Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | focus

Passage de témoin au Musée de la Résistance

combattants

publié le par Astrid Jansen

Si les motifs de la résistance changent, l’élan de vie qu’elle représente est immuable. En 2022, le Musée de la Résistance rouvrira ses portes sous le nom de « Musée de la Résistance de Belgique, maison des résistances ». L’historienne Agnès Graceffa nous raconte comment le lieu se veut un acteur citoyen des prochaines années dont l’objectif est d’avancer en collectivité. - propos recueillis par Astrid Jansen

  • Astrid Jansen (PointCulture) : Comment un musée se réinvente-t-il ?

Agnès Graceffa : Quand il a ouvert ses portes en 1972, l’objectif du musée était de parler de la Résistance aux jeunes générations. Les résistants de la Seconde Guerre mondiale voulaient transmettre leur message, faire en sorte que l’on se souvienne de leur combat qui résonnait avec les enjeux de l’époque. Aujourd’hui, cet objectif et cette résonance sont toujours d’actualité. Simplement, nous les traitons sous une forme nouvelle, en élargissant le propos. Nous intégrons toutes les formes de résistances actuelles, notamment écologistes, féministes, altermondialistes, etc. Nous voulons présenter la Résistance d’un point de vue historique mais aussi philosophique. Le nouveau musée sera différent de l’ancien car il n’y aura pas seulement une expo permanente sur la Seconde Guerre mondiale (qui reste et, même, est en cours de rénovation) mais aussi des expositions temporaires et une « Fabrique des résistants ».

Quelle place, donc, pour les résistances actuelles ?

-A.G. : Pourquoi on résiste ? Contre quoi ? Comment ? Qui résiste ? Ce sont les quatre grands axes de la Fabrique des résistants qui est une salle spécifique, pensée avec des jeunes gens. Nous travaillons sur toutes les formes de résistances qui ont éclos depuis 1945 pour présenter une approche transversale et philosophique. Nous avons inventé des petites manipulations, des activités ludiques, pour que cette pièce s’adresse avant tout aux jeunes. Le public cible de cette salle a entre 12 et 25 ans. Normalement, cette salle fera le lien entre l’expo permanente et les expos temporaires qui seront organisées sur la Seconde Guerre mondiale mais aussi d’autres résistances contemporaines.

Dans son livre, Éparses, le philosophe Georges Didi-Huberman explore des archives du ghetto de Varsovie et il écrit ceci « L’Europe n’est plus en guerre mais […] sa mémoire est en guerre ». Quelle importance garde la mémoire dans votre musée ?

-A.G. : L’exposition permanente se termine sur la question de la mémoire de la Résistance, ses héros, ses victimes. En Belgique, c’est une mémoire assez compliquée qui a été, dès l’automne 44, un peu bafouée mais qui existe quand même. Le Musée de la Résistance de Belgique a été créé par des anciens résistants et il a été un lieu de rassemblements patriotiques d’anciens résistants. Maintenant, ces rassemblements n’existent quasi plus. Nous sommes à un moment de changement de générations. Il n’y a plus aucun ancien résistant dans l’équipe car ceux qui restent ne sont plus en capacité de porter de nouveaux projets, même si certains ont encore des choses à dire. Il y a vraiment un passage de témoin qui se fait. C’est une période de réinvention difficile car l’émotion que transmet une personne réelle, en face de vous, n’a rien à voir avec une vidéo par exemple. Quand un ancien résistant me raconte ses actes de résistance, ce qu’il a vécu, ce récit qu’il me transmet, je ne pourrai jamais en partager l’exacte émotion, intense. Comment va-t-on présenter tout ça au musée ? Nous nous posons la question…

Au-delà de sa mission de transmission de l’histoire, le musée veut-il transmettre un état d’esprit propre à la Résistance ?

-A.G. : C’était en effet au cœur du projet initial et c’est toujours au cœur du projet actuel. Notre message, c’est : « engagez-vous » ! Nous sommes partis sur un premier thème : « réinventer demain ». Pourquoi on résiste ? Quand refuse-t-on des choses et comment inventer des alternatives meilleures ? Nous parlons d’engagement citoyen et d’engagement au sens large. Même si l’exemple de la Seconde Guerre mondiale montre que cet engagement n’est pas sans risque, il se fait au nom de principes qui au final sont victorieux. Ce message se transmet avec vigilance évidemment. La question de la lutte armée se pose. Il faut pouvoir faire la différence entre résistance et terrorisme. Quelles sont les bonnes luttes, les mauvaises luttes ? L’idée est de mettre des points de repères car nous nous adressons aux jeunes. La dimension citoyenne est importante. Il faut rappeler quels principes universels centraux doivent figurer au centre de la définition d’une résistance légitime.

Vous parlez de légitimité… Abordez-vous la question de la culpabilité ? Celle d’être toujours dans la contestation?

-A.G. : Non mais ça m’intéresse ! Nous en reparlerons… Jusqu’ici, nous n’avons pas travaillé ce point en particulier mais nous avons travaillé sur l’éventuelle culpabilité des résistants d’avoir mis en péril leur famille. En général, on ne culpabilise pas de mettre en péril sa propre vie mais bien celle des autres.

Quel a été l’impact du Covid sur votre travail ?

-A.G. : Nous voulons inclure les associations et étudiants anderlechtois au projet et nous avons été un peu bloqués dans notre démarche participative. Nous réfléchissons à une solution virtuelle pour le début de l’année 2021. Pour l’instant, nous travaillons seuls et ce n’est pas le but ! Le Covid freine le dialogue et complique l’accès à nos archives.

Le Covid a accéléré des besoins de résistance, vous êtes d’accord ?

-A.G. : Le Covid fait prendre conscience qu’il va falloir se mobiliser encore plus. Lors des premiers moments du premier confinement, un espoir de changement est né. Quelque chose s’est passé mais finalement c’est la morosité aujourd’hui qui a pris le dessus. Je ne pense pas que l’effet jusqu’ici a été positif. Il y a bien des nouvelles voix qui se lèvent mais aussi une dégradation des situations déjà compliquées. Quand on est dans la difficulté, on a aussi du mal, avec le quotidien qui mange tout, de prendre la distance nécessaire à la révolte et à la résistance. On est vraiment sur quelque chose d’ambivalent. Mais nous allons reparler de ce point avec les jeunes car nous aimerions intégrer cette dimension dans la Fabrique des résistants.