Recyclart, premiers 20 ans : souvenirs en images
Sommaire
Au moment où le rideau de fer de la gare de la Chapelle tombe lourdement, comme un couperet, sur le volet nocturne et vibrant de son existence, nous avons demandé à une série de personnes qui ont un moment participé à faire de Recyclart ce que Recyclart a été (programmateurs, graphistes, organisateurs... musiciens, public, etc.) de nous raconter un souvenir et de chercher dans leurs archives d'images.
L'occasion aussi de rappeler que Recyclart ne vibrait pas que par ses légendaires soirées et concerts mais titillait aussi les papilles gustatives (bar), les rétines (projets photographiques orchestrés par Vincen Beeckman, projections en plein air du Cinéma Nova, etc.), le sens de la convivialité et du bon voisinage (inscription du lieu dans son quartier) et via la mise à disposition de petits locaux (ateliers - VerZuZ, Zerfall, Walls, Studio Marcel, Habeas Corpus, etc.) pour des projets graphiques, de théâtre, etc.
Dirk Seghers (programmateur) :
- Quel que soit l’événement, quel que soit le type de musique jouée ce soir-là, il y avait à chaque fois ce moment magique où on ouvrait la paroi coulissante en bois et où l’espace industriel froid de la gare se transformait en une fantastique salle de concert à l’atmosphère incroyable. Cette magie va me manquer et que je ne retrouverai plus jamais maintenant que la SNCB va construire un mur en maçonnerie à l’emplacement de cette paroi-accordéon en bois. (...)
Version complète du très beau texte de Dirk Seghers :
Harrisson (graphiste)
- Recyclart, c’est des trains parfois en avance, parfois en retard, parfois l’un ni l’autre. Au centre, la gare, toujours ouverte, ou l’éclectisme des passagers n'a jamais fait trop peur. J'y ai régulièrement fait la navette, de la création du logo en 1998 jusqu'à la dernière soirée de 2018. J'y ai même été responsable du ferroviaire programme graphique entre 2001 et 2005, c'est dire... Une folie de jeunesse pour certains, un âge d'or pour beaucoup, un trou noir pour aujourd'hui.
Marc Jacobs (programmateur)
- Difficile exercice de ne choisir qu’une seule
soirée… j’y ai programmé des centaines d’artistes sur près de 10 ans, tous des
coups de cœur. Je n’oublierai jamais la présence non-annoncée de Todd Trainer
pour accompagner Scout Niblett à la batterie, une lecture de textes par Jim Thirwell, les Yellow Swans, The Locust et Lightning Bolt qui ont redéfini le
noise, les Soirées Yeah ! où se côtoyaient électronique et punk, les soirées
Haunted Folklore, intimes et exploratrices, Animal Collective gratuit à l’extérieur,
peut-être le seul concert de Burial Chamber Trio avec Oren Ambarchi, Jaki Liebezeit, etc. Et tant d’autres !
J’ai sorti ma lampe de poche et retrouvé cette magnifique affiche sérigraphiée signée Elzo Durt qu’il a créé pour un cycle autour des formes libres inspirées par le blues, le punk et le psyché.
Marc Jacobs
Laurent Cartuyvels (Verzuz, 2002)
1 juillet 2002-31 décembre 2002
vZZ-verZuZ
- Créé en tant qu'atelier mais vite transmuté en espace d'expos et de concerts (avec et parfois sans soutien de Recyclart). Avec Bram Borloo on a invité des locaux (et des nons locaux) tels que Mangenerated, Es, Géographique, Beton, Tarantism, Wolf Eyes, Lucas Abela, Chimuser, Soft Cushions
(Floris Vanhoof), Rot, Moysk, Benjamin Franklin, Implosief Crew (MC Speedy, Broemm, Salamixer, Mediachirurg Koekes et Zark), MAGMABB, John Wiese, Melted Man, Erik Minkkinen, Evil Moisture etcetcetcetcetcetc666 !
Clément Laloy (Zerfall, 2003)
- Zerfall commence par le
"Z" qui termine VerZuZ, un atelier que tenaient Laurent
Cartuyvels et Bram Borloo juste avant nous dans un autre local de Recyclart. (...) « Zerfall » est un mot allemand qui veut dire « chose
qui tombe » ou « chose tombante », quelque chose comme ça. Il y a
l'idée de chute, de ratage, d'anarchie, c'est le sous-titre d'un livre de
Thomas Bernhard, "Exctinction; un effondrement". Thomas Bernhard
aussi m'a servi de guide pour cette aventure. Zerfall a duré six mois, de
janvier à l'été 2003. J'y ai mis en scène trois pièces : une pièce en
trois parties de Beckett, Trois histoires d'amour (que j'avais écrite) et 4.48 Psychose de Sarah Kane. (...) L'expérience
de Beckett a été particulièrement marquante puisqu'un des comédiens, Giuseppe
Zammataro, ne voulait plus de texte et a proposé, en contre-partie de la pièce,
la simple exposition de son corps. Le public a réagi de manière hystérique. Il
sortait, revenait, m'engueulait, engueulait Giuseppe.... On lui a même jeté un
programme, alors qu'il ne disait rien, ne faisait rien. D'autres criaient au
génie... Giuseppe, lui, trouvait que j'interrompais le spectacle trop vite, en
allumant la lumière. Il aurait voulu que ça aille encore plus loin.... Giuseppe
avait alors l'idée d'un théâtre hyper-minimaliste, disparaissant lui-même. Pour
la pièce suivante, il aurait voulu un flyer qui propose simplement un lieu et
une heure, mais où il n'y aurait absolument rien de prévu. Je lui ai dit,
pourquoi faire un flyer alors? Il m'a répondu, tu as raison, le flyer est déjà
de trop. Ce fut notre dernière collaboration.(...)
Version longue du texte de Clément Laloy :
Philippe Delvosalle (PointCulture)
- Je me souviens d'un concert des Martiens Go Home (avec Sister Iodine en invités?) à à l'époque du chantier, avant l'ouverture officielle. Je me souviens qu'on était rentré par un espace de travail qui ressemblait à une menuiserie... Je me souviens que des films de la Cinémathèque étaient stockés dans les locaux sous les voies de chemin de fer jusqu'à la fin des années 1990, avant le projet de Recyclart. Je me souviens qu'à une époque où je n'en pouvais plus de travailler au Musée du Cinéma je me réfugiais le midi au bar de Recyclart pour manger un bout et faire un break... Je me souviens que la première programmatrice de Recyclart venait plutôt de la danse (et/ou des arts plastiques) et reconnaissait ne pas s'y connaître si bien que ça en musique... Je me souviens qu'elle avait l'honnêteté intellectuelle et la modestie de confier des pans de la programmation à des invités... Je me souviens avoir imaginé le petit cycle de concerts Electri-City... Je me souviens de l'arrivée tardive de Thomas Brinkmann en grosse voiture allemande rutilante. Je me souviens d'avoir dû fuir un restaurant bruxellois avec John Butcher la veille de son concert parce qu'un groupe de rock sudiste se mettait à y jouer... Je me souviens qu'à cette époque les musiciens étaient logés à l’Hôtel de la Grande Cloche, Place Rouppe... Je me souviens d'avoir interviewé Alejandra & Aeron (qui jouaient dans le cycle Haunted Folklore) à la Fleur en papier doré... Je me souviens des ateliers VerZuZ (2002) et Zerfall (2003)... Je me souviens du Placard (festival-marathon pour auditeurs casqués) au Zerfall... Je me souviens d'avoir lorgné sur la station essence abandonnée au coin de la rue de Terre neuve... Je me souviens d'avoir coorganisé le concert de Jeffrey Lewis dans le bar de Recyclart en 2007 à l'époque de 12 Crass Songs... Je me souviens d'Animal Collective en plein air et de Simeon des Silver Apples, meilleur concert du festival Kraak 2008... Je me souviens d'avoir perdu mes lunettes - et de les avoir retrouvées intactes - au milieu du pogo du concert de Lightning Bolt... Je ne me souviens pas trop du concert de Thurston Moore à part qu'il jouait avec Paul Labrecque... Je me souviens de Mdou Moctar... Je me souviens de la programmation photo intelligente de Vincent Beeckman, de ses soirées Extra Fort de rencontres en images avec des photographes et de la découverte, seul au milieu de la foule, d'une boite de photos d'un artiste anonyme lors de la première édition du Musée de la Pho... - de la future Fusée de la Motographie, pardon. Je me souviens d'un squelette articulé géant qui dansait au-dessus de la foule sur l'esplanade ce même soir.
martiensgohome ("abscons depuis 1996")
- Quand nous avons décidé d’organiser des concerts dans
la gare de Bruxelles-Chapelle, Recyclart venait de s’y installer et n’avait
aucune envie à l’époque de devenir « encore une autre salle de
concert ». Je ne sais plus si nous leur avons forcé la main mais nous
avons fini par les convaincre de nous laisser organiser une série de
performances un dimanche par mois, en après-midi. On y a présenté, dans un lieu
encore en chantier, très froid, avec un look un peu industriel, des concerts
mais aussi des live soundtracks, des films expérimentaux, une pièce de théâtre
sonore inspirée des stations radios espions, avec la comédienne France Bastoen
récitant des listes incompréhensibles de numéros, en trois langues, et un
final avec des concert de Köhn et de Sister Iodine, et une performance de
la danseuse Erna Ómarsdóttir.
Plus tard, Recyclart est devenu la salle de spectacle que nous
connaissons, et a accepté son destin d’organisateur de concerts. Le centre a
aussi mis à disposition des ateliers, où un artiste ou un collectif pouvait
gérer sa propre programmation pendant quelques semaines. Nous avons profité de
la proposition pour investir l’atelier 17 pendant deux semaines en 2009 et y
fêter l’anniversaire du collectif. Outre l’excellente programmation de
Recyclart, ce sont souvent ces ateliers qui ont apporté le plus de surprises.
Nous avons encore des souvenirs émus du Zerfall, qui s’y est installé pendant
sept mois en 2003 pour culminer dans les 48 heures de musique au casque du
"Placard".