Portraits des Soeurs h, artistes en résidence chez PointCulture
Isabelle et Marie Henry sont deux sœurs originaires de Nancy. La première a étudié les arts plastiques à Strasbourg avant de suivre un cursus en photographie à l’ENSAV (La Cambre) à Bruxelles, couronné par un travail sur la vidéo. La seconde s’est formée à l’INSAS, à Bruxelles toujours, dans la section mise en scène, pour finalement se tourner vers l’écriture. Forte de leur expérience, elles ont ressenti le désir de travailler ensemble et se sont réunies sous le nom de Les Sœurs h. Elles travaillent depuis la première heure en étroite collaboration avec le musicien et créateur sonore belge Maxime Bodson.
Les projets des Sœurs h sont des objets hybrides, mêlant musique, image, texte dans des équations toujours renouvelées, offrant plusieurs niveaux de narrations éclatées, laissant place à la suggestion, aux projections et aux lectures multiples. Leurs points communs ? Partir du banal, du quotidien, de l’intime, et leur offrir un autre angle de vue, les faire parler autrement, par une mise à distance, une mise en forme, créant de l’inattendu, du décalage, de l’humour et de la poésie. Suivant la même logique, Les Sœurs h et Maxime Bodson préfèrent puiser dans les moyens directement disponibles : filmer des personnes qu’elles ont sous la main ou qu’elles croisent (jamais professionnels), utiliser des instruments de musique fabriqués de toutes pièces comme un phare de chantier transformé en générateur de sons, de vieux rideaux recousus ensemble pour fabriquer la toile de projection, etc. Cette démarche entre aussi dans une optique récurrente : celle de sortir des cadres et de ce qui est attendu. Par exemple, Marie, lorsqu’elle écrit pour le théâtre, se demande toujours quelle scène est attendue et comment elle pourra l’éviter.
Lorsque les sœurs visitent la collection d’Art brut du Musée de Lausanne, elles sont frappées par ces artistes - autodidactes, « fous » et autres marginaux - qui ne se soucient pas des cases dans lesquelles on fait généralement rentrer les œuvres d’art. Et c’est bien dans ce sens que leur travail s’oriente par-dessus tout.
Se jouer des règles, trouver sa voie, se libérer des carcans et des représentations qui enferment, c’est aussi le sujet du spectacle que Les Soeurs h et Maxime Bodson ont imaginé pour la résidence de PointCulture. Eclipse totale (titre provisoire au jour où ces lignes sont écrites) met en lumière une jeune enfant de neuf ans ainsi qu’un couple de personnes de quatre-vingt-cinq ans. Les uns et les autres doivent se défendre des rôles qu’on leur a concoctés : l’enfant tente de conserver sa fraîcheur instinctive en se défendant des idées reçues et en affirmant son besoin de liberté par rapport au chemin que lui trace les adultes. Pour leur part, les personnes âgées doivent résister à l’invisibilisation des marques de la vieillesse entraînant dans son sillage celle des personnes elles-mêmes.
En évitant soigneusement la narration classique et en optant pour une vue éclatée des choses, cette performance offre aussi un espace bienvenu à l’imaginaire des spectateurs, libres d’interpréter à loisir les différentes perspectives et les non-dits de cette narration à plusieurs niveaux. Complexe, ludique et poétique, c’est aussi une belle invitation à la liberté…
Nathalie Ronvaux