Philippe Boesmans - hommage
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Connu et reconnu dans le monde entier pour son rôle majeur dans le renouveau de l’art lyrique, ses opéras continuent à être joués aujourd’hui, parfois longtemps après leur création : récemment Reigen (Stuttgart, Paris) et Julie (Nancy). Il venait de terminer le huitième – On purge bébé - , d'après une pièce de Georges Feydeau, un choix qui ressemble à un challenge, un de plus parmi les nombreux qu'il s'était déjà imposés dans sa carrière. En découvrant la pièce de théâtre, il s'est dit que ce serait impossible à transcrire en opéra. Donc, il fallait qu'il le fasse ! Pari tenu, l’œuvre sera créée en décembre 2022 à La Monnaie, à Bruxelles.
C’est là, dans cette maison d’opéra dont il a été longtemps compositeur en résidence – de 1986 à 2006 ! - et où son nom trône dorénavant en médaillon aux côtés de ceux de Mozart et Janacek que ce mardi 19 avril, ses amis, confrères et consœurs lui ont rendu un dernier hommage. Un spectacle de deux heures ouvert à tous, mêlant concert, témoignages d’affection et de gratitude, extraits vidéos de ses opéras, interview… Un moment de recueillement et/ou de découverte de la personnalité et de l’œuvre de celui qu’on appelait tendrement « Phiphi ».
De son côté, Musiq3 lui consacre plusieurs émissions et concerts lors du week-end du 22 au 24 avril.
A son tour, PointCulture lui rend un hommage particulier en vous présentant quelques-unes de ses compositions les plus captivantes, bien qu’elles ne fassent pas partie du répertoire lyrique. Philippe Boesmans les qualifiait parfois d’ « œuvres de repos » parce qu’il les écrivait après l’écriture d’un opéra, plus gourmand en temps et en investissement que celle destinée à sa musique instrumentale. Cependant, ce répertoire moins connu par le grand public recèle, vous allez le voir, de grands trésors…
Concerto pour violon et orchestre - 1979
Enfant, Philippe Boesmans traquait les émissions à la radio consacrées à la musique classique, montrant une fascination particulière pour les œuvres romantiques. A l’écoute de ce concerto, on retrouve les gestes de la tradition, comme les traits de virtuosité, les cadences, le découpage en trois mouvements, même si l’œuvre est écrite d'un seul tenant. Le Concerto pour violon de Tchaïkovski y est aussi cité. Le langage oscille entre atonalité dure et passages lyriques d'une grande sensualité.
Conversions pour orchestre - 1980
Très tôt, l'écriture de Boesmans se profile comme une recherche de développement complexe d'idées de base simples, un étoffement de la matière première, à la manière du thème et variations des siècles précédents. Conversions est basé sur ce principe. Dans le courant des années 70, le compositeur s'est aussi beaucoup intéressé à la psychanalyse. Cette composition est la mise en musique d'un processus défini par Sigmund Freud décrivant la tentative de transposition d'un conflit psychique non résolu en symptômes somatiques : le trouble de conversion. L'élément refoulé est ici figuré par une mélodie, plus ou moins dissimulée au sein de la masse orchestrale et qui subira diverses transformations sur les plans harmoniques, contrapuntiques et mélodiques jusqu'à sa complète libération.
Tunes pour piano - 1994-2004
Lorsque Philippe Boesmans entre au Conservatoire de Liège, c'est pour y étudier le piano. Il obtiendra un premier prix mais renoncera assez vite à une carrière de pianiste. Ses rencontres avec Pierre Froidebise, Henri Pousseur, Célestin Deliège et André Souris l'aiguilleront vers la composition. Il est cependant intéressant de découvrir comment il a écrit pour son propre instrument.
En 1993, il compose un cycle pour baryton et piano - Love and Dance Tunes - d'après des sonnets de Shakespeare. Chaque chant est séparé du suivant par une courte pièce pour piano seul. L'année suivante, il isole ces miniatures pour créer un nouveau cycle, destiné à recevoir de nouvelles pièces dans l'avenir. Tunes est virevoltant, instable, versatile, ludique, sombre aussi, parfois. Une partition qui ne lésine pas sur les difficultés techniques.
Fly & Driving - 1990
A l'origine pourvu d'un seul mouvement - Driving - créé par le Quatuor Arditti lors du Festival Ars Musica de 1989, prend comme point de départ une expérience de la vie quotidienne. Lorsque Boesmans voulait se libérer de trop fortes tensions émotionnelles, il lui arrivait de vouloir arpenter les trottoirs de la ville sans jamais interrompre sa marche. Pour cela, il modifiait la vitesse de son pas aux abords des feux de signalisation afin de ne pas devoir s'arrêter. Driving reproduit ces allures en adoptant des tempi mouvants faits d'accélérations et de ralentissements, d'interruptions ou de stabilité. Plus tard, il compléta ce mouvement par Fly, une introduction aux accents suspensifs évoquant le vol d'oiseaux migrateurs.
Chambres d'à côté - 2010
Commandé par l'Ensemble Musiques Nouvelles, cette suite en six parties explore les effets créés par la distance, en jouant avec les échos, les sourdines et les nuances, pour représenter l'irruption impromptue de musiques et de sons venant du lointain ou de la pièce voisine de la chambre dans laquelle on se trouve. Ces mélodies qui s'invitent à l'improviste apportent leur lot d'émotions en se mêlant à la musique ambiante. Boesmans convoque le jazz, la musique populaire, évoque les voix... Cette incursion d'éléments disparates, ces va-et-vient entre ici et là-bas et ces jeux de cache-cache acoustiques nous plongent dans un climat hautement poétique et rêveur. Le motif de la quatrième Chambre sera repris quelques années plus tard dans son opéra Pinocchio.
Fin de nuit - 2018 qui marque le retour à la réalité du rêveur. Écrit pour piano et orchestre, la composition privilégie le dialogue plutôt que la confrontation entre la partie du piano et l'orchestre. Beaucoup de magie émane de cette partition délicate.
La thématique du rêve est récurrente dans l’œuvre de Boesmans. Fin de nuit peint avec finesse la sortie du sommeil dans son premier mouvement - purement orchestral - Dernier rêve. Un éveil en douceur d'une nuit qui a dû être agréable. Passé cette forme d'introduction, la partie concertante démarre avec Envols, qui marque le retour à la réalité du rêveur. Écrit pour piano et orchestre, la composition privilégie le dialogue plutôt que la confrontation entre la partie de piano et l'orchestre. Beaucoup de magie émane de cette partition délicate.
Nathalie Ronvaux
Cet article fait partie du dossier Semaine de la musique belge 2024.
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