Retour sur Kalukata Republik de Serge Aimé Coulibaly (aux Halles)
Pour l’ex danseur d’Alain Platel et directeur artistique Serge Aimé Coulibaly, le personnage et la musique de Fela sont une sorte de fil rouge, de marotte obsessionnelle et surtout un modèle : « J’ai rencontré Fela à 14 ans, en 1986, au Burkina Faso. Il était l’ami du président de l’époque Thomas Sankara. Son souvenir est resté vague et lointain des années durant. Puis j’ai vu le documentaire Music Is the Weapon (1982) sur YouTube qui lui était consacré. J’en ai été si bouleversé qu’il est devenu le film à voir pour toute personne qui veut travailler avec moi. J’utilise aussi sa musique, riche et très rythmée, et que j’écoute tout le temps, dans mes recherches sur le mouvement et dans les improvisations. Et Petit à petit, l’idée m’est venue de monter un spectacle. ».
Présenté aux Halles de Schaerbeek en avant-première, Kalakuta Republik n’est pas un spectacle sur le musicien et activiste nigérian décédé en 1997 mais bien autour de Fela. Composite, il mêle le théâtre et la performance (et le chant) au sein de son dispositif.
Composé de deux parties distinctes et sensiblement différentes dans leur mise en scène et leur timing, et bien que réutilisant les mêmes éléments de décor de base, les deux moitiés de Kalakuta Republik se rejoignent sur une bande-son (de Fela évidement) qui imposent ses rythmes obsédants jusqu’à la transe et ses lentes mais irrésistibles montées en puissance. La scène est tapissée sur le fond de deux écrans sur lesquels défilent des images ou passent de simples jeux d’ombre. Deux rangées de chaises font le lien entre ses « parois » et servent de base de départ aux danseurs en début de spectacle. Un sofa – bien malmené durant toute la représentation– est à droite tandis qu’un bac sur roulettes servira de support mobile individuel à chacun des participants à un moment ou l’autre du spectacle. Ceux-ci, trois filles et trois garçons, avant qu’un septième protagoniste ne fasse pencher définitivement la balance du côté masculin semblent comme habités par une pulsation originelle – le cliquetis rythmique de base de ce long titre joué intégralement- qui les conduit dans des configurations sans cesse remaniées mais identiques dans leur rapport de force : un individu face au reste du groupe. Cette première partie, « une fantaisie » selon Serge Aimé Coulibaly, tour à tour fiévreuse, intense, colorée et tournoyante connait des accalmies et des pics paroxystiques qui paraissent laisser les danseurs à bout de souffle, finit par se conclure au moment où l’on n’a perdu toute notion du temps depuis des lunes (40 minutes ont passé !). Elle pourrait répondre à l’injonction (inconsciente ?) de Fela d’agir dans la société non comme un artiste « séparé du reste » mais comme un acteur porteur de changement.
La seconde partie fait plus directement référence à
l’intimité du musicien. Cette fois le décor est celui d’une taverne ou d’un bar
aux petites heures. Des chaises jonchent un sol maquillé de paillettes et de
vestiges de la veille. Il évoquerait le Shrine
le café où Fela et ses musiciens avaient l’habitude de se produire. Ici
aussi, tout démarre lentement, avec le même casting qu’au premier acte. Un
acteur/danseur ramasse et empile les chaises au-dessus de sa tête pendant que
son condisciple est affalé sur le sofa (qui a traversé la pièce), d’autres
poussent la chansonnette au micro tandis qu’un intervenant tardif est pris de
sauts d’éthylisme postillonnant .Et tous portent des tâches colorées sur le
corps et se dénudent de concert. D’ailleurs tout ce beau monde semble s’agiter
comme s’il était sous « influence ». Cette deuxième partie grouille
d’énergie et de vie et on n’a parfois l’impression d’assister tantôt à des
courses-poursuites, tantôt à des entreprises de séduction, et tantôt à de francs
désaccords. Les turbulences sismiques sociétale du printemps Burkinabé (une
révolution populaire concomitante des printemps arables mais quasi non relayée
en Occident) où les artistes ont joué un rôle moteur et qui a réussi à mettre
fin en 2014 à la dictature du président Blaise Compaoré. Plus courte dans sa
deuxième mi-temps, la Kalakuta Republik se clôt sur un espace déserté et
chaotique mais toujours empreint d’une énergie vitale palpable !
Yannick Hustache
photos: Sophie Garcia
site Faso Danse Théâtre (Serge Aimé Coulibaly)