Revue du web: « L’université sous hypnose numérique »

De quelle université avons-nous besoin ? Un espace émancipateur propice au débat et à la réflexion, où les évolutions du monde sont décryptées autrement que dans l'urgence ? Ou bien un laboratoire pour l'innovation à tout prix, au service de la compétition économique ? La deuxième option est en train de l'emporter sur les ruines de la première. — François Jarrige et Thomas Bouchet - www.sciences-crtiques.fr
Note de lecture d'un article de Jarrige et Bouchet sur le site sciences-critiques.fr
À l’heure actuelle le numérique et les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont certainement un des plus puissants facteurs de transformation du monde et on peut presque voir les choses se métamorphoser sous nos yeux tant chaque jour apporte son lot de nouvelles qui toutes accréditent l’idée qu’un bouillonnement incontrôlable s’est emparé de sphères de plus en plus nombreuses de l’activité humaine.Ce n’est en effet plus seulement la vie
personnelle qui peut sembler envahie par tablettes, smartphones et applications
de toutes sortes, c’est aussi notre environnement, l’espace public, les
systèmes administratifs et l’économie toute entière qui sont de plus en plus
quadrillés et livrés à ce que certains nomment un tournant anthropologique,
c’est-à-dire une transformation aussi radicale que le furent en leur temps la
sédentarisation, l’urbanisation, l’apparition de l’`État ou l’invention de
l’imprimerie.
Face à cette accélération et à ce qui ressemble de plus en plus à une suite sans fin d’injonctions à s’adapter au plus vite on pourrait croire que l’Université est
l’endroit idéal pour s’arrêter, pour réfléchir, pour garder la tête froide et
une distance critique, qu’elle est un îlot d’apprentissage et de savoir où il
serait possible de préserver la distance de réflexion nécessaire pour interroger
un tel tourbillon.
Et bien non, l’institution subit elle aussi de plein fouet
le déferlement numérique et le cortège de déstabilisations en tous genres
repris par certains sous le terme de disruption, ce mot qui au départ
caractérisait les traumatismes provoqués par une catastrophe naturelle et dont
la signification est passée dans le
langage publicitaire et économique pour
devenir l’expression d’une évolution majeure du capitalisme actuel, celui des
innovations de rupture ou quand on introduit la nouveauté quitte à fracturer le
corps social et à aggraver les risques d’effondrement que beaucoup sentent
peser sur l’ensemble de la civilisation.
Donc, l’université subit également le
diktat de l’innovation à tout prix et en son sein même la concurrence est,
comme partout, érigée en mode de fonctionnement, chaque établissement subissant
lui-même la concurrence de tous les autres organisée par le principe des
classements internationaux, comme le plus connu, celui de Shanghai (on parle de
palmarès).
De manière générale, comme le
reste du corps social, elle est soumise à la flexibilité et à la précarisation et
elle voit ses orientations de plus en
plus pilotées par les multinationales, les marchés et le monde de la finance.
C’est qu’elle est de plus en plus modelée comme une entreprise, elle doit être
rentable et productive et pour beaucoup son caractère de bien public passe le
plus souvent au second plan, s’il n’est pas tout simplement considéré comme
anachronique.
En somme, elle est un terrain privilégié pour toutes les expérimentations de numérisation du monde et en tant que lieu de savoir elle est toute choisie pour cristalliser les stratégies qui ont pour but de sceller cette nouvelle marche du monde dans la fuite en avant vers la marchandisation électronique.
Daniel Schepmans
> article de Bouchet et Jarrige