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Sébastien Marcq : quand les pierres nous murmurent le monde

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Exposé actuellement à la galerie Pascal Goossens, Sébastien Marcq fouille le monde. Il en photographie la luxuriance des angles morts. Ce qui grouille dans les marges. Le laissé-pour-compte où germent les récits de possibles renaissances.

Sommaire

Il est rare qu’une exposition de photos fasse un effet aussi physique. — Pierre Hemptinne

Surtout si l’on peut bénéficier d’une présentation par l’artiste lui-même, qui arpente la galerie, raconte chaque cliché, chaque lieu, saisit à bras-le-corps chaque motif, chaque thème et semble, devant vous, à l’instant, l’extraire sous forme d’image, de ses tréfonds intimes, hologrammes vivants alors matérialisés dans l’espace, sur les murs blancs, selon une scénographie – une dramaturgie – qui les associe les uns aux autres selon de multiples pistes de récits entrecroisés.

Sébastien Marcq est un voyageur passionné, pas pour les vacances, pas pour le tourisme ni les affaires, pour le voyage en lui-même, il en fait un « travail » à part entière. Il affectionne particulièrement certains pays, certaines régions, certains paysages, certaines villes, quartiers, routes et ruelles. Il y séjourne, s’y immerge, y retourne, autant de points du globe qui s’incrustent dans sa géographie mentale, avec leurs formes, leurs couleurs, leurs temporalités singulières, leurs sons, leurs langues, leurs habitants, leurs vides et leurs pleins, leurs ressemblances et différences avec le reste du monde, leur propre inconscient.

Le voyage comme manière de s’inventer des points d’ancrage avec les cultures minoritaires de la globalisation

Sa pratique photographique est indissociable de ses voyages, mais il ne s’agit en aucun cas de « photos de voyages ». Ce qu’il traque sont les rouages qui s’établissent entre les lieux qu’il explore – cela peut consister à rester en rade dans un hôtel, un bistro, ou en extase ascétique dans un camping à 4000 mètres – et l’activité mentale incessante, agitée, pour se situer dans le monde. Dans une recherche de points d’ancrage multiples, diversifiés, hétérogènes. Ces points d’ancrage sont le plus souvent des détails du décor, de l’architecture volontaire ou involontaire, de l’agencement paysager, des traces de vies, des sédimentations culturelles et naturelles. Autant de détails qui font signe, cherche à se relier à travers l’imaginaire du photographe. Ces articulations versatiles entre les choses et lui naissent à la manière de tourbillons à la surface d’une eau tranquille. Une fois mises sur orbite, elles vont agréger, dans le temps, d’autres points de contact avec le réel, similaires dans leur esthétique et leur grammaire intime, à d’autres endroits du globe, formant des séries évolutives, infinies.

La photo comme corps à corps, discipline sculpturale et tactique pour pénétrer dans les interstices, ce qu’il y a « entre »

Cela relève du corps à corps, jamais de l’abstraction esthétisante. La dimension contemplative est bien présente mais comme sport de combat et création sculpturale avec les choses extérieures, puis intériorisées. Il y a colonisation mutuelle. Il faut, sur ses pas, s’égarer dans la collection incommensurable de petites images d’espaces « entre ». Coins et recoins en général inaperçus ou que l’on traverse rapidement, en fermant les yeux, aux confins du construit et de la désagrégation, de l’ordre et du désordre, du paraître et du caché. Là où jaillissent des câbles orphelins, où s’effritent les revêtements, où refluent les déchets, où clignotent les lumières blafardes, où traînent des poubelles, où se fossilisent des équipements désuets, où les faux-plafonds crèvent, où se propage la rouille, où clignote un ultime néon, où les matériaux s’inventent de nouvelles fonctions. Cet univers de l’abandon, du lâcher prise des coulisses, frisant le glauque, Sébastien Marcq y perçoit une énergie séminale bienfaisante, en friche, une puissance d’échappatoire, vierge, autant de chances d’inventer de nouvelles histoires dans un monde qui se dit en panne de « grands récits ». Ces exercices du regard trouvent des accomplissements formels dans quelques grands formats plus travaillés, exemplaires. Ce sont des fragments architecturaux, des éléments décoratifs, souvent isolés dans le vide, évoquant des hôtels abandonnés, des maisons éventrées révélant une partie de leurs tripes, des nuits et solitudes inavouables, une arche inaltérée dans les ruines, des fragments témoins d’un profond dénuement de la condition humaine, isolés, transfigurés en cosmogonie architecturale, barge, enivrante, en perpétuelle réinvention.

Raconter le plissé de la vie, dans le cadre et au-delà

Il y a ce plissé merveilleux, somptueux, sans âge. Gros plan. Pierre ou tissu ? Antiquité ou parure moderne ? Suaire ou voile vivante ? Chevelure ou ruissellement paralysé ? En une image, les plis matriciels de Deleuze/Leibniz. C’est un morceau de ces parachutes militaires qui, suite aux aléas de la guerre, se récupèrent dans les montagnes et sont recyclés en toile de tente. La matérialité de l’image, du tirage, indique assez que l’artiste a dormi sous ces abris, il en incorporé le plissement céleste et aride. Voyez cette étendue de pierre, sèche, page blanche calcaire où rien ne s’écrit. Quelques vies disséminées, juste posées, pétrifiées. Près du cadre, au-delà d’une clôture, des baraques, des maisons, un autre pic rocheux. Possibilité d’évasion. Voyez aussi cette surprenante baraque de tôles. Elle ne parvient pas à occulter l’étendue infinie derrière elle. Au contraire, il semble que ce soit en elle, dans ses entrailles archaïques, que se fabrique cet horizon sans fin de nuages, crêtes vertigineuses, neiges étincelantes, vallées successives. C’est le centre d’accueil d’un camping haut perché du Ladakh. Il faut rester vigilant aux incidences qui surgissent sur les bords de la photo. Il s’agit souvent d’une configuration imprévue, non identifiée consciemment lors du cadrage, et qui amorce le lien avec d’autres fils narratifs. Ainsi, à quoi correspondent les mâts, filins, infrastructures au-delà de ce mur ? Ou les solives de guingois, l’étoupe stellaire d’une étoffe perdue, l’irruption d’un circuit électrique insolite, faisant raccord avec le hors-champ ?

De l’importance de l’altération de soi et de rester un peu punk

Les cadrages ne sont pas retravaillés. Ils sont tels quels, fidèles à l’intuition de l’instant. Des voiles, des réverbérations, des défauts apparaissent sur telle ou telle photo. Ils peuvent parfois être pris pour des effets naturels. Ils résultent souvent du fait que, travaillant avec de l’argentique et voyageant beaucoup, certaines pellicules ont été abîmées par les nombreux passages sous les détecteurs magnétiques. Ou, encore, Sébastien Marcq ayant une préférence marquée pour les « développements à la punk », là aussi comme se battant jusqu’au bout, physiquement, pour ramener au jour les images telles qu’il les a modelées dans sa tête au moment d’appuyer sur le déclencheur, il ne pouvait éviter certaines altérations dues à l’accouchement musclé, viscéral. C’est certainement cette manière de vivre la photo, depuis les apnées dans ses voyages intérieurs et leurs motifs inspirés de son activité de globe-trotter inlassablement curieux, jusqu’à l’usage d’appareils qui préservent le contact instinctif avec les choses et l’engagement animal dans les techniques de révélation et d’impressions sur papier, c’est cela qui confère à l’ensemble de ses photos une présence physique étonnante. Quelque chose de poignant comme cette phrase : « certains jours je m’en irais bien pour m’en aller ». Et en ramener des images qui apprivoisent l’autre côté, plus exactement les autres bords.

Pierre Hemptinne

Trois photos noir et blanc : (c) Sébastien Marcq (photo de bannière recadrée)



Sébastien Marcq : Stone Murmur

Jusqu'au dimanche 13 octobre 2019
Galerie Pascal Goossens
98 rue de Flandre
1000 Bruxelles

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