Picture festival : sous ses plus beaux atours, l'illustration investit le Mont des Arts
Sommaire
L'illustration en mouvement
- PointCulture : À travers le livre, la presse ou même par exemple via les affiches dans la ville, le rapport entre l’illustration et son public est souvent un rapport individuel, solitaire, et un rapport en différé (contrairement aux arts de la scène, aux concerts, etc. où le lien se fait aussi en live). Comment dès lors mettre sur pied un festival consacré à l’illustration avec ce que le mot « festival » peut impliquer de « festif », de collectif ?
- En misant sur ce que l’illustration a aujourd’hui de plus original, sa capacité à raconter une histoire qui déambule dans l’espace public. C’est d’ailleurs d’abord comme ceci que nous avions envisagé le festival, comme une rêverie, une déambulation, dans un quartier qui n’invite pas spontanément à ça. — Carole Saturno
S’il n’est pas perçu comme tel, le Mont des Arts est pourtant un petit territoire facile à arpenter (1 kilomètre carré) et on voulait montrer autre chose de ce quartier, le réchauffer (en plein cœur de l’automne), l’assouplir. Pour toutes ces raisons, l’illustration avait les meilleurs atouts pour tirer ce fil rouge.
Par ailleurs, l’illustration ici se décline tout de même dans certains événements en live justement : quatre concerts dessinés, différents dans leur forme et technique (sur iPad, en animation directe, ou dessin direct filmé), des performances (je pense en particulier à la plus grande galerie de portraits du monde qui se déroule chaque jour sur 40 mètres et invite les navetteurs à faire une pause en dessin entre la gare centrale et la rue Royale).
- Pour imaginer ce festival, êtes-vous plutôt parties d’une page blanche, d’un « tout est possible » ou vous êtes-vous aussi assez vite inspirées de ce qu’avaient organisé les deux festivals que vous invitez pour une rencontre / masterclass : Jungle à Liège et Fotokino à Marseille ?
- Évidemment, ces deux festivals ont été, entre autres, des points d’ancrage pour initier Picture. Parce que ce sont des festivals qu’on a admirés pour leur vitalité, l’originalité de leur programmation aussi, leur format. C’est aussi pour cette raison que nous avons invité Vincent Tuset-Anrès et Vincent Mathy à venir raconter ces deux expériences.
Mais Picture est aujourd’hui un peu différent. Dans la mesure où il s’est associé à des institutions qui ont accepté de faire un pas de côté pour accueillir l’illustration dans leurs murs (et aussi en proposant à chaque fois des expos entièrement gratuites), dans la mesure où nous nous sommes associés à la fois aux écoles d’art (nombreuses à Bruxelles) et aux scolaires.
L'école belge de l'illustration
- Pouvez-vous dire quelques mots de ces collaborations tant avec les écoles supérieures artistiques bruxelloises qu’avec une trentaine d’écoles primaires de la ville de Bruxelles ? Comment leur participation se concrétise-t-elle dans la programmation du festival ?
Aujourd’hui, les écoles d’art qui ont une section illustration ont une réputation qui dépasse largement les frontières de la Belgique. Ces artistes que nous voulions montrer étaient bruxellois, ou d’ailleurs en Belgique, pas tous belges, mais la plupart formés ici. Le « sous-titre » du festival, « L’illustration en mouvement », fait précisément référence à cette énergie que nous percevons comme un moment clé, comme si ces formations étaient parvenues à « faire école » – comme on a pu parler d’une école belge de la BD, bien que chaque école a ses singularités. — C. S.
L’Académie royale des Beaux-Arts, la Cambre, l’ESA-St Luc, l’ERG et le campus néerlandophone de LUCA sont donc tous présents à Picture… et leurs étudiants sont tous invités à venir voir les expos bien sûr, mais aussi à participer aux workshops ou rencontres et masterclasses dans une émulation qu’on espère commune !
Quant au projet avec plus de 1800 écoliers bruxellois, Bruegel’s Ketjes, il est le fruit d’une proposition de Flore d’Ansembourg qui a réussi à convaincre en un temps record les directeurs, directrices d’école et les enseignant·e·s de participer au 450e anniversaire du décès du grand maître. Le résultat de leurs travaux est exposé au musée BELvue, dans une aile mitoyenne du Palais royal. Pouvait-on rêver mieux ?
- Non seulement, vous allez beaucoup plus loin qu’une compilation d’expositions mais les expositions que vous proposez sont aussi prometteuses par la déclinaison des formes et des formules mises en place. Elles ne se limitent pas – loin de là – à l’exposition des originaux d’un livre. La recherche d’idées originales et surprenantes qui renouvellent un peu le concept d’exposition d’illustrations me semble avoir compté : les filles de Cuistax montreront une fresque non pas de dessins mais d’objets collectés, Anne Brugni proposera une sorte d’extension culinaire de son livre pop-up Plat du jour, etc.
- Oui, c’était une ambition directement inspirée de ce que l’illustration elle-même stimule aujourd’hui comme projets : elle est partout, elle prend toutes les formes. Elle ne se limite plus au livre, a fortiori au livre jeunesse, mais elle peut devenir une tapisserie, un film animé, une fresque ou un concert dessiné.
Le point de départ, lui, ne change pas : au commencement était le dessin ! — C. S.
Mont des Arts : pignons sur rue... et trésors cachés
- Même s’il connait des extensions vers d’autres quartiers de Bruxelles, votre festival est essentiellement concentré sur le quartier du Mont des Arts. Dans votre parcours, vous associez les hauts lieux institutionnels biens connus du quartier (Palais des Beaux-Arts, Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bibliothèque royale, Musée des instruments de musique, etc.) à des endroits beaucoup plus confidentiels, voire secrets, comme le musée du Grand Serment Royal et de Saint-Georges des Arbalétriers de Bruxelles, ou l’accès à des fresques peu visibles et rarement accessibles de Paul Delvaux et René Magritte… Comment et dans quel état d’esprit avez-vous exploré le quartier ?
- Cette « hospitalité » inédite à cette échelle est directement liée à l’asbl du Mont des Arts qui l’a souhaitée et initiée avec énergie avec Marie Noble, qui coordonne le festival, sans quoi rien n’aurait été possible. Puisque le quartier n’est pas perçu encore comme un territoire artistique en soi, comme un lieu de déambulation, il fallait aussi faire œuvre de pédagogie et montrer en quoi il n’y a pas à aller ailleurs, les trésors sont à portée de pas. Dans le fond, nous n’avons fait que fédérer une énergie qui ne demandait qu’à s’exprimer.
- Pour revenir un moment aux expositions, certaines jouent vraiment de cette inscription dans un lieu particulier, comme l’expo de Sarah Cheveau, Fanny Dreyer et Fien Jorissen dans l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg, ou la collaboration avec les bouquinistes de la galerie Bortier…
Oui, il nous paraissait pertinent, voire indispensable, que l’illustration (et c’est encore une fois sa grande souplesse) raconte une histoire qui soit aussi celle de ces lieux. Et là encore, c’était finalement assez aisé…
Il faut voir avec quel émerveillement nous nous sommes penchés sur la collection de blasons peints à la main quand l’abbé Boone nous les a montrés… Et quelle joie ce fut pour lui en retour de constater que ce matériau inspirait les artistes. Elles ont bénéficié ensuite d’une liberté totale de création. — C. S.
À Bozar, nous avons souhaité présenter les travaux d’artistes bruxellois et anversois, leur donner une occasion de venir exposer ensemble. Aucun thème n’avait été imposé, en dehors du fait de montrer plutôt des originaux que des tirages. Finalement, une harmonie s’est imposée autour de la question de la maison, du giron, des constructions, comme si c’était pour chacun d’eux, sans s’être concertés, un enjeu dans leur création actuelle.
- Apparemment, si j’en crois la page « coulisses » de votre site, le festival est né à l’initiative de l’asbl Mont des Arts et, à l’arrivée, on retrouve les logos de pas mal de sponsors privés et institutionnels à la fin de votre catalogue : comment avez-vous réussi à donner un contenu artistique subtil et riche au projet, qui va au-delà des attentes habituelles d’événementiel associées souvent aux démarches de « city branding » ?
- Cette alliance n’est pas qu’un mariage de raison – il fallait absolument budgéter ce projet ambitieux – et l’asbl à elle seule n’avait pas les moyens de porter seule le festival. Par contre, artistiquement, les partenaires n’ont eu aucune exigence, nous avons pu travailler en toute liberté. Pour certains, c’est une occasion de participer à propager cette énergie, le fait de vouloir rendre accessibles et populaires l’art et la culture au travers de l’illustration – près de 90% de nos manifestations sont gratuites. Nous avons été très chanceuses, Marie Noble et moi, de bénéficier de la confiance de ces partenaires.
Interview : Philippe Delvosalle
Picture Festival
Du jeudi 31 octobre au dimanche 11 novembre 2019
En de multiples endroits du Mont-des-Arts (Bruxelles)
- Et au-delà !