Peintre de villes fantômes – au Borinage
Le peintre Bruno Vandegraaf transpose sur toiles les fleurons architecturaux du reflux économique qui frappe depuis des décennies Mons et le Borinage. En 2015, sur base de chiffres fournis par l’AMCV (Association du management centre ville), un magasin sur quatre est vide à Mons. Et ça ne s’est pas arrangé depuis lors. L’environnement de la région est envahi par les traces de l’échec de la croissance, par les chancres industriels banals, par les monuments impromptus célébrant la paupérisation individuelle et collective. C’est dire si le spectacle permanent de ces ruines corrode le mental des citoyens qui les subissent au jour le jour, de manière insidieuse, permanente, sans plus les voir. L’artiste s’y promène, ouvre les yeux, et ces volumes et façades dévitalisées l’envahissent à la manière d’une ville fantôme. Il entend, il perçoit ce qui ne cesse de disparaître. Interpréter ce cadastre du sinistre quotidien, en faire des peintures « belles à regarder », qui transmettent une émotion liée au savoir-faire mais aussi à ce que signifie dans le vécu de milliers de gens, le voisinage de ces bâtis sans espoir, c’est proposer une réappropriation. Ce n’est pas recouvrir le désastre par de belles images, ce n’est pas occulter le social par de l’esthétique de surface. La qualité du dessin, le sens exceptionnel de la mise en volume et en perspective, le talent magique pour la colorisation de ces lieux déshumanisés et retrouvant petit à petit, dans les coins, des âmes plurielles, ce sont autant de gestes d’attention pour ce que représente la quantité de blessures portées aux « gens » du coin, ceux qui endurent la désindustrialisation, le chômage, un environnement de misère. C’est un répertoire raffiné, aux teintes étudiées entre maladie et renouveau timide, couleurs joyeuses mais anémiées, aux pigments affaiblis, entre disparition et apparition. On y voit des devantures occultés depuis des années, couches de matériaux superposées comme des strates successives de la paupérisation,, rencontres fortuites de couleurs, et qui, selon le cadre, sans rien perdre de leur dramaturgie réelle, flirte avec des sommets de l’abstraction concrète (on pourrait y voir des références de tableaux de Jean-Pierre Scouflaire !). Ce sont des immeubles industrialisés, inspiré du design fonctionnel des grandes usines passées, et qui restent hagards, volets clos. Juste, tout près, soleil et ombre à travers une palissade abîmée. Des pavillons modernes isolés, comme perdu au coin de terrains vagues, et rappelant les anciennes promesses de prospérité (à chacun son habitat uniforme, fabriqué sur le même moule, pas cher). De grandes bâtisses en briques de charbonnage encastrées entre les surfaces impersonnelles de tôles, grilles, murets hérissés. Des hangars désaffectés. Des stations -services inertes, débranchées, devenant abstraites, sans signification. Avec le maigre éclairage public, blafard, sur le coin. Des reflets dans des vitres brisées. Partout des carreaux noirs. Il y a bien sûr, aussi, un regard d’amour sur ces choses tristes et laides. Du genre, « tout le monde te trouve moche, mais je vais dire ta beauté, c’est indispensable pour te relever ». Cette transcendance poétique n’est pas dépourvue de dimension politique : grâce à la sensibilité stimulée par ces peintures, un regard différent est possible sur l’environnement, une notion de patrimoine de la désindustrialisation peut évoluer (et pas seulement prendre en compte les grandes friches industrielles spectaculaires), une mémoire de ce qu’on a fait subir à une région est consignée dans des toiles qui resteront, et une réflexion armée et riche de ces expériences esthétiques face aux toiles, peut revendiquer une autre vie, repenser une ville qui ne soit pas le fantôme de ce qu’elle a été.
> une liste de villes fantômes sur Wikipedia
À côté du travail de longue haleine de Bruno Vandegraaf, Philippe Bouillon expose un travail récent dont la thématique est proche : sur des carrelages en ciment recueillis dans des décharges, donc des fragments de maisons abandonnées, détruites, il appose des sortes de schémas de maisons complètes, idéales, des bouts de rêves d’intérieur toujours à reconstruire, à nourrir de nouveaux rêves.
Les deux artistes, réunis à la Maison de la Culture de Quaregon, ont été célébrés par un vernissage réussi, réunissant de nombreux amis et amies.
Pierre Hemptinne
photos: Laurent
Faure (vernissage) et Bruno Vandegraaf (œuvres)
Exposition Apparition/Disparition
Jusqu'au 11 février
Maison culturelle de Quaregnon
355, Rue Jules Destrée 355
7390 Quaregnon