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Pendant le confinement : réflexions.

coronavirus

changement climatique, accélération, Hartmut Rosa, Frédéric Lordon, coronavirus, Spinoza, TINA

publié le par Daniel Schepmans

Réflexions sur le début de confinement et sur ses conséquences sur ma perception des choses quelques mois après. Serons-nous capables de ne pas nous rendormir après tant de bouleversements ?

Nous sommes à la mi-mars et à l'heure du coronavirus, le désastre climatique est-il toujours dans les têtes, faisons-nous bien le lien entre les désastres successifs auxquels nous sommes confrontés, ne sommes-nous pas passés d'une peur à l'autre, prisonniers que nous sommes bien souvent de notre incapacité à appréhender de front plusieurs perceptions à la fois ? Ne vivons-nous pas cette catastrophe sanitaire comme un simple épisode, entraînés et rendus aveugles notamment par la perversion médiatique, celle qui chasse un mal de l'actualité pour nous en proposer un autre à ingurgiter et agissant comme une nourriture indécente qui finit par nous transformer en boulimiques d'un monde très malade ? En ce moment même, le coronavirus occupe tous les esprits, il nous mobilise dans le confinement, cette immobilité forcée, et nous oblige à une discipline qui est l'exacte inversion des modes de vie auxquels nous sommes sommés d'adhérer en temps normal, sous peine de déclassement ou de précarisation, exacte inversion donc de la mobilité, celle de l’injonction à bouger, pour aller au boulot ou pour en trouver, bouger pour voyager et alimenter la mécanique touristique, bouger pour tout, pour la machine qui dévore notre temps, bouger parce qu'il faut être toujours en mouvement et le faire de plus en plus vite, sans répit, avec l'obsession de la vitesse, le corps et l’esprit aux ordres de la ronde infernale extérieure, autrement dit disponibles à chaque instant, parce que c'est une des conceptions dominantes de la liberté telle qu'elle est mise en scène ici et maintenant. Et là donc, tout à coup, on arrête, sans ciller, pour une raison impérieuse, très certainement, mais en attendant sans doute la reprise du cours des choses pour se relancer de plus belle dans la course, parce que si on ne sort pas des paradigmes et des logiques qui nous enfoncent chaque jour un peu plus dans la folie d'un fonctionnement aveugle, il n'y a pas de raison de ne pas reprendre les choses là où on les avait laissées juste avant que la maladie ne menace tout le corps social. On oublie tout et on continue.

Alors, c’est la question qui taraude, c’est l’angoisse qui devrait forcer au réveil : n'y verra-t-on que du feu ou y verra-t-on la possible transformation d'un système ? Ne pourrait-on imaginer un petit coup de pouce ou une ruade de la part de chacun, réaction qui laisserait une place pour une autre organisation des choses, ne pourrait-on imaginer que ce serait l'occasion de prendre les choses par un autre bout, mais pour du bon cette fois, parce qu'on aura vécu autrement pendant quelques semaines (imaginons les rues purgées de cette infection de voitures, un ciel sans les stries nuageuses des avions, un monde sans la pollution publicitaire ou, rêvons fort, un monde où les richesses créées collectivement sont partagées).

Dans une précédente réflexion, je reprenais l'idée d'affect climatique, forgée par Frédéric Lordon en référence à la philosophie de Spinoza, en expliquant qu'une toute petite transformation intérieure, qui gagnerait du terrain d'individu en individu, pourrait aider à la prise de conscience généralisée dont nous aurions tant besoin. Ce qui se passe actuellement oblige à se demander si ce confinement ne va pas nous plonger et nous laisser dans une hypnose encore plus grande ou si, petit affect qui va continuer à grandir, un effet d’entraînement salutaire ne pourrait pas nous dégriser, ne fût-ce qu'un petit peu, pour qu'un minimum de terrain soit gagné sur le chaos promis et pour que le changement ne soit pas la seule résultante de notre perte de contrôle et du pur fonctionnement de la machine infernale qu'est le capitalisme. Je disais aussi qu'il ne fallait pourtant pas trop rêver parce que les prises de conscience individuelles n'étaient pas suffisantes. Mais ne faut-il pas rêver malgré tout, pour rester éveillé et pour passer à l’action, rêver un peu plus, rêver, puisque ça aide souvent à prendre conscience et à comprendre qu’il nous faut impérativement parvenir à appréhender que le visage de la catastrophe se dessine chaque jour un peu plus, rêver activement pour sortir de l'hypnose, pour que la folie économique ne reprenne pas sa marche forcée vers l'abîme et parler de ce rêve inlassablement, en espérant un point de bascule, aussi hypothétique que soit cette notion. Je pense qu'il nous faut comprendre que si nous n'interprétons ce virus que comme une maladie passagère, c'est que nous n'avons rien compris à ses causes et ses conséquences, intimement liées à celles du changement climatique, lui-même lié au système dans lequel nos comportements sont imbriqués, etc., et elles seront plus désespérantes encore.

Maintenant que nous sommes fin juillet et que le confinement a pris une autre tournure et qu'il pourrait prendre des formes plus désagréables encore, je ne sais toujours pas s’il faut croire aux rêves et aux éveils qu'ils permettent mais, en ce moment, il me semble que le contenu des changements dont nous avons besoin nous apparaît avec de plus en plus de force. Après la crise des subprimes en 2008, je me souviens m’être dit qu’enfin les gens allaient comprendre que ce système ne reposait pas sur des valeurs partagées, qu’il nous menait à notre perte (pensons à cette ignominie qu’est TINA : there is no alternative). Je m’étais trompé évidemment, et sans doute est-ce encore le cas maintenant, parce que je sais que ce système possède le pouvoir et que, crise du coronavirus ou pas, il ne se laissera pas déloger par toutes les prises de conscience du monde, celles-ci n'étant jamais que des préalables, mais le contenu du changement qu’il nous faudra bien un jour amorcer sous peine d’un asservissement encore plus grand, le contenu de ce changement se dévoile bel et bien un peu plus. Le rêve c’est qu’il devienne tellement envahissant qu'il finisse par nous éclairer, qu'il colonise de plus en plus de consciences et nous permette d’agir collectivement.