Un conte au cinéma, Alice au Pays de Méliès 3/3
Sommaire
Alice in Wonderland, un film de Tim Burton (2010)
Production des studios Disney sur un scénario de Linda Woolverton, le film réalisé par Tim Burton relève des techniques contemporaines du cinéma d’animation en 3D et des images de synthèse. Les acteurs filmés en prises de vue réelles, évoluent parmi décors et personnages d’animation.
Le scénario s’inscrit comme un nouveau récit, un prolongement aux aventures d’Alice puisqu’on la retrouve, sortie de l’enfance, âgée de 19 ans, marquée par l’esprit libre et visionnaire d’un père disparu et regretté. Tourmentée par le projet de son entourage de la marier à un jeune baron insipide, Alice est seule, perdue dans ce réel auquel elle se confronte lorsqu’un lapin blanc y pénètre pour la ramener sous terre, dans le pays des merveilles, maintenant dévasté par le pouvoir de la Reine Rouge.
Le scénario se démarque franchement des récits de Lewis Carroll en ce qu’il introduit une narration dont les protagonistes sont investis d’une mission. Le pays des merveilles est ravagé sous la tyrannie de la Reine Rouge, les victimes et résistants sont persécutés par une armée et ses monstres dont le plus terrifiant est un dragon, le Jabberwocky. Il existe un oracle qui prédit qu’Alice reviendra et tuera le dragon avec une épée jadis volée à la Reine Blanche et qu’elle doit quérir au château de la Reine Rouge. Alice dans ce récit devient une héroïne.
Alice enfant était sujette à un cauchemar récurent, une chute dans un trou noir et la rencontre d’étranges créatures. Son père lui confia qu’en se pinçant elle pouvait toujours se réveiller de son rêve.
Alors qu’Alice n’en a gardé aucun souvenir, les créatures du pays des merveilles se souviennent du séjour qu’elle fit jadis parmi eux. Elles attendaient son retour. Un trouble s’installe tant pour le spectateur que pour Alice et les créatures, au sujet de l’identité d’Alice, et du fil ténu qui la maintient comme une funambule entre rêve et réalité. Ainsi Alice ne cesse de dire aux créatures de son rêve qu’elle n’est pas qui on croit qu’elle est. Est-elle la vraie Alice ? En tout cas, pas celle qu’ils attendent. Est-elle une fausse Alice ? Peu à peu, au fil de l’aventure, elle agit non pas exactement comme l’Alice espérée, mais en suivant ses sentiments et sa propre volonté, elle devient l’héroïne attendue. Néanmoins, elle ne peut envisager de réaliser l’ultime combat auquel la destine l’oracle, donc elle ne correspond toujours pas à la vraie Alice. Tout au long de ce parcours, elle se pince pour se réveiller mais en vain. L’histoire doit être vécue dans le rêve auquel préside une sorte de fatalité à laquelle ses qualités d’héroïne l’empêchent de se soustraire. Sens de la justice, sensibilité, empathie, courage, sont en elle et prennent le dessus sur la peur, par la force du déroulement de l’intrigue et des événements auxquels elle est confrontée. Sans compter les créatures qui l’entourent et la poussent à devenir cette Alice de l’oracle. Elles l’accompagnent et la soutiennent dans son périlleux parcours. Le prétexte du mauvais rêve ne peut plus éviter l’engagement.
Et l’on retrouve la galerie des personnages fantasques des deux récits de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir. Le Lapin Blanc, Tweedledee et Tweeledum, le Chapelier, le Lièvre de Mars, le Chat du Cheshire, la Reine Rouge et le Reine Blanche… Ils nous rattachent au récit original comme Alice à son rêve… La mythique scène du Thé chez les fous, beau prolongement logique au récit de Lewis Carroll dans lequel le temps, pour se venger du Chapelier a figé sa montre à l’heure du thé. Les interventions du Chat du Cheshire qui semble toujours distant et non concerné et qui cependant se soucie de l’évolution des choses. L’hystérique Lièvre de Mars. Quant au Chapelier, il est mélancolique, instable, rebelle et aime Alice
La quête du récit filmique semble calquée sur une trame assez ordinaire du conte initiatique. Mais son immersion dans le monde de Lewis Carroll doublée de la vision de Tim Burton, et du jeu des acteurs, en dissipe la banalité pour la recouvrir d’un pouvoir d’enchantement.
Les images plongent le spectateur dans l’envoûtement des effets esthétiques de l’animation. Les personnages sont beaux, chacun fou à sa façon. Les couleurs sombres, orangées, participent à l’inquiétante étrangeté du pays dévasté par la reine Rouge tandis que la lumière éclate dans la blancheur du monde de la Reine Blanche.
L’histoire narrée par le film est celle d’un passage initiatique par le rêve pour affronter le réel. Alice a trouvé la force de refuser d’épouser le petit baron insipide, elle a pris conscience d’elle-même, du droit de construire son identité et de décider elle-même de son avenir. Et sous la forme de la métamorphose de la chenille bleue qui quitte Alice dans le rêve pour se retrouver dans le réel, papillon bleu sur son épaule, Tim Burton nous incite à croire que le rêve ne cesse d’accompagner le réel.
En conclusion
S’il y a autant d’Alice que de lecteurs, au pays de Méliès il y aurait autant d’Alice que de réalisateurs… et les quatre films auxquels nous nous sommes intéressés se démarquent franchement les uns des autres.
Une adaptation assez littéraire
Le film de McLeod, en noir et blanc et prises de vue réelles, propose une adaptation qui se veut dans la sélection des épisodes et les contraintes de temps du récit filmique, la plus fidèle possible aux deux livres de Lewis Carroll. Les décors et les déguisements des acteurs lui confèrent un cachet fantasque, certainement novateur en 1933. Son Alice, une toute jeune actrice, évolue dans ces décors, de séquence en séquence. De nombreux acteurs célèbres de l’époque incarnent dans des déguisements très fidèles aux illustrations de Tenniel, les créatures du pays des merveilles. Des jeux de logique, non-sens et situations insolites du récit original jalonnent le récit filmique.
Disney… c’est Disney !
Le dessin animé long métrage de 1951 des studios Disney opte pour le merveilleux et le loufoque. La trame propose de nombreux fragments des épisodes des récits originaux et respecte un enchainement de séquences sans aucune logique de narration. De nombreuses modifications adaptent le récit à l’univers de Disney tout en couleurs. Les créatures sont drôles, les dessins séduisants. Le côté parodique, le véritable non-sens, le jeu entre réel et irréel sont souvent effacés au profit du loufoque mais le film reste une interprétation joyeuse de l’univers de Lewis Carroll.
Une pure création d’artiste
Svankmajer réalise un film d’animation en prises de vue réelles d’objets animés selon sa technique d’image par image. Il s’inspire des récits de Lewis Carroll et plonge Alice et les créatures du pays des merveilles dans son univers, celui de ses objets et de ses obsessions d’artiste. L’aventure est menée par un lapin empaillé suivi par une petite fille curieuse à l’identité trouble. Est-elle Alice ? Une poupée ? La narratrice ? Est-elle tout à la fois ? Un imaginaire poétique et sombre qui explore le conte et des faces cachées du merveilleux.
Un nouveau récit… la merveilleuse 3D
Tim Burton, Johnny Depp… et toute une équipe de talentueux spécialistes des technologies 3D réalisent pour Disney un prolongement aux aventures d’Alice. De retour au pays des merveilles dévasté par l’autorité d’une Reine Rouge tyrannique et cruelle, Alice est entraînée dans une aventure initiatique et devient l’héroïne attendue par les créatures opprimées. Tout en étant dans une autre histoire, on est ancré dans l’univers de Lewis Carroll tant les personnages et les scènes mythiques, chute dans le terrier, thé chez les fous, partie de croquet… fragments et détails du conte original sont intégrés dans le nouveau récit. La 3D permet des images merveilleuses mais chacun d’entre nous a son image du merveilleux !
Un dernier mot…
Lorsque j’ai rencontré le Chapelier, je n’ai pu m’empêcher de lui demander « Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ? » Il a eu un petit sourire et m’a répondu qu’il n’en savait toujours rien.
Parfois je regarde mon bureau, intensément, espérant qu’il prenne peu à peu l’allure d’un corbeau et se mette à me parler. Inutile de dire que le Lapin Blanc trouve cela ridicule tandis qu’il agite sa montre sous mon nez..