Compte Search Menu

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies permettant d’améliorer le contenu de notre site, la réalisation de statistiques de visites, le choix de vos préférences et/ou la gestion de votre compte utilisateur. En savoir plus

Accepter
Pointculture_cms | focus

Rencontre avec Guy Jungblut, fondateur de la maison d’édition Yellow Now

Guy Jungblut (2)
Hiver 2015, Guy Jungblut nous recevait dans sa demeure à Crisnée, siège des Éditions Yellow Now situé dans la banlieue de Liège. Ces jours-ci, Yellow Now fête ses 50 ans d'activités au Comptoir (Liège) et au Cinéma Nova (Bruxelles).
« — Partout des vitrines, des présentoirs, des confréries insolites allant du rendez-vous de taille-crayons à celui des figurines (de chats, notamment), sans oublier, serrés aux murs, une multitude d’encadrements (dessins, peintures, photos…). Il y aurait, à sonder un tel trésor, de quoi remplir de plus profonds automnes. — »

Avant notre rencontre, Guy avait écrit : si nous occupons une place particulière dans le champ de l’édition, nous sommes aussi situés dans les champs… de betteraves. Crisnée, siège des éditions Yellow Now et lieu de résidence de son fondateur, n’est desservi par aucune gare. La pluie, le jour de ma venue, me dissuade de prendre des photographies d’un paysage vaincu par la boue. De la maison on distingue à peine la façade, mais n’est-ce pas aussi que, du dehors, rien n’en signale la douce extravagance ? Le garage par lequel on me fait passer m’en donne un avant-goût certain. Sans doute n’est-ce pas là, à strictement parler, une entrée de service, mais la quantité de livres que j’aperçois dans la pénombre signale un heureux détournement de l’espace. À l’intérieur, ma première impression est celle d’une chaude profusion, d’une abondance qui n’intimide pas. Non, le livre ne règne pas ici en maître absolu, c’est, bien plus, le triomphe de la collection. La bibliothèque qui court dans toutes les pièces ne constitue que la toile de fond d’un décor où l’objet, seul ou en série, accroche, interroge, réjouit le regard. Partout des vitrines, des présentoirs, des confréries insolites allant du rendez-vous de taille-crayons à celui des figurines (de chats, notamment), sans oublier, serrés aux murs, une multitude d’encadrements (dessins, peintures, photos…). Il y aurait, à sonder un tel trésor, de quoi remplir de plus profonds automnes. Car, c’est le moment de le dire, la maison – cette bibliothèque – abrite en son cœur un héritage précieux. En effet, la femme qui se tient aux côtés de Guy, son épouse, est la fille d’André Blavier, célèbre pataphysicien verviétois, ami de Raymond Queneau et auteur du désormais classique Les Fous littéraires. Dans le bureau de Guy, la première question qui me vient aux lèvres est : comment vous êtes-vous rencontrés ?

Notre entretien commence à peine et je vois déjà qu’il faudrait dix, vingt, cent articles de ce genre pour rapporter tout ce que je vais entendre. Ce beau rôle de « passeur » que je me plais à illustrer dans cette rubrique, personne ne pourrait davantage l’incarner que Guy Jungblut ; le problème, c’est qu’il l’incarne à la puissance mille. Un parcours qui débute à Verviers auprès d’un bibliothécaire farfelu et fascinant – André Blavier – et qui embrasse la mise sur pied d’une galerie d’art puis d’une maison d’édition, offre un récit propice aux digressions. La mémoire extraordinairement fraîche de Guy grouille de personnages hauts en couleur, de détails incongrus, d’anecdotes comiques. Ce qui nous revient, à travers ce témoignage bien construit (Guy, forcément, peut tout documenter), c’est tout un pan de l’histoire de l’art belge, ou, pour être précis, de ses avant-gardes.

Tout jeune homme au début des années 1960, Guy trouve naturellement sa place dans la scène alternative verviétoise. Un soir, en plein cabaret et alors qu’il pousse la chanson aussi faux que possible, Andrée fait une apparition avec son père. Le lendemain Guy l’invite au cinéma, on passe Hiroshima mon amour. Près d’un demi-siècle plus tard, leur histoire se prolonge jusqu’au cœur du travail éditorial. Ceci n’est pas un détail. Yellow Now a le statut d’une asbl, ce qui signifie que personne, de manière générale, n’est rétribué pour son travail. Au fil des années, tous les collaborateurs, complices et passionnés, se sont engagés sur leur temps libre. Ainsi, le rôle d’Andrée est de « rapetasser » les textes. Aujourd’hui à la retraite, elle a enseigné le français pendant que Guy dispensait des cours de photographie et de vidéo à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Une activité peu contraignante et proche de ses intérêts qu’il omet presque de mentionner.

Guy Jungblut (3) RS.jpg

C’est que Yellow Now occupe toute la place dans ses propos. En 1969, c’est d’abord une toute petite galerie qui s’ouvre à Liège, rue Roture, dans un quartier menacé de destruction. Pour se lancer, Guy bénéficie du réseau de son beau-père. Par goût de l’aventure et de l’expérimentation, il ne tarde pas à centrer son attention sur l’art conceptuel et ce medium un peu sauvage qu’est alors la vidéo. André Blavier lui offre sa première presse offset, avec, en contrepartie pour Guy, la charge d’imprimer sa revue Temps mêlés. Le jeune homme s’y met avec enthousiasme, se saisissant de l’occasion pour façonner des livres avec les artistes qu’il expose. « Et maintenant c’est Yellow ! » assène-t-il au moment d’officialiser la naissance de la maison, « Yellow now ! ». Par ce trait de couleur opportunément anglicisé, ce qu’il confie au monde de l’encre et du papier c’est son propre surnom. À l’époque, joueur de flipper extraverti, Guy signale ses victoires d’un retentissant Yellow ! lorsque les lettres, une par une, illuminent l’écran en fête. Annette Messager, Jacques Louis Nyst, Paul-Armand Gette, Anne et Patrick Poirier inaugurent le catalogue. Lorsque la galerie ferme en 1975, l’aventure éditoriale, elle, perdure car bien ancrée : Guy se résout toutefois à déléguer l’impression, mais ne renonce pas pour autant à mettre la main à la pâte, se réservant la part du graphisme et s’offrant à effectuer lui-même, pour régler des dettes, quelques travaux de montage. Désormais aux normes, ses livres sont distribués dans les librairies généralistes. Le catalogue s’ouvre aux artistes de l’écriture et bientôt, par hasard et surtout par affinité, au cinéma.

« — Et maintenant c’est Yellow ! » assène-t-il au moment d’officialiser la naissance de la maison, « Yellow now ! ». Par ce trait de couleur opportunément anglicisé, ce qu’il confie au monde de l’encre et du papier c’est son propre surnom. À l’époque, joueur de flipper extraverti, Guy signale ses victoires d’un retentissant Yellow ! lorsque les lettres, une par une, illuminent l’écran en fête. — »

Hybride, hétéroclite, la politique éditoriale de la maison affiche son intérêt pour les multiples rapports que nouent texte et image. Ainsi, une collection phare de ce qui se range aujourd’hui « Côté cinéma » (la maison compte trois autres « côtés » : art, photo et à côté) se construit autour du photogramme qui, accompagné d’un essai, procède d’un remontage personnel et fétichiste du film. Les collaborateurs de Guy – bénévoles pour la plupart, rappelons-le – se nomment Marcos Uzal (Côté films), Dominique Païni (Côté cinéma — Motifs et Morceaux choisis), Emmanuel d’Autreppe (Côté photo-Angles vifs) et Charles Tatum, Jr (pour les relectures et corrections). La fabrication d’un livre cumule une somme considérable de tâches, allant de la recherche de fonds au tri des projets en comptant la lecture, les corrections, la mise en page, le graphisme, l’impression, la distribution et, au-dessus de tout cela, la gestion des finances, les faillites de distributeurs n’étant pas rares dans le métier. En cinéphile averti, Guy ne limite pas son catalogue à ses propres préférences, bien qu’il ne cache pas son goût pour les marges et la haute subjectivité. Là encore, il y aurait beaucoup à dire sur le sujet. Nous y reviendrons certainement plus tard. Pour l’heure, nous ne vous ferons pas l’injure de rappeler le peu d’attention dont bénéficie l’essai sur le marché actuel du livre, mais si brutale qu’elle soit, cette réalité jette une lumière revigorante sur la souveraineté d’esprit de ceux qui, comme Guy, s’obstinent et tiennent avec droiture leur ferveur pour principale motivation.

Guy Jungblut (4) RS.jpg


Éditions Yellow Now

Texte et photos : © Catherine De Poortere

L'article est paru dans la rubrique Entrée de service du magazine Détours du mois d'avril 2016.



De Yellow à Now (1969-2019)
Traces, restes, débris et fonds de tiroirs. Archéologie d'une maison d'édition.


Du samedi 14 décembre 2019 au vendredi 14 février 2020

Vernissage le vendredi 13 décembre de 17h à 20h
Le Comptoir du livre
20 En Neuvice
4000 Liège


De Yellow à Now (1969-2019)
Projections de films, interventions de Guy Jungblut, Patrick Leboutte et Dominique Païni, etc.

Les samedi 14 et dimanche 15 décembre 2019
Cinéma Nova
3 rue d'Arenberg
1000 Bruxelles