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« Plant Fever » (au CID du Grand-Hornu) : le végétal à la rescousse

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Changer de cap, remodeler nos existences en dialoguant avec le monde végétal, c’est la proposition de « Plant Fever, vers un design phyto-centré », au CID du Grand-Hornu.

Sommaire

La crise climatique, bien qu’obsédante et malgré des effets perceptibles au quotidien, reste relativement insaisissable. Son ampleur, son imminence, son urgence ont quelque chose d’abstrait. Cette abstraction provient en partie du fait que la plupart de nos objets usuels ont été, en quelque sorte, déconnectés de la nature. Bien sûr, on sait, de façon théorique, que rien de tout ça – meubles, vêtements, construction – ne pourrait exister sans exploitation de ressources naturelles. Mais tout a été tellement distancé par l’industrialisation, par les processus d’appropriation, que tous nos équipements, du plus rudimentaire au plus sophistiqué, peuvent sembler principalement le fruit de l’ingéniosité et du labeur humain, point. Ce que

Jonathan Crary explicite : « Alors que des pans entiers de la biosphère terrestre sont en train d’être détruits ou altérés de façon irréparable, une illusion veut que les êtres humains pourraient se dissocier comme par magie de leur milieu physique et transférer leurs relations d’interdépendance à la mécanosphère du capitalisme global.

Plus on s’identifie aux ersatz électroniques immatériels du moi physique, plus on peut paraître s’exempter du biocide en cours sur la planète. Dans le même temps, on tend à oublier froidement la fragilité et le caractère éphémère des choses vivantes réelles. » (« 24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil »).

Vers un design phyto-centré

Alors, par où commencer pour sortir de cette impasse ? L’exposition-laboratoire Plant Fever nous met sur la piste : il faudrait que nos objets usuels, intermédiaires entre nous et notre environnement, soient conçus de manière à initier un autre dialogue avec les matériaux et les organismes qui nous les procurent. Les outils, les ustensiles, les tissus, toutes ces choses par lesquelles nous modélisons notre façon de « faire notre trou », de nous imbriquer dans le temps et l’espace, au fil de nos occupations et de nos repos, toutes ces choses pourraient être produites autrement, de façon à instaurer de façon permanente une relation attentive au vivant dont nous dépendons. Plutôt que de vouloir tout fabriquer en imposant notre loi aux matières, inertes ou vivantes, il est préférable de s’aventurer sur les voies de l’échange, de se laisser modeler par elles. Cela afin de développer une conscience d’habiter le monde respectueuse de tout ce qui la compose. Nous avons à opter pour des façons de vivre qui s’entretissent aux autres espèces avec lesquelles nous partageons l’occupation de la biosphère. Penser et développer un design inter-espèces plutôt qu’anthropocentré.

Ce que design veut dire

Le design est souvent associé à l’esthétique fonctionnelle conférée aux productions industrielles ou artisanales. Mais le design, plus largement, concerne la forme que nous conférons à tous usages. « En réalité, tout objet de design est la projection extra-anatomique d’un acte de connaissance. Nous dessinons le monde pour mieux le connaître, pour toucher les limites du corps des choses avec nos doigts. » (E. Coccia, catalogue) Voilà, nous avons besoin d’intermédiaires sensibles, qui prolongent nos membres, rapprochent nos gestes de ce qui nous environne, nous fassent rentrer en contact – palper, sentir – avec la nature, stimulent une connaissance partagée de la nature. A partir de là, inévitablement, l’impact de la crise climatique nous concernera plus directement, concrètement, à la manière d’une affaire personnelle à traiter d’urgence.

Des exemples concrets sont exposés, des prototypes, des fiches techniques. Ce n’est pas du vent ni des chimères, c’est exposé là. Des formes et des textures sensibles qui ne sont pas simplement des choses pouvant faire l’objet d’échanges marchands, être achetées. Chaque pièce est aussi un outil de connaissance, un fragment de récit, l’organe d’un processus comme toujours en cours, une amorce de solidarité réinventée avec « la fragilité et le caractère éphémère des choses vivantes réelles ». Des baskets sans aucun produit synthétique, entièrement végétales et compostables. Des chaussures en chanvre. Des vases périssables en « aggloméré » réalisé à partir de fleurs fanées. Des tissus matelassés à partir de romarin, sauge et camomille. Des écorces de pins, rebuts de scieries, transformées en « matière noble » proche du cuir. Des écailles d’artichaut et des huiles de fritures récupérées pour confectionner des chaises. L’ingéniosité semble infinie. Et chaque fois que l’on se plonge dans le processus conduisant à ces inventions, on entrevoit, par le contact avec ces choses plus « respirantes » que nos actuels objets industriels, une autre relation à la vie, à la mort.

Plante invasive et papier responsable

Pour autant, il ne convient pas de substituer aux matériaux et technologies responsables de la détérioration climatique d’autres plus écologiques, uniquement pour soutenir la croissance économique. Il n’est pas question de « capitalisme vert ». Ce qu’explique sans ambiguïté le collectif slovène Trajna. Il a lancé en 2018 la marque Notweed Paper, aboutissement d’un long processus qui concerne la renouée du Japon, considérée comme plante invasive. En s’écartant des logiques qui veulent exterminer ces plantes considérées comme parasites, en s’intéressant à leur histoire souvent liée à notre passé colonial, Trajna a mis au point un procédé pour fabriquer du papier à partir des tiges de la renouée. Si le but est bien de limiter la déforestation, l’objectif n’est pas de maintenir telle quelle l’économie du papier simplement en changeant la nature de la matière première. Toutes ces propositions de design revisité s’entendent dans le cadre d’une modification des habitudes consuméristes.

Trajna : « Cependant, nous devons rester critiques, car de nombreuses tentatives pour mettre en place des flux de production durables ne tiennent pas vraiment compte de la quantité croissante de ressources que nous devons extraire de la terre pour produire de nouvelles choses. (…)

Si nous ne remettons pas en question la quantité de papier produite et consommée, nous ne nous attaquerons pas au véritable problème. » (Catalogue de l’exposition)

Didactique, inclusive, Plant Fever se décline en trois chapitres complémentaires : Les plantes comme ressources ; Les plantes comme compagnes ; Les plantes comme alliées. Ça fourmille d’amorces de récits pour se repenser, se projeter dans un avenir « autre ». Le catalogue est un document très riche avec des interviews, des textes costauds autant que passionnants, il aide vraiment, après la visite, à creuser ce que l’on a vu, ressenti, et à mieux intégrer le fruit des recherches découvertes dans l’exposition. De nouveaux imaginaires. L’enjeu est vital.


Pierre Hemptinne



Plant Fever
Vers un design phyto-centré

Prolongation jusqu'au 7 mars 2021 inclus.

Au Centre d'innovation et de design au Grand-Hornu


https://plantfever.com/Journal

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