’ai essayé de trouver. Les expressions sont tellement variées que, s’il n’y avait pas un fil rouge graphique, ça risquerait de partir dans tous les sens, d’être trop ‘plic-ploc’. — Daniele

Cogner des bouts de corps

- J'ai vu des photos de l’accrochage de l’exposition au Brass et ce n’est pas juste un accrochage de dessins au mur. Il y a l’air d’y avoir pas mal d’éléments qui cassent ce côté strictement bidimensionnel…

Daniele : Oui, l’idée était de faire exploser ce côté 2D, d’éviter un côté figé ou rigide, que les visiteurs puissent manier des éléments de l’expo, cognent des « bouts de corps » suspendus au plafond avec des fils transparents, etc. C’est le résultat d’un travail fait en commun avec notre scénographe attitrée Noémie Goldberg. Il y a par exemple un nuage d’expressions, en langue originelle d’un côté et en traduction du sens premier et figuré en français de l’autre côté. [cf. image de bannière de cet article]

- Votre exposition va être la toute dernière au PointCulture Bruxelles. Comment voyez-vous la disparition de ce lieu ?

Daniele : On a travaillé à plusieurs reprises ensemble entre autre pour la saison thématique « Migrer ». La disparition de cette médiathèque qui n’a pas réussi à se faire reconnaître aussi comme centre culturel, ça montre sans doute une vision d’autorités publiques qui ne considèrent pas que la culture doit être soutenue coûte que coûte si elles n’y voient pas leur intérêt économique. Dans une société libérale, l’offre dite « culturelle » n’est pas toujours forcément celle qui servirait au peuple. L’artiste a besoin d’un mécène qui soit un minium averti ou intéressé pour être libre de créer quelque chose dont il pense que la société pourrait avoir besoin en termes de réflexion ou de questionnements. Plus des espaces comme celui-ci disparaissent plus je crains qu’on se retrouve avec une vision condescendante et mercantile de la culture.

Rebecca : Pour nous, vu les thématiques que nous traitons et qui sont relayées par PointCulture, la fermeture de cet espace implique un relais – non-marchand, inclusif et dans lequel nous nous reconnaissions – en moins pour nos initiatives.

Daniele : La saison en cours de PointCulture est intitulée « Tout peut changer »… Je comprends la connotation positive que ceux qui ont choisi ce titre ont voulu donner mais je ne suis pas sûr que les changements en cours vont dans le sens de ceux que nous souhaitons ! « Tout peut changer »… mais pas nécessairement en mieux, je le crains.

interview et retranscription : Philippe Delvosalle

photo de bannière : Massimilano Di Franca pour MedexMuseum


site du Medex




exposition "Parle-moi Bruxelles"

Du 28 avril au 4 juin 2022

PointCulture Bruxelles


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