« Petit Samedi » : Entretien avec Paloma Sermon-Daï, réalisatrice
> PointCulture : Dans Petit Samedi, le prénom de “Paloma” est mentionné à plusieurs reprises, appartenant manifestement à l’un des enfants de la fratrie Samedi. Ce qui aurait pu apparaître comme une simple coïncidence n’en est pas une, comme tu le reconnais toi-même dans un entretien donné à Cinergie. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de ne pas apparaître devant la caméra, voire de ne pas mentionner le lien qui t’unit à ta famille dans la communication du film ? La question se pose, tant on peut en avoir une lecture différente à la lumière de cette information, notamment du point de vue de la démarche documentaire.
Paloma Sermon-Daï : C’est un choix qui s’est fait de manière assez naturelle. Au départ, je pensais apparaitre dans le film et c’est d’ailleurs de cette façon que j’ai commencé les repérages. Je filmais nos conversations, j’y participais. Au fil du temps, c’est justement le mot documentaire qui me vient à l’esprit. J’avais envie de mettre en lumière leur relation, celle qu’ils avaient construite depuis mon départ pour Bruxelles, il y a 7 ans. Je leur rendais fréquemment visite mais je n’appartenais plus à leur quotidien. C’est cette réalité-là qui m’intéressait. De manière plus pratique, j’ai le sentiment que mon travail de réalisatrice se déroulait mieux en hors champ. Les ambitions de mise en scène et esthétiques que j’avais pour le film me demandaient beaucoup de rigueur derrière la caméra. En termes de communication, il est vrai que nous ne stipulons pas dans les diverses présentations du film que je suis la sœur de Damien. Je crois que ça ne me semblait pas primordial au regard de la construction du film. Justement car je n’y apparais pas et je ne m’adresse pas à eux directement. Je ne voulais pas tromper le spectateur sur ce qu’il s’apprêtait à voir. On est avec eux, pas avec moi.
> PC : La structure de ton documentaire est entièrement bâtie sur la relation fusionnelle qu’entretiennent mère et fils : la toxicomanie de l’enfant est dès lors montrée par le prisme de cette figure maternelle, celui de la responsabilité qui incombe à un parent face au désarroi de sa progéniture. Pourtant, dans ce même entretien donné à Cinergie, tu assumes pleinement ne pas avoir démarré l’écriture de ton film sur cette base singulière : le rapport mère-fils se serait esquissé au fil des repérages, par tâtonnement. De manière générale, quelle place accordes-tu à la sérendipité dans ton travail de documentariste et, pour Petit Samedi en particulier, quel cheminement t’a finalement menée à ce resserrement autour de la problématique parentale ?
P. S-D : Je pense qu'en documentaire on doit toujours partir vers l’inconnu. J’avais une idée de ce que serait le film, un premier projet en portrait de personnage. Cela m’est apparu pendant longtemps comme une évidence, puis la réalité des choses est arrivée et il a fallu s’y adapter. Lors des repérages, j’ai remarqué à quel point Damien était plus à l’aise devant la caméra quand il était accompagné par notre mère. Ça aurait été une bêtise que de ne pas créer ce binôme de cinéma. C’était une évidence que ça m’aiderait à construire la narration et, d’une certaine façon, Damien me l’indiquait inconsciemment en s’épanouissant dans ce duo tragicomique. Cette décision narrative a donné de l’ampleur au film. J’avais envie de parler de la dépendance différemment et, à travers la relation mère/fils et l’intimité, je pense que le film a réellement trouvé son charme et son universalité.
> PC : J’aimerais qu’on parle de la séquence d’ouverture du film. En deux mots, on y voit des clubbers se déhancher frénétiquement sur le dancefloor d’une discothèque. Mâchoires crispées, pupilles dilatées, gestuelle saccadée : peu de doute sur le fait qu’ils sont sous influence. Leurs symptômes s’apparentent plutôt à des drogues excitantes, qu’on pourrait qualifier de “festives” de type amphétamines (speed, ecstasy, MDMA). La scène tranche avec la suite, bercée par la quiétude de ce village wallon en bord de Meuse. Très vite, on devine que Damien – le surnommé “Petit Samedi” – consomme de l’héroïne en la fumant, substance qu’on associe généralement à l'intimité de la sphère privée. Peux-tu revenir sur ton parti pris d’introduire ton film de la sorte, le lien que tu établis entre la prise de drogue souvent dite “récréative”, ostensiblement affichée, et celle, pudique, qui induit une dépendance très sévère ?
> P. S-D : Quand j’ai décidé de faire le film, j’ai d’abord demandé à Damien de se raconter. Je connaissais mon frère mais finalement il ne m’avait jamais vraiment donné les détails de son adolescence et du début de sa vie d’adulte. Lors de nos conversations, il a souvent évoqué les fêtes auxquelles il allait, les soirées qui duraient trois jours et tout ce monde de la fête qui était en fait les prémices de sa dépendance. Le but n’était évidemment pas de diaboliser le monde de la nuit et les épisodes récréatifs que certains jeunes peuvent avoir, mais plutôt de dépeindre une époque qui n’est pas bien différente de celle que nous traversons. On peut parfois commencer par une grande fête et il suffit de rater une marche pour que cela se transforme en catastrophe. Je crois que cette scène d’ouverture est une façon d’évoquer ce fantôme du passé qui pèse sur les épaules de mon frère sans avoir besoin de mettre des mots sur cette période.
> PC : Avant de visionner Petit Samedi, pour autant qu’on soit un peu renseigné, on est prévenu : on s’apprête à regarder un documentaire. Toutefois, on se rend rapidement compte qu’on a affaire à un objet extrêmement construit, dans lequel peu de choses sont laissées au hasard. En témoigne la multiplication des prises de vue dans un même lieu clos, la façon dont les protagonistes font abstraction d’un dispositif filmique parfois sciemment invasif (scène du café), la symétrie “Wesandersonienne” de certains plans, la nature de certains autres (champ contrechamp…), etc. Le letterbox et la photographie ultra léchée finissent de nous donner, par moments, l’illusion d’un récit de fiction. Comment envisages-tu le rapport entre genre fictionnel et cinéma documentaire, compte tenu de la porosité évidente qui finit par les confondre dans ta pratique de réalisatrice ?
> P. S-D : Je crois qu’il faut absolument assumer cette porosité entre le genre documentaire et la fiction. Les catégories font partie d’un autre temps pour moi. Chaque projet en fonction de son univers, son contenu et ses protagonistes trouvera sa place dans le « spectre » des genres. Dans ce film, il s’agit d’un sujet très dur qui peut sembler très sombre, et que j’avais envie de rendre lumineux. L’image et les décors devaient dégager quelque chose de solaire et de doux. La structure tenue du film était une façon pour moi de garantir à ma mère et mon frère le respect de leur intégrité. Cette narration parfois écrite sur base des repérages serait une ligne rouge pour eux comme pour moi.
Propos recueillis par Simon Delwart
> Diffusion du film dans le cadre du festival ImagéSanté, le 26 mars à 20h30.