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Quand le Septième Art se met à table

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publié le par Michaël Avenia

On l’a souvent dit et répété, la nourriture révèle une importante force symbolique au cinéma. Bien plus qu’un simple objet de sustentation, elle reflète à bien des égards les comportements humains, sociaux, amoureux et dévoile nombre de subtilités sur la psyché propre à tout un chacun. Mais bien plus encore que la nourriture, le rituel du repas – en famille ou entre amis – s’impose comme un élément déterminant et incontournable du cinéma.

Alors qu’il tente de s’affranchir des banalités du quotidien – ellipse quand tu nous tiens –, le cinéma a toujours su réserver au repas une place de choix. Espace d’échange et de mise à nu, il représente un curieux mélange de conventions et d’animalité. Si la bienséance et les codes sociaux imposent de facto ordre et discipline, la nature élémentaire et primitive de l’acte exposent aux yeux de tous faiblesses et soumission.

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Le Souper (Édouard Molinaro, 1992)

Bien qu’il se pratique aussi en solitaire, le repas est avant tout une réunion et donc inévitablement un moment d’échanges et de confrontations. Rapports de force, jeux de séduction ou manœuvres politiques, tout semble se jouer autour d’un bon repas. Omniprésent dans le cinéma de Chabrol par exemple, le rituel dinatoire consacre ce rapport aux autres et définit – au propre comme au figuré – la place de chaque convive. Rien n’est plus codifié qu’un repas : qui se sert en premier ? qui coupe le gigot ? qui débouche et sert le vin ? Autant de détails qui induisent dès lors les relations interpersonnelles dans toute leur complexité, ainsi qu’une forme latente de hiérarchie.

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In the Mood for Love ( Wong Kar-wai, 2000)

D’un simple jeu de séduction (on ne compte plus le nombre de scènes dédiées aux repas entre amoureux) à la rencontre décisionnelle et politique (impossible de passer sous silence le face-à-face cynique des deux Claude dans Le Souper), le repas est souvent le moment où tout se joue. Rancœur, haine et autres sentiments refoulés s’abreuvent et se nourrissent de ces retrouvailles pour se révéler – souvent d’ailleurs – de façon excessive. Qu’elles soient orgiaques (La Grande Bouffe) ou à peine suggérées (Cuisine et dépendances), les réunions dinatoires s’imposent comme pierres angulaires de bien des intrigues tout en nous renvoyant à nos propres expériences.

Le repas est une forme de prison dont il est peu aisé de s’extraire. Chaque convive se retrouve captif d’un lieu (une table, un restaurant, une salle à manger), d’un rituel (le repas en lui-même) et de la présence des autres (l’enfer, selon Sartre). Coincé entre une fourchette et un couteau, chacun se doit d’user de la parole avec parcimonie (ce qui est rarement le cas) au risque d’ouvrir une brèche dans sa défense et de s’exposer alors aux vindictes de ses condisciples du moment. Le couvert, symbole de raffinement et de culture par excellence, retrouve dès lors sa vocation première de destruction et de mise à mort : piquer, découper, déchiqueter.

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Vincent, François, Paul et les autres (Claude Sautet, 1974)

Pour paraphraser Ugo Tognazzi dans La Grande Bouffe, pour bien mourir il faut bien manger. Alors, sans doute, pour bien vivre faut-il bien régurgiter tout ce qu’on a sur le cœur. Le repas s’articule donc autour de cette logique d’assimilation / restitution (transposé en terme guerrier, on peut parler d’attaque et de riposte), une joute où il est autant question de mots que de position ou de prestance. Du repas au repos, on l’aura compris, il y a bien plus qu’une simple lettre à franchir.

Michaël Avenia

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