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Rémy Hans au BAM : le poids du silence

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Au BAM, Rémy Hans dessine la ligne de front entre ruines et forêts. Et propose des rituels d’attention pour soigner nos paysages détruits et imaginer autrement les temps qui viennent.

Sommaire

Le poids du silence

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Il y a beaucoup de blanc et de lumière crue. C’est ce que l’espace semble offrir en premier, du vide. Dans ce vierge, au lointain, des « taches » bleues. Il faut s’approcher, rien ne saute aux yeux. Une fois face aux cadres, le regard plonge dans un entrelacs, un tel quadrillage de traits, qu’il ne s’en extrait plus. Comme quand, fixant un coin d’herbes « banales », on finit par y découvrir un monde infini, insoupçonné et grouillant. Alors, les dessins bleus flottent et colonisent l’espace blanc et vierge. La luminosité est-elle celle d’un miracle de la vie ou celle d’une morgue ? Elle semble irradier de la vitrine qui protège la grande image Le poids du silence. En général, le « poids du silence » évoque une contrainte qui anesthésie la capacité de (se) dire, le silence figurant alors quelque chose qui ronge, qui empêche d’expulser une parole libératrice. C’est aussi un régime qui fait taire et, par-là, rend complice de quelque forfait ou catastrophe. Ce poids de silence se transmet à nous graphiquement, par le dessin sous verre : une vaste forêt interdite, dressée comme quasiment un mausolée, et un bout de ruine. Il nous traverse, nous appartient, nous possède et dépossède, c’est un héritage, une longue histoire par laquelle nos vies se sont entremêlées à celles des autres, y compris des choses inertes. Pour aboutir à ce tableau où gisent nature et culture, poésie et économie, reflet d’une panne universelle et miroir de paysages intérieures en berne, dépressifs.

Les ruines

Dans l’œuvre déjà dense de Rémy Hans - œuvre qui garde la fraîcheur éclatante de ce qui est en train d’éclore – il y a des ruines et des arbres. Les ruines sont d’abord les restes de construction, reprises par la nature, où enfant on aime s’immiscer, jouer, explorer imaginer ce qui s’y est passé. Leur présence systématique dans de multiples dessins, jalons d’un cheminement fait de disparitions, scénographiées sous des angles très diversifiés, leur donne une autre dimension. Celle d’une crise économique généralisée qui peu à peu ronge croissance et bien-être. Décombres d’une guerre du capitalisme qui affectent les destinées d’innombrables personnes. Ces ruines de briques racontent le reflux dramatique du rêve industriel et ses nombreux laissés pour compte, partout dans le monde., survivant en des paysages sinistrés. Quelques fois, elles ont aussi la silhouette de structures au design autrefois futuristes, ou une dimension antique, rassemblant des vestiges de marbre (plutôt copies et reproductions mercantiles de l’antique architecture). Ce marbre de carrare, matériau noble de l’art, qui a fait l’objet d’une exploitation effrénée, symbolisant la destruction de lieux de vie. Les ruines qui parsèment les œuvres de Rémy Hans me font penser, ce jour-là, au BAM, aux bunkers ravagés et abandonnés. Ils parlent d’histoires, d’affrontement, de carnages motivés par la propriété du sol, du territoire. Ils restent dressés face au vide dans leur plasticité toujours imposante bien que blessée, éventrée. Ils incarnent une ligne de front séparant l’occupant et l’envahisseur, l’agresseur et l’agressé. Les ruines méticuleusement dessinées par Rémy Hans – tellement « finies » qu’elles semblent aboutissements – trace aussi une ligne de front. Entre l’humain et le non-humain, racontant ce que la civilisation a fait à son environnement, exploitant et exténuant ses lieux de vie.

Les arbres et les temps

Les arbres sont presque tous dénudés. Pas forcément morts, mais plongés dans un hiver prolongés, et résistant. Sur le fil. Il y a le portrait d’Old Tjikko, cet épicéa qui, du haut de ses 9.500 ans (vous avez bien lu) contemple le désastre humain. Il y a aussi cet extraordinaire gisant, un tronc rectiligne et monumental allongé sur son dernier lit, attendant le dépeçage. Tout est raconté, dans le silence pesant des multiples traits et coups de gomme de grande précision, de façon hyperréaliste autant qu’hallucinante. Il y a donc un mélange de temps qui se révèle dans la façon dont apparaissent ces dessins : on dirait que l’on voit toutes ces choses pour la dernière fois, ultime coup d’œil rapide, ou, au contraire, pour la première fois, premier regard émergeant d’une longue léthargie. Tout est fini et tout est prêt à recommencer, à initier un nouveau récit. Quelque chose qui fait signal : maintenant ou jamais. Il y a dans cette iconologie toute fraîche la convergence et l’affrontement statique entre ce que Didi-Huberman décrit comme « temps pour tout finir » et « temps pour tout recommencer ». Le travail de Rémy Hans est indéniablement situé, attaché à l’histoire du Borinage où il a grandi. A partir des nervures de cette situation, il ouvre l’horizon, tisse des liens avec l’universalité des terres et des vies à l’abandon, sans prôner aucun enracinement, réactionnaire, mais plutôt l’ouverture de récits multiples, régénérateurs. Il scrute « les nœuds et les conflits de temps » à fleurs d’écorces et de ruines.

Mais comment voit-on ces nœuds et ces conflits de temps ? En regardant de l’intérieur les formes sensibles qu’ils prennent, qu’ils ne cessent de former et déformer, de faire et de défaire. Or, pour cela, il faut savoir se déplacer, quitter son « point de vue », sa position « actuelle » : il faut donc se rendre intempestif, anachronique, inactuel. Il faut regarder le passé avec les yeux d’autres temps, regarder le présent avec les yeux de quelqu’un capable – comme l’Angelus Novus de Paul Klee sur lequel fameusement méditait Benjamin – d’être emporté par un vent d’avenir au moment même où il se tourne vers l’Autrefois. Il faut regarder en tout cas : regarder sans cesser de déplacer son regard, dans le temps comme dans l’espace. — Didi-Huberman, « Imaginer Recommencer »

Regarder. Les dessins de Rémy Hans sont le résultat d’un intense regard sollicitant, de notre part, un même engagement de l’œil.

Les rituels et les soins

Cet engagement que permet d’éprouver plus concrètement les installations de Rémy Hans. Il y a les portraits d’arbres – pas n’importe quel arbre, ils sont là comme autant d’individus distincts, connus intimement par l’artiste – effectués au feutre sur du plâtre. Les panneaux de plâtre sont ensuite posés dans un récipient avec de l’eau. Le matériau buvard pompe le liquide qui vient altérer le tracé du feutre. On dirait que le dessin s’anime, que l’âme de l’arbre, saisie par le dessin, se libère, s’approprie les représentations que l’on fait d’elle, et restitue alors ses propres paysages intérieurs. Il y a ensuite une formidable collection de bouts de bois. Bien sûr, ce sont d’abord des branches regardées, observées, étudiées, ramassées, portées, connues. Mais là, ce ne sont pas les originaux. Ce sont des reproductions, peut-être faudrait-il dire, des réparations. Ces bouts de bois, ces brindilles, personnalisées, sont reconstituées avec un soin infini, en plâtre et couleur. A l’identique. Six heures de concentration, de gestes de la main et des doigts, de méditation. Comme l’on cherche à convoquer et à redonner forme à ce qui est perdu. Là-aussi, ces objets sont exposés à l’humidité et mime la transformation en humus. Chaque bout de bois aura été portraituré le plus fidèlement possible, dans son individualité de fragment de branche, autant de traits d’union étranges lévitant dans le bas de grandes feuilles blanches. Traits d’union entre la petitesse de ces choses et l’enjeu incommensurable du vivant qu’il nous faut prendre à bras le corps. Ces installations – plutôt des processus de création et de narrations visuelles – sont autant de rituels d’attention pour réamorcer autrement le dialogue avec les éléments de notre écosystème.

Pierre Hemptinne

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