« Punta Sacra » (Francesca Mazzoleni) : ici c’est aussi la terre
Bien que située à plus de 30 kilomètres de la capitale, la région d’Ostie fait techniquement partie de la ville de Rome. Elle regroupe l’ancien port impérial, le lido et les plages de Rome et se situe sur la côte, à l’embouchure du Tibre. L’aéroport de Fiumicino se trouve sur l’autre rive du fleuve. Autrefois, à la pointe du fleuve se trouvait l’Idroscalo, un aéroport spécialement aménagé pour les hydravions. Le quartier a connu une petite heure de gloire dans les années 1960 quand Fellini venait y tourner la fin de son film Huit et demi, et une notoriété plus cruelle en 1975 quand on y retrouva le corps de Pier Paolo Pasolini, assassiné dans des circonstances toujours douteuses aujourd’hui.
Des années plus tard, la zone abandonnée a été transformée par l’arrivée de plusieurs familles qui s’y installent, en grande partie sans permis, et construisent un labyrinthe d’habitations précaires. Bricolées et réparées au fil des dégâts occasionnés par les inondations, elles abritent une population défavorisée, que cette situation irrégulière oppose aux plans de développement de la région. En 2010, pour faire place à l’élargissement du port de plaisance, la moitié des habitations ont été détruites, et leurs habitants expulsés. Aujourd’hui, il reste à Punta Sacra, la « pointe sacrée », quelque 500 familles qui se battent pour obtenir le droit de rester, malgré les conditions insalubres et l’absence de perspectives d’amélioration.
La cinéaste Francesca Mazzoleni a construit son film autour des histoires de ces familles, les mères et les enfants principalement. Plutôt que d’expliquer la situation incertaine dans laquelle elles vivent, elle a mis en scène des épisodes de leur quotidien, les relations entre les gens, les frictions entre les générations.
On suit les jeux des enfants, les commérages des adolescents, les discussions politiques des adultes. Le décor désolé et gris, écho cruellement prosaïque au néoréalisme des banlieues prolétaires filmées il y a soixante ans de cela par Pasolini, ne séduit plus – ou plus de la même manière. — -
Le noir et blanc qui sublimait la misère est ici remplacé par un réalisme plus cru, plus contemporain, mais toutefois assorti d’une recherche esthétique différente, plans panoramiques, survols par drone, étalonnage précis.
Mais ce souci esthétique ne se met jamais en travers du réel propos : la vie des gens, le quotidien et l’histoire des habitants de Punta Sacra. Le film est le résultat de près de huit ans de repérages et de prises de contact avec les habitants pour avoir accès à leur intimité. — -
Après avoir fait connaissance avec quelques-unes des adolescentes et des femmes du quartier, la réalisatrice a décidé de filmer sur de longues durées, et sur une longue période de temps, au point de se faire oublier et d’ainsi pouvoir laisser les scènes familiales, les discussions intimes, se dérouler comme si l’équipe de tournage n’était pas là.
Malgré la mélancolie des images, et de la musique qui les accompagne, il n’y a aucune volonté misérabiliste dans le film.
Les habitants de Punta Sacra sont avant tout déterminés à rester là, dans ces maisons et ce quartier qu’ils ont construits de leurs mains, et leur dynamisme est montré dans les célébrations et les fêtes qu’ils organisent collectivement. Peu d’entre eux imaginent une vie ailleurs, en dehors de cet endroit déconcertant, où ils sont libres et autonomes, malgré l'incertitude et l’absurdité de leur situation. — Benoit Deuxant
Le film est actuellement présenté au 51e Festival international de cinéma de Nyon, en Suisse
Le festival se déroule cette année dans une Édition en ligne.
Le film Punta sacra est visible jusqu’au 2 mai