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Prix du Hainaut des arts plastiques 2018

Prix du Hainaut - (c) Cécile Vanneste 2
Le millésime hennuyer 2018 est excellent. Les huit lauréates et lauréats investissent le Palais provincial à Mons et jouent à merveille avec l’esprit, les lumières et les ombres, la nature monumentale et les fragilités du lieu. Sans concession, avec tendresse néanmoins, les huit artistes secouent (régénèrent) ce lieu de pouvoir.

Sommaire

Il faut être attentif, certes, et lever les yeux vers le ciel malgré le crachin, mais dès la façade monumentale du Palais provincial à Mons, un drapeau singulier signale qu’il se passe quelque chose. Ce lieu du pouvoir agite le drapeau blanc, demande une trêve au sein d’un monde agité en train de perdre la boule. Placé entre les drapeaux traditionnels qui font références à des nations et territoires régionaux avec leurs frontières, leurs identités un peu passéistes, il ouvre le jeu, il n’est qu’un de ces rideaux d’intérieur, blanc, banal, brodé de quelques motifs, à travers lequel on regarde le monde, le ciel, sans limitation. Ce voile léger évoque l’univers intime et l’imaginaire sans borne comme véritable patrie. L’étendard est de Benoît Bastin qui, à plusieurs reprises, active le « donnant-donnant » qui doit régir les relations entre peuple et politique. Il crée ainsi de l’échange entre la vie modeste de gens ordinaires et celle des décideurs environnés de marbre, bois précieux, hauts plafonds. Dans la salle du collègue, il effectue un échange entre un élément de la grande table de réunion et une table en Formica d’une cuisine populaire, même chose avec une chaise de l’hémicycle. Il crée du va-et-vient. Il souligne et accentue le décalage entre l’exercice du pouvoir politique et la réalité des existences simples, en plaçant à la tribune, là où l’orateur dispose le texte ou le schéma de son discours, deux savonnettes usées, soudées, enlacées sous verre, tandis que sur grand écran, une dame âgée est, en quelque sorte empêchée d’applaudir, à contretemps de ce qui doit se passer régulièrement dans ce genre d’endroit, manifestant de la sorte une sorte de malaise par rapport aux discours qui font vibrer cet espace d’échanges et qui, probablement, lui passeraient au-dessus de la tête. C’est un fil rouge qui questionne et suit les méandres d’un certain malaise démocratique, finement.

 

Quand le hall des marbres célèbre l’humain et les montagnes qui bougent

Dès le hall d’entrée, célébration des différents marbres de la région, imposant avec ses colonnes, le départ des grands escaliers au fond et surtout, l’espace vaste et luminescent, on se demande comment les artistes vont pouvoir se placer dans un lieu doté d’une personnalité si forte, d’une histoire si prégnante. Et bien, en s’infiltrant, pour ainsi dire, dans les différentes histoires et atmosphères qui sillonnent les étages et structurent la scénographie du palais. Dans le hall des marbres, Emmanuel Selva nous accueille par des gros plans de visages, masculins et féminins, très dépouillés, à fleur de peau. On dirait des personnes confrontées à d’autres dont la physionomie serait impénétrable, hermétique, qui manifestent un malaise, cherchent une contenance et puis se jettent à l’eau, parlent, en espérant que ça dégèle leur vis-à-vis autoritaire. Sans langue de bois, voici quelque chose qui évoque la difficulté de se faire entendre et surtout le fait que le texte, nos textes, ce que l’on dit, s’efface, n’est pas entendu, est empêché. Les individus présents sur l’écran, qui nous accueillent, disent un texte écrit que l’on entend pas, qui n’est nulle part. Quelque chose dont on a perdu la clé. Ce film, Les Montagnes bougent, fonctionne avec un drôle d’assemblage qui porte le même titre, pièces de bois recouvertes de toiles peinturlurées, écritures, ratures, enchevêtrées en une sorte de chaîne montagneuse dont des morceaux oscillent, se soulèvent, reprennent leur place. Un organisme complexe, épine dorsale garnie de flèches et  évoquant un graphique représentant des ondes telluriques, des tensions boursières ou autres. Une sculpture qui pourraient être composée de fragments de vitraux, eux-mêmes représentant les scènes célèbres et innombrables du folklore hennuyer. L’immobilisme n’est pas une fatalité mais il faut tenir compte des intrications imprévisibles, incontrôlables, des lignes de vie non formatées.

Recherche des résonances alternatives, tandis que des ombres rampent autour de la table ronde du Collège

Carolina Fernandez, sur un palier de l’escalier imposant, ou dans un des bureaux où se réunissent les groupes de travail (représentatifs des différents partis), installe une flaque verte lumineuse, un morceau de pelouse où se prélassent des chaises qui ont bien servi et fait leur temps. Elles semblent avoir basculé dans le temps libre et les vacances sans fin, désormais désarticulées, inutilisables, mais évoquant des silhouettes anthropomorphes, de ceux et celles qu’elles n’ont cessé de porter et supporter. Cela évoque la vie d’après. Après le travail, après la servitude, après l’utilitaire, après la politique, après le pouvoir. Elle indique une porte de sortie, le palais n’est pas un mausolée, il ne peut figer le cours des choses, malgré sa volonté d’en imposer. Ce qu’elle renforce par une série d’huiles sur bois où, à la manière d’un Petit Poucet, elle sème des scènes étranges où s’esquissent des possibles inédits entre intériorité spirituelle et objets coutumiers, des façons singulières de dialoguer avec les formes, les couleurs, les fragments de monde coutumiers, d’organiser des échanges symboliques parallèles. « Coucou petite énergie d’habitude, je sais que tu es là ». De résonances entre l’environnement et le siège décisionnel, il en est question aussi avec la manière dont Jiacinto Branducci investit la salle du collège. Il s’inspire de deux grandes compositions en céramique de Pierre Caille (1958) qui symbolisent le Hainaut laborieux, industrieux, réunissant en un tout dynamique, rayonnant, éléments figuratifs, éléments abstraits, énergies matérielles et spirituelles, l’usine, les champs et les arts. De ces représentations en relief de la prospérité, l’artiste actuel extrait des ombres sombres et souples, aveugles. Une main désœuvrée, presque démodées dans une actualité numérique, des pièces de machine, des rouages insolites, un être androgyne, mi-humain mi imaginaire, silhouettes noires et molles qui rampent autour de la table ronde où les élus provinciaux débattent, instruisent décident. Le même artiste – en développant lui aussi une attention soutenue à l’âme des objets, pour rappeler toutes les réalités peu prises en compte par la rationalité économique au cœur de la politique – a dressé un catalogue d’objets « excusés », ayant été retiré du décor, écartés, rangés dans des réserves. Il a photographié ces mobiliers fantômes et les expose sous forme d’avis de recherche dans un couloir administratif. À la recherche de résonance libérée du poids des morales séculaires et des grandes religions monothéistes, Robin Toubeau élève une formidable chapelle en carton, architecture qui rappelle celle des camps de migrants, des sans-abris. On s’y enfonce comme en une grotte, sous le buis, pour découvrir une peinture « new-age » et une chambre de méditation avec un buisson dressé vers une coupole tressée d’où jaillit la lumière. Collage de fragments religieux et spirituels puisés dans différents courants, références immémoriales ou de pacotilles, pour s’inventer une religion toute personnelle, singulière, invitant chacun-e à en faire de même. Il s’agit bien de traiter le religieux sans s’affilier à quelque obédience que ce soit. Un rappel judicieux dans ces lieux où les croyances ne doivent pas interférer avec ce qui est juste, équitable.

Une construction branquignole, équivoque, prise de vertige, instrument du pouvoir ou dispositif pour aller désamorcer sa petite caméra de surveillance, tout en haut ?

Au centre de la structure du palais, Maëlle Dufour dresse une tour de guet et/ou tour de contrôle. En bois et planches de couleur blanche qui contrastent avec les riches matières et les lueurs feutrées. Le symbole est à double tranchant, soit il révèle le principe de contrôle, rappelant la tentation panoptique du pouvoir, soit il érige un point d’observation citoyen, pour surveiller le pouvoir de l’intérieur. Toujours est-il que l’édifice est tortueux, penché, et que l’on en éprouve physiquement l’inconfort et la fragilité en s’engageant dans sa cage, gravissant l’échelle qui conduit à une courte vidéo qui, au sommet, montre un territoire filmé au ras du sol, de ses décombres, de ses déchets, de ses touffes d’herbes et rambarde d’autoroute sous une chaleur ahanante de vie fuyante, traquée, sommée d’évacuer le territoire. La devise délivrée, là où on aurait pu espérer embrasser du regard une échappée, est sans appel : « aucun droit, moins qu’un chien ». Et l’on retombe du mirador blanc.

 

Le chamane contre l’extractivisme , juste avant le centre de crise

Théo Ronse a installé une pluie figée de bambous et d’os qui borde la cage d’escalier. On passe dessous ces colliers d’osselets rongés par le vide. Dans l’antichambre vitrée de la salle du collège, on aperçoit d’étranges créatures immobiles dans leurs trajectoires aériennes. Ce sont des paniers d’osier décorés de plumes. Des masques pour se couvrir de l’âme d’oiseaux. Ils semblent dire « couvrez-vous de nous et vous volerez ». Juste là tout près, il y a une petite pièce chaleureuse, entre cachette de grenier et cabanes de fond de jardin, un cabinet comme cabinet de curiosités. Des rayons de ruches, des collections de bogues de châtaignes ou de frênes, des fruits de tilleuls, des samares d’érable, des paniers de pêcheurs, des bouts de bois en forme d’outils surréalistes ou de crosses magiques, des os, des crânes d’animaux, des chapelets de graines, un fauteuil moelleux sans âge, des défroques. Quand on s’assied, on découvre un écran et une vidéo en noir et blanc. Deux femmes agenouillées, la tête dans un panier-esprit-oiseau confectionnent rituellement une substance noire, liquide. Calmement. Et puis elles s’appliquent l’encre poisseuse sur le corps, tranquillement, à l’instinct, écoutant leur corps et leur âme pour deviner où la substance doit recouvrir la peau. Elles ne semblent pas obéir à des règles supérieures, dictées par un pouvoir vertical. Simplement, elles se donnent du soin. Le sauvage, l’état de nature envahit le palais policé, d’autres lois, d’autres évolutions et d’autres organisations étaient possibles. Dans la mélancolie du bâtiment dont de nombreuses décorations exaltent finalement les métiers humains dans leur version héroïque tout à fait caractéristique d’une époque où l’industrie devait amener le bonheur sur terre, cette enclave de résonances avec l’archaïque, apaise. « L’homme broie les matières rétives » lit-on sur un haut-relief en verre. Les fresques de travailleurs athlétiques, prolétaires de l’extractivisme, dégagent une étrange amertume, aujourd’hui que l’on sait combien l’exploitation sans vergogne des ressources naturelles conduit notre civilisation au bord du gouffre !

Au dernier étage, près du Centre de crise, Cécile Vanneste envahit le couloir avec un joyeux bordel. D’abord, un tic-tac assourdissant, bien syncopé, pression du temps qui passe, bombe à retardement. Sérigraphie et rétroprojecteur disperse sur les murs des figures de danseurs et danseuses aux allures nostalgiques. La référence est plutôt à la naissance du rock, ou yé-yé, mais selon des silhouettes intemporelles. La musique, qui court la rue, vient de la rue, a souvent déclenché des crises sociales. Crises intergénérationnelles. Elle colle des papiers, des dessins, des bandelettes avec des interjections, des jeux de mots comme on en trouve sur les murs publics. Un début d’archives de poèmes volants, urbains. Deux bustes vénérables ont été outragés, bondagés, attentat au Tessa. Récits picturaux échevelés, tintamarre silencieux, le désordre est bon enfant, ne mérite pas d’intervention des services de sécurité. Comme souvent.

 

Dans les flux mélancoliques, quel renaissance ?

Le Palais provincial est, en lui-même, la pièce centrale de l’exposition ! Il est la trame du guide du visiteur. Il a une conception de cathédrale : au lieu de représenter tous les morceaux du royaume de Dieu, il rassemble tout, dans ses matériaux, ses mobiliers, ses  céramiques, ses vitraux, ses peintures, ses salles où s’exerce la démocratie provinciale, ce qui a constitué les heures de gloire du Hainaut, les traditions, les paysages, les savoir-faire. Le monde autour a changé – les métiers, les ressources, les paysages, la biosphère -, les Provinces sont menacées d’obsolescence. Ces richesses patinées sont-elles moribondes, couvent-elles d’imprévisibles transsubstantiations ? Toute cette histoire fait planer dans le palais une formidable mélancolie, miroitante. Les artistes du Prix du Hainaut ont magnifiquement tiré parti de ce crépuscule chatoyant, ils et elles le tisonnent, en attisent l’histoire, actualisent des lignes de force, soulignent des désuétudes, introduisent de nouvelles problématiques, font courir de l’air frais, des révoltes respectueuses, des irrévérences sensibles, ils et elles en enrichissent l’âme. Ils rendent sensibles le fait que l’écoute de la jeune création contribue à la reconfiguration d’un devenir collectif, au sein même des institutions âgées.

 

texte et photos :
Pierre Hemptinne




Prix du Hainaut des arts plastiques

Jusqu'au samedi 15 décembre 2018

Mercredis, Vendredis et Samedis : de 13h à 18h
Dimanche 2 décembre : de 13h à 18h

Palais provincial
13, rue verte
7000 Mons

Entrée libre

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