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Punk Graphics : future graphics ?

bannière expo Punk Graphics - ADAM - Brussels Design Museum
L’expo qui se tient au Brussels Design Museum (ADAM) jusqu'au 26 avril 2020 propose d’explorer les langages visuels nés avec le mouvement punk à la fin des années 1970 et leurs ramifications directes jusqu’au milieux des années 1980. Fan de la chose musicale et détenteur d’un conséquent patrimoine discographique qui lui est directement attaché, on est allé vérifier – dans un lieu aussi institutionnel qu'un musée – comment le « no future » des punks et affiliés s’est imprimé dans leur époque et, plus encore, s'est infiltré jusqu’à la nôtre !

Sommaire

Déjà présentée au Museum of Arts and Design de New York, l’expo Punk Graphics – Too Fast to Live, Too Young to Die regroupe une sélection de 500 pièces, toutes issues de la collection privée (qui compte 3000 pièces au total) d’un homme d’affaires new-yorkais, Andrew Krivine, contemporain fasciné par l’émergence quasi spontanée du punk et compilateur zélé de ses effets témoins emblématiques : T-shirts, affiches, flyers, magazines, etc.

Un texte (un peu succinct) de remise en contexte économique et historique de ce mouvement culturel majeur de la fin des années 1970 que personne n’avait vu venir, rafraichit la mémoire du visiteur à l’extérieur de l’expo elle-même. L’enjeu est bien d’explorer le versant visuel de ce punk qui devait s’autodétruire rapidement mais dont les « mauvaises manières » et scories continuent d’influer sur le graphisme, l’art et le marketing jusqu'à aujourd’hui.

Confinée dans un dédale certes fléché mais qui autorise une certaine liberté dans le sens de la circulation choisi, l’expo privilégie une approche par thèmes et par unités graphiques.


The Beauty of punk

Quarante années après-coup, on reste frappé par la force d’impact magistrale, l’élégance minimale et sauvage de ces graphismes « Do It Yourself ». Des visuels qui explorent également l’immédiat après-punk, en laissant une place égale à ses rejetons post punk/new wave, no wave et hardcore, et ce jusqu’au mitan des années 1980.

Particulièrement fauchés mais faisant flèche de tout bois côté idées et matériaux de base, les artistes punk ont exprimé leur position anti-establishment et leur penchant spontané à tout vouloir réaliser eux-mêmes en se servant de tous supports bon marché, aisément sous la main et se prêtant de bonne grâce aux détournements et récupérations.

Extraits de journaux, revues, publicités seront dépecés et tailladés à la lettre/à la phrase à des fins de (re)créations typographiques pour des affiches, flyers, pochettes. — Yannick Hustache

De même, toutes les formes d’arts populaires (bande-dessinée, roman-photo ou de gare, imaginaires S.F., fantastique ou rétro) servent d'éléments féconds de départ à des réappropriations où le collage sur papier de piètre qualité est la forme la plus usitée, reproduits à la photocopieuse, rassemblés et agrafés en fanzines, zébrés de couleurs offensives !

Dès la première « pièce » de l’expo, des extraits musicaux (Patti Smith, Ramones, etc.) et bouts d’interviews en boucle remettent le visiteur dans le bain d’une époque de récession économique majeure et de stagnation d’une culture rock déjà bien embourgeoisée en ce milieu des années 1970. La réaction sera quasi spontanée, à cheval au-dessus de l’Atlantique, le mouvement punk rock étant né aux États-Unis pour éclater ensuite dans la vieille Angleterre.

Au cours de cette période temporelle finalement réduite – une grosse dizaine d’années –, non seulement la créativité musicale et artistique a atteint des sommets d’intensité inégalés, mais elle a aussi montré une rapide évolution dans ses styles, formats et palettes de couleurs, de la sobriété offensive et débraillée des débuts punks à la sophistication new wave.

Avec une bonne dose d’ironie parfois glaçante ou de sarcasme, à la manière des Situationnistes avant eux, les artistes punk – à l’époque, musiciens et artistes pratiquent intensément l’échangisme culturel spontané – ont subverti messages informatifs (politiques, publicitaires, d’utilité publique, etc.) et codes esthétiques dans leurs critiques d’une société capitaliste qui ne tardera pas à son tour à en récupérer l’essentiel des procédés et à les réinjecter dans ses rouages, publicitaires et commerciaux, après les avoir évidés de leur charge et fonction subversive initiales.

Anarchy in art(s)

La plus belle illustration de ce qui vient d’être dit est le portrait « refait » de la reine Elisabeth d’Angleterre par Jamie Reid pour orner le fameux Anarchy in the UK, 45T des Sex Pistols en 1976, à l’entame de l’exposition. Plus loin, on peut également apprécier sa parodie d’une pub American Express pour dénoncer les liens incestueux entre l'entreprise financière américaine et l’industrie musicale.

Motif de choix, détourné depuis des centaines de fois, le diagramme noir et blanc du spectre d’ondes d’un astre céleste tiré tel quel d’une obscure brochure scientifique pour devenir l’iconique pochette avant du premier album de Joy Division par Peter Saville, fidèle compagnon de route du groupe (tant de Joy Division que de New Order).

Ces artistes autoproclamés qui privilégiaient la spontanéité au professionnalisme se sont servis de tout type de presse bon marché pour assembler d’improbables collages bigarrés qui frappent toujours autant – à l’instar de la pochette du 45 tours Orgasm Addict des Buzzcocks et sa femme nue à tête de fer à repasser – par leur puissance d’évocation instantanée et des questions qu’ils continuent de soulever quarante années plus tard !

Tant sur le plan musical qu’artistique, la new wave et le post-punk vont se singulariser en ouvrant le champ des possibles sonores à d’autres courants (reggae, dub, mouvances electro, avant-garde, etc.) et à certains héritages d'un passé plus ou moins récent (les figures des Stooges, de Suicide, de Neil Young), mais aussi en véhiculant des questions liées aux minorités ethniques, sociales ou sexuelles.

L’ouverture de la grille artistique du punk au post-punk se traduisit par des approches plus ludiques et des formes plus géométriques. Les couleurs – parfois criardes – apparaissent, les traces manuelles (dessins faits à la main, taches, etc.) jouent les invitées régulières.

Le No Future revendiqué des artistes punk ne doit pas occulter leur incontestable filiation à quelques courants artistiques plus anciens. S’il est facile de reconnaître l’influence graphique prépondérante d’Andy Warhol et de sa Factory, on verra aussi dans leurs travaux quelques résurgences des avant-gardes du début du XXème siècle tel le constructivisme soviétique. De même, classé politiquement « à gauche », les punks ont régulièrement fait le choix de soutenir certaines causes et actions politiques en opposition aux politiques de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, parfois importés comme des motifs et véritables têtes de gondole de l’affichage contestataire qui, pour le coup (par exemple dans les créations graphiques de David King) épouse ou pastiche des visuels « révolutionnaires » détournés pour la cause.

Au sein de ce microbouillon de culture, tout s’hybride et se mélange : Patti Smith lit de la poésie sur scène, Jean-Michel Basquiat fait du bruit avec son groupe Gray et Laurie Anderson fait ses premiers pas dans la performance.

Comix, monsters & outcasts !

Punk Graphics… met en évidence le lien rarement souligné des relations poreuses, fructueuses et à double entrée entre animation, bandes-dessinées underground (Zap Comix, X pour le côté « adulte ») et graphisme punk. Ainsi Raymond Pettibon, frère de Greg Ginn (fondateur des séminaux Black Flag), plus tard illustrateur pour quelques disques de Sonic Youth et son graphisme « bédéiste », indissociable de l’identité visuelle du groupe hardcore californien susnommé et de son humour corrosif !

De même, l’exposition souligne la continuité logique entre les attributs de parias autoproclamés des punks (accessoires SM, cuir, fringues déchirées tenues par des épingles de sûreté, coupes de cheveux colorées et excentriques, etc.) et les visuels et signes distinctifs empruntés aux univers SF, fantastique, apocalyptique (on est en pleine guerre froide) ou tirés de l’imagerie guerrière ou totalitaire.

Autre curiosité post-punk : cette vague rétro illustrée par les travaux de Barney Bubbles, qui remet, non sans beaucoup d’ironie, une partie des codes visuels et vestimentaires des années 1950 au service d’une imagerie et d’une musique pas innocentes pour un sou : B-52s, Devo, Elvis Costello.

Pochettes, fanzines, affiches et badges

Sur fond noir, une salle entière de l’exposition est dévolue aux attributs typiquement punk. Flyers d’annonces de concerts, d'emblématiques fanzines par dizaines, bigarrés, écrits sur des machines à écrire de fortune et retouchés/décalqués à la main. Tirés en un petit nombre d’exemplaires assemblés au moyen d’agrafes, distribués/vendus aux concerts, chez le disquaire ou par correspondance, ils étaient l’organe de diffusion privilégié de cette sous-culture, de qualité aléatoire mais conçus dans l'urgence avec passion. Pièce de choix, un exemplaire de Touch & Go, initialement fanzine, qui donna naissance à l’un des meilleurs labels indie U.S. des années 1980, 1990 et 2000.

Enfin, affiches et sérigraphies se disputent les murs de cet espace, entre reproduction promotionnelle des disques et typographies originales, voire instantanés photos des groupes en tournée. Ça fait encore envie en 2019-2020 !

Belgian punk(s)

Punk Graphics… ne pouvait être présentée à Bruxelles sans laisser une (belle et instructive) place à la traduction locale noire/jaune/rouge du phénomène : avec un léger temps de retard par rapport à l’Angleterre, mais proposant rapidement ses premiers émules (The Kids, Hubble Bubble – dont émergera un certain Plastic Bertrand –, etc.) et repères (le Rockin’ Club à Forest). En 1977, puis en 1978, les éditions du « gros » festival pour l’époque qu’est le Jazz Bilzen, s’offrent un plateau punk (The Clash et The Damned la première année ; The Jam et Blondie l’année suivante) dans une ambiance électrique.

La scène belge « explosa » véritablement un peu plus tard, au moment du post-punk et de la new wave, qui vit aussi l’émergence de labels indépendants (Les Disques du Crépuscule, Antler) dont une superbe sélection de pochettes d’albums (aujourd’hui collectors pour la plupart) termine l’exposition en beauté !

Yannick Hustache



Punk Graphics – Too Fast to Live, Too Young to Die


Jusqu'au dimanche 26 avril 2020


Brussels Design Museum (ADAM)
1 place de Belgique
1020 Bruxelles