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Documentaire : « Sortir du rang », une injonction à désobéir

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En plein cœur de Liège, à l’Athénée Léonie de Waha, sont adaptées et expérimentées, depuis près de vingt ans, les techniques avant-gardistes de Célestin et Élise Freinet, fondées sur l’expression libre des enfants, notamment décrites dans un ouvrage paru en 1964, intitulé "Les Techniques Freinet de l’école moderne". Bien plus qu'une immersion dans une école à pédagogie active, ce documentaire de Patrick Séverin tisse le lien, nécessaire, entre école et démocratie.

Sommaire

« La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’École, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle » — Célestin Freinet


Pédagogie Freinet, pédagogie(s) active(s)

Souvent attribuées au seul Célestin Freinet, instituteur et militant engagé à la fois politiquement et syndicalement, les techniques éponymes sont également le fruit du travail de son épouse, Élise Freinet, notamment par son apport à la dimension artistique de cette pédagogie s’inscrivant dans le mouvement de l’Éducation nouvelle, incarné par des personnalités telles qu’Ovide Decroly et Maria Montessori. En 1946, Célestin Freinet publie, en son nom seul, un livre qu'il titra L’École moderne française, ouvrage qui donnera, de fait, son nom au Mouvement de l’École moderne, aujourd’hui constitué par l’ensemble des enseignants s’appropriant le travail des époux Freinet en l’appliquant à leurs propres pratiques pédagogiques.

Basée sur l’expression libre des enfants, visant à encourager l'initiative personnelle et l'autonomie, la pédagogie Freinet s’appuie notamment sur une série de trente « invariants pédagogiques » énumérés par Célestin Freinet comme autant de valeurs fondamentales à destination des enseignants souhaitant se placer dans son sillage, faisant office de socle idéologique inaltérable sur lequel élaborer des techniques, quant à elles, variables et mouvantes par nature. L’un d’eux illustre en quoi la pédagogie Freinet est classée, au même titre que celle de Decroly et Montessori, dans le courant des pédagogies dites « actives » : « La voie normale de l’acquisition n’est nullement l’observation, l’explication et la démonstration, processus essentiel de l’École, mais le tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle ».


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Un règlement d’ordre intérieur : pour quoi faire ?

C’est donc en 1998 que sont initiées pour la première fois les techniques Freinet au sein de cette école publique de la ville de Liège, l’Athénée Léonie de Waha. Qui dit pédagogie active, dit participation à l’établissement des règles de vivre-ensemble. Le pari est le suivant : quel jeune penserait à déborder d’un cadre qu’il aurait, au préalable, construit collégialement avec élèves et professeurs, et auquel il aurait de facto pleinement consenti, sans mécaniquement trahir autrui, aussi bien que lui-même ? En effet, concevant l’éducation comme un moyen d’émancipation politique et civique, Célestin Freinet avait saisi l’importance de l’école dans l’apprentissage de la citoyenneté. Dès lors, les élèves de l’Athénée Léonie de Waha sont largement mis à contribution dans l’élaboration, par consensus, d’un règlement d’ordre intérieur qui ne dit pas son nom.

Parce que oui, qui des professeurs ou des élèves sont les plus à même de concevoir des règles pleinement adaptées aux mœurs de ces derniers ? Peut-être est-il grand temps de faire tabula rasa sur certains préceptes de bienséance érigés en dogme, inadaptés aux besoins particuliers des individus et dont on peine de plus en plus à saisir le bien-fondé dans un monde en perpétuelle évolution. Bien sûr, ce mode d’organisation basé sur l’intelligence collective est autrement plus complexe à mettre en place que d’imposer aux élèves un règlement d’ordre intérieur d’ores et déjà gravé dans le marbre. Il ne s’agit pas simplement pour les élèves de s’arroger un maximum de libertés, profitant de la sorte du laxisme de professeurs réputés « fainéants », mais bien de se responsabiliser au point d’imaginer eux-mêmes jusqu’aux motifs de sanction, en anticipant des situations concrètes qui pourraient potentiellement advenir et desquelles ils seraient tenus de répondre, en toute connaissance de cause.


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Fin des notes et autonomisation radicale de l'élève : une hérésie ?

L’une des initiatives phares mises en place par l’Athénée Léonie de Waha est, sans conteste, la fin du système de notation par points, pour l’adoption d’un procédé d’évaluation de compétences et de leur évolution au cours du temps. Celui-ci se démarque du système traditionnel en ce qu’il oblige le corps professoral à appréhender chaque élève, au cas par cas, et ce, puisqu’il ne peut se référer à une moyenne arithmétique lui indiquant commodément, et de manière univoque, qui sont les "premiers de cordée" et les cancres. Ce qui sert de baromètre ici, c’est la façon dont les compétences évoluent et si, in fine, celles-ci peuvent être considérées comme acquises. À titre d’exemples, une compétence peut se borner à savoir « mémoriser », voire même à « chercher à progresser », quand l’évolution de l’acquisition des compétences sera jugée à l’aide d’appréciations telles que « non acquise », « en cours d’acquisition », etc.

Non contente de rompre avec le système de notation par points, et au-delà de l’évaluation de compétences émanant des enseignants eux-mêmes, l’école invite également les élèves à s’auto-évaluer. Cette auto-évaluation sera alors prise en compte dans l’évaluation finale. Fait donc partie intégrante des compétences à acquérir au cours de sa scolarisation, la capacité à exercer une pensée critique quant à son propre travail, ceci dans une optique de responsabilisation et d’émancipation. Cet aspect du cursus scolaire à l’Athénée Léonie de Waha, caractérisé par une autonomisation radicale de l’élève, se matérialise à nouveau dans une initiative sobrement, et paradoxalement, intitulée « tutorat ». Lors de celui-ci, l’enseignant se met sciemment en retrait et confère à l'étudiant le droit d’endosser son rôle, à savoir expliquer à ses condisciples une matière et répondre à des questions particulières y afférant, dans la mesure de ses compétences. Outre cette notion d'autonomie déjà évoquée, c'est ici une valeur d'entraide qui est à mettre en exergue à travers ces séances de tutorat, prépondérante dans la pensée de Freinet.


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École et démocratie : un lien à tisser

Vivre-ensemble, consensus, intelligence collective, autonomisation, entraide... Autant de notions qui prêteraient presque à sourire, taxées de niaiseries, tant nous avons tendance à raisonner en termes de "loi de la jungle". L'école, pour la majorité d'entre nous qui aurait fait ses armes dans le système éducatif traditionnel, nous aurait-elle appris la compétition, plutôt que l'entraide ? Nous aurait-elle condamnés à ne pas nous soucier du collectif, pour privilégier uniquement notre réussite personnelle, aux dépens de celle des autres ? Pire encore, nous aurait-elle enseigné à déléguer nos responsabilités citoyennes à des hommes politiques ne croyant pas leur chance de pouvoir faire de leur métier ce qui devrait être le lot de tout un chacun ? Étienne de La Béotie, visionnaire, décrivait déjà cet état d'apathie politique au XVIème siècle, dans son ouvrage intitulé Discours de la servitude volontaire. Bien plus tard, en 1922, est utilisée pour la première fois par Walter Lippmann, l'expression « la fabrique du consentement », reprise en 1988 par Edward Herman et Noam Chomsky dans leur livre, La Fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, dans lequel ils soutiennent la thèse d'une instrumentalisation des médias de masse à des fins de propagande idéologique. Si la télévision, la radio et la presse sont les médias destinés aux adultes, ne serait-ce pas l'école, le principal medium dédié aux enfants ? Avec Sortir du rang, Patrick Séverin nous propose bien plus qu'une simple immersion dans une école à pédagogie active : il tisse le lien, nécessaire, entre école et démocratie, entre éducation et émancipation citoyenne.


Simon Delwart

Le documentaire est actuellement en diffusion sur RTBF - Auvio via ce lien.
Pour plus d'informations concernant les projections programmées, c'est
par ici.

Voir aussi le cycle - compilation de six films documentaires sur le thème de l'enseignement – du même auteur, à destination des enseignants, sur LaPlateforme.be



"C'est l'enfant lui-même qui doit s'éduquer, s'élever avec le concours des adultes. Nous déplaçons l'acte éducatif : le centre de l'école n'est plus le maître mais l'enfant." — Célestin Freinet