"Raoul Barbe-Bleue" d'André Grétry, comédie en trois actes et en prose
Sommaire
L'opéra-comique, un genre de son temps
Né en France vers le milieu du XVIIIème siècle, l'opéra-comique va peu à peu supplanter la tradition du grand opéra français. Les temps changent, nous sommes à la veille de la Révolution française. Tandis que la tragédie lyrique, née du génie de Jean-Baptiste Lully et perpétuée par Jean-Philippe Rameau était destinée à la Cour et à la noblesse, l'opéra-comique s'adressait à la bourgeoisie et au peuple. La vie musicale ne se cantonne plus uniquement dans les églises et les cours, mais se développe de plus en plus dans les maisons, les cafés, les salles de spectacle nouvellement construites.
À la fois héritier de l'opera buffa italien représenté par Giovanni Battista Pergolesi, Niccolo Piccinni et Wolfgang Amadeus Mozart, ainsi que des vaudevilles joués dans les foires parisiennes, ce type de spectacle est à la croisée du théâtre et de l'art lyrique. Comique et satirique à l'origine, il évolue peu à peu vers des sujets plus historiques et sentimentaux, fait montre d'un plus grand sérieux, approfondit ses caractères et ménage des effets dramatiques de plus en plus complexes. L'écriture se distingue aussi du style baroque, vite emphatique, et cultive plutôt les expressions naturelles et simples.
Une œuvre hybride
Raoul Barbe-Bleue en est un exemple de belle facture, enchaînant avec bonheur textes parlés, airs solistes, ensembles et parties purement instrumentales. Le livret de Michel-Jean Sedaine, dramaturge connu à l'époque et ayant collaboré à bon nombre de livrets d'opéras, reprend de très près le conte de Charles Perrault auquel s'ajoutent des éléments de deux romans médiévaux: le Roman du châtelain de Coucy et de la dame de Fayel et La Châtelaine de Vergy.
Sedaine dose savamment les éléments comiques, présents principalement dans les dialogues, et les aspects sentimentaux et dramatiques réservés à la musique. Contrairement au conte moralisateur de Perrault où la curiosité féminine était présentée comme la cause principale du drame, justifiant en partie les crimes de la Barbe Bleue, Sedaine présente Raoul comme un personnage non seulement cruel mais pervers. C'est volontairement qu'il suscite la curiosité de sa jeune épouse Isaure, la poussant à la faute. Parmi les personnages de la pièce, nous trouvons Vergy, le fiancé qu'Isaure a quitté pour épouser Raoul pour raisons diplomatiques et financières. Vergy ne pouvant renoncer à sa belle se présente au château de Raoul déguisé en femme, se faisant passer pour la sœur de la jeune épouse, prénommée... Anne, bien sûr. Et lorsqu'il sera chargé de guetter impatiemment l'arrivée des frères d'Isaure, celle-ci lui demandera : "Vergy, ma sœur, ne vois-tu rien venir ?". On le voit, le ton oscille sans cesse de la farce au drame. Le rôle d'Osman, serviteur de Raoul, effrayé par son maître, pleutre mais désireux d'empêcher un nouveau crime, semble directement sortir d'un opera buffa, rappelant un peu, lors de son duo avec Raoul (merveilleux Matthieu Lécroart !), le Leporello de Da Ponte/Mozart.
Cet enregistrement est donc une belle surprise, même si jamais le disque ne pourra rendre la truculence de la pièce théâtrale. La distribution vocale intégralement francophone est de qualité et est idéalement soutenue par l'Orkester Nord dirigé par Martin Wåhlberg.
Bientôt dans nos rayons:
Nathalie Ronvaux
Image de bannière : Centre de musique baroque de Versailles
Cet article fait partie du dossier Semaine de la musique belge 2024.
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