Paul Metzger (1ère partie) – le banjo modifié à 23 cordes
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Interview réalisée par e-mail par Philippe Delvosalle en août-septembre 2013
Paul Metzger, son banjo à vingt-trois cordes ainsi que son « spontaneous music generator », seront pour 5 dates dans le réseau des PointCulture (Bruxelles, Liège, Charleroi, Ixelles, Huy) entre la mi-octobre 2013 et le tout début novembre 2013. Un long entretien (par e-mail) avec un grand musicien aussi devenu un ami précieux. La mise au point d’un instrument et l’invention d’une musique comme leçons de vie et de modestie. Première partie : le banjo modifié.
1- LE BANJO MODIFIÉ
Peut-on dire qu’une partie importante de tes aventures musicales des vingt dernières années sont nées quelque part entre une médiathèque (et sa collection de disques de musique classique indienne) et un mont-de-piété (où tu dis avoir acheté un « banjo pas terrible mais bon marché » ) ?
On peut dire ça ; ça me va. Dans les années 1970, les choses se passaient de manière assez différente de celle dont elles se passent aujourd’hui. Les radios communautaires étaient une source importante de découvertes musicales qui menaient ensuite souvent vers la bibliothèque publique pour y trouver des livres et des enregistrements liés à ces musiques. C’est comme ça que j’ai, pour la première fois, vu des images des différents instruments orientaux / « du monde » que j’écoutais : des instruments incroyables comme des rabâbs d’Afghanistan ou des sitars. Les disques comportaient souvent en notes de pochettes des petits bouts d’informations à propos des instruments et de la structure de la musique. Évoluant plutôt du côté pauvre de la société, je me suis retrouvé à acheter des instruments dans des brocantes, des magasins de seconde main et des monts-de-piété. C’est là que j’ai acheté mon premier banjo à 50 dollars.
Étais-tu encore dans T.V.B.C. quand tu as commence à travailler à ton banjo modifié ? Dans ce groupe, tu jouais plutôt de la guitare électrique, non ? Y avait-il déjà des éléments d’influence orientale dans la musique de T.V.B.C. ?
T.V.B.C. a commencé vers 1984 et j’y jouais effectivement de la guitare électrique. On était un « power trio » rock avec un penchant pour des improvisations longues qui étaient souvent liées à ma musique acoustique. Avant T.V.B.C. je ne jouais que des instruments acoustiques que je modifiais.
Pour revenir à ton banjo modifié, le facteur « Temps » semble avoir représenté une donnée importante. Son histoire semble avoir été liée à un processus lent et progressif, pas-à-pas… Quand on a découvert tes premiers disques vers 2005-2008, les gens disaient ou écrivaient – et je ne sais pas si c’est la réalité ou une légende d’Internet – que tu avais travaillé une vingtaine d’années sur cet instrument, seul, à la maison, n’en jouant que dans un cercle privé (d’amis proches et de membres de ta famille) et n’imaginant pas l’emmener dans la sphère publique (des disques ou des concerts, par exemple)…
Le Temps c’est tout à fait essentiel pour ce que je fais. Mon travail de modification d’instruments et mon jeu acoustique sur ces instruments ont toujours avancé au rythme d’un train très très lent. J’aime les processus de développement lents. Si je peux l’éviter, je ne me hâte jamais. Pour ce qui est de donner des concerts, j’ai toujours cru que personne ne voudrait entendre ce que je faisais. Je me disais que si presque personne n’était intéressé par les musiciens que j’adorais [on trouvait à grand peine leurs enregistrements chez les disquaires] alors la musique que je faisais ferait certainement mieux de rester cantonnée à ma chambre à coucher. Et bizarrement, je pense toujours un peu comme ça. Je suis souvent surpris et touché quand un public m’offre le beau cadeau de leur attention.
Dans les entretiens, tu utilises régulièrement les mots « loner » (solitaire) ou « outsider ». C’est important que le contexte, le terreau de ta musique se trouve de ce côté-là ?
Je crois. Les choses développées hors de contextes de pressions extérieures me paraissent souvent intéressantes. Il me parait important que je ne fais pas « contre mauvaise fortune bon cœur ». C’est de nature que je préfère être seul et que je ne me sens pas très à l’aise entouré de gens.
Tes premiers enregistrements mentionnent un banjo à 21 cordes ; les derniers un banjo à 23 cordes… Cela veut dire que l’instrument continue à évoluer ? Et aussi, j’imagine, que l’instrument n’a pas « sauté » en un seul bond de 4 ou 5 cordes à 21 ? Y a-t-il eu plusieurs banjos, plusieurs prototypes le long de la ligne du temps de ce processus de transformation ? Y a-t-il aussi eu des voies sans issues ? Des moments où tu devais reculer un peu pour redémarrer dans une autre direction ?
Le banjo que je joue actuellement est mon troisième. À chaque fois, je prends des idées des banjos précédents et les applique au nouveau, tout en cherchant à améliorer au passage toute une série de petits détails. Mon premier banjo avait en bout de course 11 cordes : 4 cordes principales et 7 cordes sympathiques. Puis, j’ai au l’idée de rajouter des cordes le long du corps du banjo mais perdu pas mal de temps à trouver un moyen de le faire. Une idée était d’utiliser des chevilles récupérées d’une vieille cithare – mais celles-ci se sont révélées si difficile à accorder ! C’était donc une voie sans issue… Mais, en même temps, c’est tellement agréable de se retrouver là: de faire ce boulot, d’imaginer des solutions, de les tester, d’entendre de nouveaux sons et de découvrir de nouvelles façons de jouer… « Voie sans issue » est peut-être une expression un peu rude…
Certaines personnes (peut-être même moi-même) ont affirmé qu’à une époque marquée par le développement d’Internet, comme les années 2000-2010 par exemple, tu aurais sans doute pu acheter un sitar ou un sarangi en ligne… Même si cette solution aurait peut-être été chère et aurait aussi complètement changé l’histoire / le processus en termes de temps et de vitesse (recevoir un instrument en une ou deux semaines dans sa boite aux lettres n’équivaut pas au fait de passer vingt ans à construire le sien)…
C’est exact. À plein de niveaux, nous vivons dans un monde différent aujourd’hui. Je peux par exemple trouver plein d’informations sur la musique qawwali en à peine quelques secondes et sans bouger de chez moi. Tout cela fait partie de nos vies maintenant. J’ai acheté un sarod en ligne il y a quelques années et je l’avais réceptionné en moins d’une semaine ! Je suis certain que mon parcours musical aurait été différent si j’étais né en 1988 plutôt qu’en 1958. À peine 30 ans plus tard !
Construire tes instruments était une chose, mais j’imagine qu’en parallèle tu as aussi du « construire » ta musique : découvrir ton vocabulaire, domestiquer tes sons, trouver comment jouer des instruments que tu inventais… Dans cette logique, c’était important dès le début que les cordes puissent être à la fois pincées et jouées à l’archet ?
Par rapport à la dernière question : non ! Toutes les techniques de jeu que j’utilise, je les ai développées au cours du temps en même temps que les instruments eux-mêmes. J’ai travaillé à essayer d’obtenir des sons pincés rapides comme ceux des joueurs de pipa. Je n’ai aucune idée de leur méthode mais j’adore ce son. Donc, il y a quelques années, j’ai commencé à chercher ma propre version de ce type de son et de jeu et à l’incorporer à ma musique. Pour moi, c’est comme apprendre un nouveau mot. Au début, on l’utilise à la fois de manière maladroite et exagérée… puis, à la longue, le mot prend une place « naturelle » dans notre vocabulaire. C’est souvent comme ça que ça se passe.
En termes de temps, de vitesse et d’exposition médiatique, cela a du représenter un gros changement de réaliser 6 ou 7 albums solo entre 2005 et 2008 ?
C’était assez bizarre. J’ai joué pour la première fois du banjo solo en public en 2005, je crois, et j’étais surpris de voir que des gens étaient à ce point intéressés par ce que je faisais pour me proposer d’en sortir des enregistrements en disques. Je suis tellement reconnaissant d’avoir pu documenter des traces de mon travail ; c’est quelque chose que je n’avais jamais imaginé être possible.
Est-ce un signe qu’au cours d’une seconde période, vers 2009-2010, tu as plutôt sorti des disques au sein de collectifs d’improvisation, surtout avec Milo Fine (au piano et à la clarinette) et Dave Seru (à la batterie) ? Sentais-tu le besoin d’interagir avec d’autres musiciens plutôt que de jouer seul ?
C’était une période où je devais rester ici à Saint Paul dans le Minnesota pour pouvoir aider à prendre soin de ma mère qui était en train de mourir de la maladie d’Alzheimer. À l’époque, je n’avais pas l’énergie pour poursuivre ma propre voie en solitaire. J’ai eu la chance d’être entouré de musiciens avec lesquels je pouvais jouer, et quelques enregistrements issus de ces rencontres sont sortis.
Sur la cassette Maccaferri (2007 ) tu as repris deux compositions de Thelonious Monk et sur ton dernier album en date, Tombeaux (2013) tu interprètes Beau soir, une composition de 1883 de Claude Debussy. Peux-tu dire quelques mots sur la manière dont tu envisages les reprises ? Les considères-tu quasi automatiquement comme des réinterprétations ?
Ce sont toujours des interprétations de ce type qui m’intéressent. Je sens que je dois avoir quelque chose de nouveau à dire à propos d’une pièce que j’aime et que je décide de jouer. Je n’aurai jamais envie de proposer une interprétation parfaite (note-par-note) d’un morceau que j’apprécie. J’aurais le sentiment que cela existe déjà, sans moi, que cela a déjà été joué par d’autres que moi – et que c’est très bien comme ça. Pour moi, ce qui me parait être une chose décente à faire, c’est d’essayer de rentrer à l’intérieur de la composition et d’y trouver quelque chose d’autre.
« Emel », sur la compilation Open Strings – 1920’s Middle Eastern Recordings (Honest Jon’s, 2009), c’est une reprise ? Ou c’est plus une réponse musicale personnelle à ces vieux 78 tours orientaux des années 1920 ? Ce lien aux « originaux » (aux sources d’inspiration) est-il à peu près du même ordre que le lien qui existe entre des parties importantes de ta musique solo et l’inspiration de musiciens tels que Nikhil Banerjee ou Ram Narayan ?
Ce n’est pas une reprise. Les gens du label Honest Jon’s m’avaient envoyé les enregistrements de ces 78 tours du Moyen-Orient et m’avaient demandé une réaction musicale. Ce qui est pile-poil « dans mes cordes » : essayer de répondre le plus honnêtement possible à ce que j’entends. Mais, il y a beaucoup de musiciens qui ont influencé mon jeu, même si ce n’est pas toujours évident à déceler à l’écoute.