Petit tour de Charleroi en 3 passionantes galeries d'art
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Sommaire
1- Galerie Jacques Cerami
Longtemps, Jacques Cerami a été le seul en son genre sur le territoire carolo. Et pourtant, sa galerie existe depuis 2001. Jacques Cerami,
c’est une présence forte, un personnage pas banal. J’ai eu l’occasion de
l’observer lorsqu’il tenait un stand dans une grande foire d’art, l’impression
était étrange : sa grande carcasse louvoyait là-dedans en connaissance
parfaite des codes en vigueur tout en semblant en décalage complet, presque une
erreur de casting. Il y amenait chaque fois des propositions artistiques
exigeantes et peu consensuelles. C’est que son parcours est atypique. On
pourrait dire que Jacques Cerami est venu au métier de galeriste par la main. La
main comme mécano de vélo, développant le goût de la belle mécanique, précise,
chantante. Ensuite, la main qui étudie et se forme à la restauration de
mobilier, le goût des beaux objets et la passion pour l’esthétique qui améliore la vie. Il se plonge
dans l’histoire de l’art, les courants artistiques régionaux d’abord, et au fur
et à mesure, l’œil et le jugement s’ouvrent et s’affinent, élargissent leur
centre d’intérêt. Cette manière d’apprendre forge la capacité à susciter des
rencontres peu banales, rapprochant des zones sensibles qui peuvent sans cela
rester inconciliables. Dans une des premières implantations de sa galerie, 400
mètres carrés à Loverval, je me souviens de quelques claques festives. Notamment
cette exposition d’art contemporain dédiée à son oncle champion cycliste – Pino
Cerami, vainqueur d’un Paris-Roubaix, excusez du peu. Des créations originales
inspirées par le vélo. Des mondes très différents – de la DH aux Beaux-Arts –
se côtoyaient dans le même vernissage. C’était en 2002 avec des contributions
de Johan Muyle, Jef Geys, Eric Angenot, Emilie Lecouturier… Ces événements
avaient beau frapper les esprits, ouvrir des pistes pour décloisonner la
culture, ils ne faisaient pas vivre son homme. Depuis la galerie a migré à
Couillet pour une superficie plus modeste où sont présentées six ou sept
expositions par an, toujours classes.
La relation à sa ville a toujours été importante, l’ancrage n’est pas un vain mot, cultivé dès le début en s’initiant à l’art via les artistes du cru (groupe Nervia, etc. ). Jacques Cerami a toujours milité pour que la culture soit à la base d’une renaissance de Charleroi. Il a toujours défendu, fidèlement, des artistes locaux ou du moins hennuyer (Michael Matthys, etc. ). Mais il a construit sa légitimité de galeriste en repérant, présentant et défendant des artistes internationaux, comme la suisse Iris Hutteger. Les artistes qu’il choisit ne font pas du beau pour faire du beau. Il faut qu’il y ait du sens, que ça fasse avancer la perception du monde, évoluer les esprits, il lui importe que l’art développe ses dimensions sociales et humanistes. Une fibre qui prend toute sa dimension quand il construit le programme de l’exposition Putain de guerre [cf. photo ci-dessus], en 2014, au Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Un souffle qu’il fait rayonner en étant curateur d’expositions au-delà de Charleroi, notamment au Centre d’Art de Dudelange. Ces expositions collectives, souvent très habitées, en sa galerie ou ailleurs, mettent bien en valeur ce qui lui importe de raconter à travers l’art, et qui ressemble à sa démarche : chaleureuse, chaloupée, et par moment, déséquilibrée, incisive, pour changer de point de vue, voir les choses autrement, mais en restant toujours accueillante, car marcher ensemble, même dans l’arythmie, c’est important.
Exposition en cours : Michael Matthys, Dessins
Un conseil : lors des vernissages, le restaurant italien juste à côté est recommandé !
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2- Mycose
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Depuis, Jacques Cerami n’est plus le seul galeriste de
Charleroi. Parmi les lieux récents, on peut pointer Mycose. C’est, en fait,
autre chose qu’une galerie. Un lieu culturel diversifié, plus dans l’air du
temps, cherchant à croiser les disciplines artistiques, les publics, les
talents. Ce n’est pas la vente d’œuvres d’art qui finance le projet mais les
rentrées mais l’organisation de concerts, des soirées à thèmes (par exemple la
série Porn Party, festive avant tout
mais non dénuée de portée éducative sur la place de la pornographie dans la
société), des marchés de créateurs (par exemple le Merry Mycose Market en période des fêtes, soutien aux artisans
inventeurs locaux). Un magnifique jardin, en plein cœur de Charleroi, sera
utilisé en été pour des projections de cinéma, la présentation de sculptures.
La philosophie est tout de même de
dénicher de nouveaux talents, de soutenir de jeunes créateurs et
créatrices. Ce qui conduit à un positionnement original qui consiste à établir
des partenariats avec des écoles artistiques. Un créneau pas assez occupé. Un
programme d’ateliers apporte un supplément d’âmes à l’ensemble du projet avec
un accent prononcé en faveur de la formation et éducation à tout ce qui relève
du numérique : outils créatifs, gaming, etc. C’est le genre de lieu
indispensable, au cœur d’une cité, pour sentir ce que la jeune génération
artistique a en tête, a envie de créer, de raconter sur le monde dans lequel
elle baigne (avec nous).
Exposition en cours : Rodrigue Delattre
3- Le Vecteur
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C’est un peu le grand frère de Mycose ? C’est un projet
et un lieu issu du terrain – représentatif donc de cette dynamique citoyenne ascendante (bottom-up), bien avant qu’elle soit à la
mode et intègre le vocabulaire bureaucratique. À la base, il y a le collectif
Orbitale créé en 1998 et qui sera à l’initiative du très intéressant et novateur
festival littéraire Livresse. L’envie
de mieux défendre les cultures alternatives pousse à inventer de nouvelles
formes d’intervention, à repenser
l’action culturelle et surtout à instaurer des synergies à géométrie variable,
non rigides. C’est ce qui conduit à l’installation du Vecteur, rue de
Marcinelle, dans l’ancien théâtre Vaudeville, en 2008. Du vaudeville au vecteur,
toute une histoire qui en dit long sur l’évolution de la ville et des cultures
urbaines !
Le Vecteur est un des (très/trop) rares lieux officiels en Wallonie dédié aux esthétiques non institutionnelles, non dominantes, aux formes dites mineures, minoritaires et fragiles, revendiquant sans peur et sans complexe la défense de l’expérimental 360°. Selon une approche interdisciplinaire, sans frontières : musique, cinéma, arts plastiques, installations, littérature… Ce n’est pas juste une juxtaposition éclectique, mais un programme de convergences, confrontations, hybridations défricheuses, loin de tout laboratoire clinique, au contraire, les mains dans le cambouis des dynamiques organiques du besoin d’inventer autre chose. C’est aussi un lieu de résidences qui soutient les artistes aventureux. Ces résidences débouchent bien entendu sur des expos et des événements dans les salles du Vecteur. Le spectacle, souvent, est total, des deux côtés de la rue (d’un côté la galerie V2, de l’autre la salle de concert, le café). Ce principe de résidences permet aussi de faire découvrir Charleroi à des artistes d’autres villes et régions (Belgique, France, etc. ) et régénère aussi l’échange créatif, les sources d’inspiration pour les artistes locaux. Le Vecteur fait circuler l’air frais. L’expo qui s’ouvre fin mars avec Bande De questionne l’esthétique du chantier avec gilets fluo, marquages au sol, grues panoramiques… Une belle métaphore, en soi, de ce qu’est le Vecteur : chantier permanent des esthétiques urbaines en évolution.
Expo en cours : Bande De
Pierre Hemptinne
photo : exposition Putain de guerre (la Galerie Cerami au Palais des Beaux-Arts de Charleroi)
Adresses
Galerie Cerami
346 route de Philippeville
6010 Couillet
Galerie Mycose
4 avenue des Alliés
6000 Charleroi
Le Vecteur
30, rue de Marcinelle
6000 Charleroi
Et une 4e !
Cet article fait partie du dossier Charleroi.
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