Transversale / Charles-Henri Sommelette
Charles-Henry Sommelette
Sur le fil de la limite
(c) Charles-Henry Sommelette
Il y a un monde de différence entre le fait de regarder les grands paysages au fusain du jeune peintre Charles-Henry Sommelette (1984) en reproduction (dans la presse, sur son site internet ou un carton d’exposition, par exemple) et le fait de se retrouver devant les originaux (comme il y a quelques mois au sein de la très belle exposition collective Paysages intérieurs de la galerie Les Drapiers à Liège). Les dessins sont là, totalement présents, incontournables. Presque à notre taille, ils tendent et étendent le mètre quarante-cinq ou le mètre septante de leurs lourdes feuilles de papier presque du sol au plafond de la pièce. Pas d’autre solution que de les regarder, ils aimantent notre regard. On s’arrête devant eux, plutôt dans l’axe. On cherche la bonne distance. Un pas en avant, deux pas en arrière. On les scrute, ils nous toisent. Comme dans un face-à-face intriguant, pas du tout anodin, mais jamais hostile. On est presque happé par leurs paysages et en même temps on reste à distance. Leur magnétisme, notre fascination sont palpables mais leurs clés ne nous sont pas livrées. Le mystère demeure et on le savoure.
Il y a bien sûr le caractère quasi photographique des images de Sommelette : leur noir et blanc à la fois affirmé et riche en nuances de gris, les formats qui font écho aux formats 6x6 et 6x7 de la photographie argentique, le réalisme de la représentation, etc. Quand on s’approche des œuvres, leur rendu – les nuages de petites traces de charbon sur le papier, les traits vifs ou estompés – rappelle le grain des pellicules et des papiers photo, les mystères de la chimie des sels d’argent. Mais dans l’appréhension de l’œuvre, ce réalisme photographique est autant un piège qu’une évidence. Le mystère s’enracine ailleurs : autant dans l’absence (le non représenté, le hors-cadre) que dans le visible.
Dans la série dont sont issus les dessins présentés aux Drapiers, la nature qu’aborde l’artiste est très domestiquée. Dans une autre série de fusains, il a dessiné les empreintes laissées par l’homme dans les bois de chez nous (sentiers, traces de pas et de pneus, troncs d’arbres marqués à la peinture), mais on est loin ici de la forêt de Princesse Mononoké (cf. rubrique « Analyse de séquence » de ce Détours). Pour ces fusains-ci, le terrain d’exploration de Sommelette correspond plutôt au « fond du jardin » des quartiers résidentiels. Un monde où le sol se nomme « pelouse » et où des haies – omniprésentes – tracent des limites, tant cadastrales que paysagères. De petites portions de territoire où gisent – comme abandonnés – un toboggan, un goal de football, une chaise en plastique. Mais, heureusement, cette banalité est ici transcendée par un tour de passe-passe artistique qui nous dépasse, mais qui à nos yeux tire l’ordinaire vers le fantastique et l’impalpable. Et le côté déserté des images, l’absence de présence humaine directe (hormis l’artiste, le scrutateur, bien sûr hors du champ de l’image) sont sans doute pour beaucoup dans ce trouble. Où sont passés les habitants ? Depuis quand sont-ils partis ? Vont-ils revenir ?
Philippe Delvosalle
> charleshenrysommelette.com
Derniers jours : l'exposition Charles-Henry Sommelette : Tracés de l'absence à L'Espace 251 Nord à Liège
est prolongée jusqu'à ce samedi 8 octobre 2016 !